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Le Britannique Steven Wilson lance un sixième album solo. À quoi s’attendre ? Autre évocation du passé glorieux de la pop-rock de création anglaise? L’artiste n’a-t-il pas été considéré comme le réformateur par excellence du rock progressif avec l’album Hand. Cannot. Erase (2015) ? Ne fut-il pas le frontman de la formation néo-prog Porcupine Tree pendant les années 90 et 2000 ? Ne s’est-il pas inspiré directement de la pop anglaise de création des années 80 avec l’album To the Bone (2017) ?
Poser la question… c’est ne pas y répondre, pour cette fois du moins.
Coller l’étiquette prog ou tout autre étiquette à ce chanteur, compositeur et multi-instrumentiste est mal le connaître, force est d’admettre. Nous voilà en 2021, Steve Wilson change encore de disque… Remettons les pendules à l’heure !
The Future Bites scrute la pensée humaine à l’ère numérique : désinformation, chambre d’écho, règne des apprentis-sorciers, cyberdépendance, tant d’autres pratiques généralisées dans l’empire du clic. De surcroît, les neuf chansons au programme soulignent l’assomption de leur créateur pour un univers musical dominé par la production électronique.
Voilà qui justifie amplement cet entretien virtuel avec le principal intéressé, joint à son domicile anglais il y a quelques semaines.
PAN M 360 : Ce nouvel album ne représente-t-il pas un grand changement si on le compare à vos projets précédents ?
STEVEN WILSON : “Absolument. J’ai été créatif ces dernières années, mais c’est devenu frustrant à la longue. Je n’ai jamais cru être un musicien de rock progressif ou quelque musicien générique. Mais j’ai déjà enregistré dans la tradition du rock progressif, ces enregistrements ont eu du succès pour moi et j’en suis très fier. C’est peut-être ça le problème, mes albums faits dans un style particulier créent des connexions (rires).
PAN M 360: L’idéal n’est-il pas de bien connaître la musique et de trouver quelque chose de neuf en connaissance de cause ?
“ C’est vrai. Mais la plupart des gens recherchent ce qui leur est familier, cherchent à trouver le chemin de la nouveauté en cherchant ce qui leur est familier. Je pense que j’étais légèrement différent, je cherchais quelque chose d’inconnu. Aujourd’hui, je cherche encore quelque chose que je ne peux pas tout à fait situer d’où il vient. Et je n’ai pas toujours été à la hauteur de ce que je prêche, certaines de mes musiques étaient trop proches de l’hommage, mais je pense qu’avec Future Bites, je fais un pas vers un monde où j’arrive à quelque chose d’unique, ma palette sonore, mon monde sonore.
PAN M 360: L’électronique a toujours fait partie de votre instrumentation, mais cette fois c’est dominant. Comment justifier ce choix ?
STEVEN WILSON : “Mais vous savez, j’ai commencé au début des années 90 avec un groupe de synthé-pop nommé No Man, le premier groupe qui m’ait fait obtenir un contrat de disque. Il y avait donc un précédent à ce que je fais actuellement. Je ne veux pas dire que je fais de la synth-pop mais ce je fais n’est certainement pas associé aux formes classiques du rock. Tous ces éléments classiques ont disparu dans cet album. Cela n’exclut pas un sens du voyage, une approche narrative très ambitieuse, très expérimentale, épique en quelque sorte. Mon allégeance au rock classique ou au rock progressif n’est pas rompue pour autant, je pourrais y revenir mais je n’y trouve aucun intérêt pour le moment. Je veux une musique contemporaine et fraîche, qui reflète le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Le monde électronique !”
PAN M 360 : Plus précisément, quels sont vos intérêts pour la musique électronique ?
STEVEN WILSON : “ C’est sans doute l’une de mes musiques préférées. J’ai toujours aimé la musique électronique. Cela a commencé quand j’étais enfant, avec Giorgio Moroder. Je suis devenu un grand fan de Karlheinz Stockhausen et le courant l’électroacoustique. J’aime aussi l’ambient, le drone, toutes les formes. Dans les années 90, j’ai découvert Aphex Twin, Autechre, Squarepusher, Boards of Canada, etc. J’aime aussi le néoclassique de Maxi Richter et Nils Frahm, ces artistes créent un hybride moderne à la fois inspiré de la musique classique et des courants récents, notamment la musique électronique. Cela a toujours été dans mon ADN musical. Il est donc tout à fait logique pour moi de faire de la musique électronique, je suis moi-même étonné de ne pas l’avoir fait avant ! Mais d’une certaine manière, je reviens à l’un de mes premiers amours dans la musique. J’ai grandi dans les années 80, j’étais donc entouré par OMD, Depeche Mode et tous ces groupes anglais férus de musique électronique.”
