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Les soirées Ultrasons commencent ce jeudi pour se conclure vendredi soir. En plus des deux œuvres installatives qui se tiendront dans deux locaux de la Faculté de musique de l’Université de Montréal, ce sont les œuvres de 18 étudiant·es qui seront présentées à la Salle Claude-Champagne à partir de 19h30. Nous avons eu l’occasion de poser quelques questions à quelqu’un des étudiants à propos de leurs œuvres, de même que sur leur influence et leur parcours et leur identité artistique.
PAN M 360 : Quel est votre parcours et qu’est-ce qui vous a incité à entreprendre des études en musique à l’Université de Montréal?
Matisse Charbonneau : N’étant pas issu d’un milieu musical, mon parcours est atypique : j’ai commencé à apprendre la théorie à l’université, à 23 ans. En 2022, après avoir acheté Ableton 11, j’ai compris que ce logiciel deviendrait mon outil principal. L’université m’a ouvert des portes et m’aide aujourd’hui à orienter ma pensée artistique.
Nicolas Bourgeois : Mon parcours musical commence par une formation en piano classique. Je développe un intérêt pour l’interprétation et, peu à peu, pour la création sonore. Plus tard, j’entreprends des études en psychologie en m’intéressant aux études de genre et aux théories queers. Dans un contexte de pandémie, j’ai interrompu mon cheminement universitaire pour revenir à une pratique artistique incarnée et engagée. En ligne, je découvre des œuvres numériques hétéroclites et des artistes qui œuvrent à l’intersection de l’art sonore et des technologies interactives. Cette exploration m’a mené à la musique numérique, un domaine où je peux articuler mes préoccupations sensibles à travers le son, le corps, et la performance. C’est dans cette perspective que j’ai choisi de poursuivre mes études en musique à l’Université de Montréal.
Z Neto Vinheiras : J’ai commencé par étudier la musique classique – ce n’était pas ma tasse de thé – mais j’ai continué toujours à jouer du piano, toujours en improvisant. J’ai fait des études en arts plastiques (sculpture) et un peu de cinéma et j’ai repris plus tard des études en musique acousmatique, après avoir déménagé en Belgique. Venir étudier à l’UdeM était une surprise. J’ai reçu une bourse pour un programme d’échanges sans trop savoir ce qui se faisait ici. Je l’ai vu comme une opportunité d’aller ailleurs, de voir l’autre côté de l’océan ce qui s’y faisait. Je suis très content·e avec ce que j’ai trouvé.
PAN M 360 : Quelle a été votre premier contact avec le monde des musiques numériques?
Matisse Charbonneau : Ma découverte du Dubstep à l’âge de 17 ans.
Nicolas Bourgeois : Je cible la découverte de musiciennes électroniques telles que SOPHIE et Arca comme mon point d’entrée dans les musiques numériques. Leurs compositions abrasives constituées de sons méticuleux m’ont donné envie d’ouvrir à mon tour une station audionumérique pour découvrir les mondes possibles de sculpter avec le son comme unique matière.
Z Neto Vinheiras : C’était en 2017 quand j’ai commencé mes études en sculpture. Une amie a découvert cette « époustouflante » façon de faire de la musique. On était tous deux sidérés par ce nouveau monde que j’ai continué à explorer sans avoir aucune idée ou même désir nécessairement de me rendre là où je suis maintenant.
PAN M 360 : Parlez de l’œuvre que vous allez présenter. Qu’est-ce qui vous a inspiré dans sa composition?
Matisse Charbonneau : Actuellement, des enfants, des familles, des milliers d’Ukrainiens et de Russes meurent dans une guerre politique totalement absurde. J’ai l’impression que nous nous désensibilisons, car le conflit semble toujours lointain. Pourtant, il est grave et concerne des sites sensibles comme Tchernobyl. Si des obus venaient à frapper cette zone protégée, les conséquences pourraient être catastrophiques pour nous tous. Je me sens impuissant face à cette situation, et j’ai ressenti le besoin de crier à travers ma musique. « Крик душі » (Kryk Dushi) signifie « Cri de l’âme » en ukrainien, une expression qui reflète profondément mon état intérieur.
Nicolas Bourgeois : À cette édition des Ultrasons, je présenterai une performance où des données corporelles de ma collaboratrice et moi sont captées en temps réel et interprétées par des algorithmes musicaux. Ces analyses prennent la forme d’une pièce électroacoustique évolutive et où le corps est à la fois un déclencheur, un instrument et un médium. Concrètement, je porte un dispositif de gants électroniques qui captent mes mouvements et transmettent ces données en temps réel à un système de traitement sonore. Ces signaux physiologiques sont traités par un ensemble d’algorithmes que j’ai conçu pour transformer le geste chorégraphique en geste musical.