PAN M 360 : La musique instrumentale peut sans cesse évoluer, mais les possibilités texturales de l’électronique nous conduisent ailleurs, effectivement. Cela justifie votre démarche actuelle ?
STEVEN WILSON : “Oui. Le rock’n’roll a été la forme dominante de la musique pendant la deuxième moitié du 20ème siècle, et le jazz en a été la forme dominante pour la première moitié. Ces musiques ont suivi leur cycle naturel et aujourd’hui, je pense que la forme guitare-basse-batterie est étrangère à beaucoup de jeunes. La guitare n’est certainement plus à l’avant-plan dans le courant dominant, elle est devenue la trompette pour les fans de rock, l’instrument dominant d’une autre époque. Bien sûr, il y aura toujours des fans de jazz et des fans de rock, mais pour ce qui est du courant principal de la culture populaire, il ne fait aucun doute que l’électronique domine. Et ma musique est le reflet de cette réalité. Sans essayer de sonner d’une manière ou d’une autre, cependant, cette nouvelle proposition reste cohérente dans ma discographie.”
PAN M 360 : Les références de The Future Bites sont vastes, de la synth-pop au R&B en passant par le krautrock et l’IDM, somme toute parfaitement distinctes des cycles précédents.
STEVEN WILSON : “Oui. Je crois que mon public sera légèrement surpris et qu’il appréciera ce par la suite, car cela fait partie intégrante de mon univers musical. J’ai toujours aspiré à créer ce climat musical où l’idée de genre n’est pas pertinente. Dans cet album , j’ose croire qu’il ne soit pas possible de décrire ce que je fais en matière de genres. Tout ce que vous pouvez dire c’est que c’est de la musique de Steven Wilson. Mes modèles de jeunesse ont été David Bowie, Frank Zappa, Kate Bush, Neil Young, Tom Waits, le genre d’artiste qu’on ne peut pas décrire à travers un genre de musique. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’ils font leur musique. Je ne me compare pas du tout à ces grands artistes, mais d’un point de vue philosophique, c’est ce que je veux faire: créer mon propre genre musical, m’autoriser à le confronter à mon public. Vos fans vous accompagnent parce qu’ils respectent votre droit de faire des choses différentes. Ce n’est pas facile d’y parvenir, de ne pas être générique, de ne pas être facilement catégorisé. J’espère être devenu cet artiste. ”
PAN M 360 : Ne pourriez-vous faire tout autre chose à l’avenir ?
STEVEN WILSON : “ Absolument ! Cela étant dit, cet album n’est pas totalement différent des autres, c’est une évolution progressive de ma musique. Ce n’est pas un changement complet, c’est un mode d’expression légèrement plus direct avec une sensibilité plus pop. La guitare est minimisée sur ce disque, elle est jouée d’une manière plus abstraite, d’une manière plus sound design. L’instrument au premier plan de cet album est le synthétiseur. Car ce monde des sons dans lequel nous vivons est électronique. Les sons des jeux sur ordinateur, des téléphones portables ou même des sonneries de porte sont électroniques.”
PAN M 360 : Cette fois-ci, c’est la chanson qui compte. Votre musique est au service de la chanson. Dans le cycle précédent, vos excellents musiciens, tous des virtuoses, des shredders fantastiques, etc. Cette fois, tout est construit autour de la chanson.
STEVEN WILSON : “Oui, la guitare y est davantage un élément de conception sonore, un élément textural. Le seul guitariste sur ce disque, c’est moi et je n’ai pas la moindre aspiration à devenir un shredder. Je suis un auteur-compositeur-interprète qui utilise la guitare pour créer des sons pour ses chansons. Je ne suis intéressé que par l’utilisation d’outils au service de la chanson. Je joue donc de la guitare et d’autres instruments, la basse, tous les claviers… Je sais bien que certains sont légitimement intéressés à montrer ce qu’ils peuvent accomplir sur leur instrument, je suis personnellement intéressé à créer des chansons et de la musique. C’est donc mon disque le plus solitaire depuis de nombreuses années, soit avant la naissance de Porcupine Tree.”
PAN M 360 : Pourquoi cette sensibilité plus pop dans The Future Bites ?
STEVEN WILSON : “Cet album est beaucoup plus axé sur les mélodies, le chant et le son, pas vraiment sur les grands solos et la complexité musicale. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de sophistication : il est difficile de créer des chansons pop sophistiquées. Le fait que cet album ait plus d’accroches, des mélodies plus fortes, reflète une présence plus forte des chœurs.”
PAN M 360 : Album de neuf chansons… Pourquoi une telle brièveté ?
STEVEN WILSON : « J’avais près de 25 chansons à enregistrer mais je n’allais pas dépasser 45 minutes. C’est un disque de 42 minutes et j’en suis très fier! La plupart des albums classiques se trouvent dans la tranche des 35-45 minutes, l’attention naturelle de l’auditeur ne peut pas être plus longue que plus ou moins 40 minutes, alors… Vous savez, ce n’est pas facile d’exclure des chansons que vous aimez vraiment. »
PAN M 360 : Quels sont les artistes invités ?
STEVEN WILSON : “Ils surgissent ça et là, chacun sur une chanson. Nick Bates joue de la basse sur une, Richard Barbieri joue des claviers sur une autre. Il y a des chœurs… À mon sens, l’invité principal est David Costin, mon coproducteur. Je suis un grand fan de son travail – Bats for Lashes, Keen, Everything Everything, etc. Nous avons le même âge, nous avons grandi avec une inspiration similaire. David a une grande connaissance de l’histoire de la musique, mais il ne travaille jamais à la reproduire.
“Il m’a fait réaliser que certains de mes travaux précédents pouvaient se dissimuler derrière l’hommage. To the Bones est un hommage à la pop expérimentale des années 80, Hand.Cannot.Erase. est un hommage au rock progressif des années 70… Ainsi, David a été génial en m’empêchant de me confondre dans un autre hommage. Cela m’a vraiment rafraîchi, parce que je suis facilement aspiré, impressionné par des choses qui m’en rappellent d’autres que j’aimais déjà. David voulait au contraire me pousser à trouver quelque chose d’autre qui m’appartient totalement. Et donc, ce que j’aime dans Future Bites, c’est qu’il n’y a pas de références évidentes. Tout est là, mais je ne pense pas que les références musicales soient directes, ni qu’elles soient un hommage au passé.”
PAN M 360 : Comment, selon vous, peut-on éviter les références trop évidentes ?
STEVEN WILSON : “Lorsque nous prenons de l’âge, notre connaissance de l’histoire de la musique devient plus solide, nous sommes à même de reconnaître les références musicales lorsque nous écoutons de nouvelles productions. Prenons l’exemple de Kamasi Washington » le nouveau visage du jazz” selon plusieurs ; j’écoute sa musique, j’entends Pharoah Sanders, Alice Coltrane, des musiques que je connaissais déjà. Et alors ? Les références me sont-elles trop familières ? Peut-être… En revanche, j’écoute Billie Eilish, si jeune, sans doute peu au courant de toutes ces références… ce qui la conduit à être incroyablement rafraîchissante ! D’une certaine façon, son ignorance de la pop est pour elle un grand avantage.”
PAN M 360 : Comment adapterez-vous vos nouvelles chansons sur scène ? Un chœur et une armée de synthétiseurs ?
STEVEN WILSON : « Je commence à y réfléchir. Il y aura un groupe, si ce n’est pour jouer les chansons les plus complexes de mon répertoire. Il y aura des moments plus intimes avec moi et un accompagnement électronique. En fait, j’aurai toujours un groupe complet, même pour les aspects plus électroniques du nouvel album. Il y aura aussi des éléments plus forts pour le côté visuel du spectacle, images, films, éclairages, etc. Nous devrions amorcer la tournée en septembre prochain si la situation mondiale le permet, évidemment. »