L’œuvre s’inscrit dans une recherche sur les liens entre le corps, l’intimité et la technologie, dans une perspective queer et féministe. Nous sommes inspiré·es par les façons dont le son peut rendre audibles des états corporels souvent invisibles ou tus. Le dispositif agit comme un traducteur, un révélateur de l’espace entre nos deux corps, tout en laissant une part à l’aléatoire, à l’émotion et à l’erreur.
Z Neto Vinheiras : « here now all over again » est une performance semi-improvisée qui joue sur le feedback et un peu sur la psychoacoustique dans un système simple avec 2 guitares électriques, 2 amplificateurs, une station de no-input et quelques pédales d’effet. Je voulais continuer à explorer le phénomène de feedback, ce qui m’a toujours fasciné depuis que j’ai découvert la musique d’Eliane Radigue. C’est une manière de produire le son qu’on évite normalement, mais en prenant un point de vue, ou un point d’écoute plus créatif que destructif, on est amené à un type d’écoute très spécial: très lent, actif, très vigilant et très doux. Ça me « force » à ralentir, à être vraiment présent·e et à utiliser l’écoute comme instrument. Le fait que ce soit une approche aussi précaire aussi, qu’on peut presque le faire n’importe où et comment avec les outils les plus basiques et accessibles, me donne une flexibilité intéressante à explorer dans ma pratique et dans le style de vie que j’ai.
La musique de Nina Garcia et l’infâme album (que j’aime beaucoup) « Metal Machine Music » de Lou Reed et son dernier « Hudson River Meditations » m’ont certainement inspiré à utiliser la guitare électrique – un instrument que je ne maîtrise pas -, dans cette improvisation de feedback.
PAN M 360 : Qu’est-ce que le médium de la composition en musique numérique vous permet d’exprimer?
Matisse Charbonneau : La musique me permet d’exprimer des émotions profondes, à travers des sons qui me transportent ailleurs, me surprennent, me donnent des frissons. Elle me fait réfléchir, en touchant quelque chose d’intime, de personnel, qui résonne en moi d’une manière unique.
Nicolas Bourgeois : Je me concentre principalement sur l’élaboration d’interfaces sensibles qui captent des données de l’environnement (gestuelles, physiologiques ou spatiales) et traduisent ces informations en compositions musicales et numériques. Ainsi, mon travail sonore n’est pas fixé: il existe un moment de coprésence entre le corps, le dispositif et l’espace performatif. Ces possibilités créatives incarnées me forcent à m’interroger sur mon rapport avec mon corps queer lorsque celui-ci est détecté avec des composantes électroniques qui produisent du son. Quelles transformations émergent lors de l’utilisation d’un dispositif sensible pour réaliser une composition sonore en temps réel ?
Z Neto Vinheiras : En ce moment je ne fais pas trop de composition ou de musique numérique. J’essaie de m’éloigner le plus possible des écrans et je suis plus attiré par une approche physique et in situ de la performance improvisée, avec des instruments et/ou des objets. Si l’on peut appeler cela de la « composition en temps réel », l’improvisation me permet d’aller dans un état de présence profonde et de me sentir connecté à l’écoute et à l’environnement. Il n’y a pas de performeurs·ses ou de public, mais un écosystème vif, actif et activé par l’écoute. J’aime beaucoup jouer avec les éléments de risque et de surprise et rester curieux·se. Comme on dit : « whatever happens, happens! » Je trouve ça très spécial.
PAN M 360 : Comment qualifieriez-vous votre style musical et esthétique?
Matisse Charbonneau : Je suis convaincu que mon son est brut et violent, porteur d’une énergie instable et mystique qui le rend unique et intense. Je ne me situe dans aucun cadre ni genre ; je puise ici et là des éléments, me permettant de naviguer librement entre plusieurs univers. Avec un peu de prétention, j’aimerais qu’un jour on puisse dire : “J’écoute PIERRU.”
Nicolas Bourgeois : Je qualifie mon style d’hybride. Il s’inscrit à la croisée de la musique électroacoustique, de l’art sonore et de la performance, en mobilisant des outils numériques sensibles pour créer des œuvres affectives, politiques et ancrées dans le corps. Autrement, je puise de l’inspiration à partir d’imageries et de concepts liés à des pratiques BDSM. De toutes mes œuvres émane une vulnérabilité révélée, amplifiée, transformée.
Z Neto Vinheiras : Un mélange de noise, de drone et bien sûr d’improvisation
Consultez le programme du jeudi 24 avril et du vendredi 25 avril.