Semaine du Neuf: Projet Lonely Child, une nouvelle vie pour Vivier

Entrevue réalisée par Alexandre Villemaire
Genres et styles : musique contemporaine

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Dans le cadre de la Semaine du Neuf, qui rend hommage à Claude Vivier et autres compositeurs des Événements du Neuf (1979-1988),  le Groupe Le Vivier présente un concert aux accents multidisciplinaire : le Projet Lonely Child. 

Porté par la soprano Stacie Dunlop, les artistes Angola Murdoch (tissu aérien), Holly Treddenick (cube aérien) et le Lonely Child Collectif revisite en première mondiale trois œuvres du compositeur pour un concert exceptionnel où le chant, le cirque, la danse et la musique se rencontrent dans une mise en scène spectaculaire. 

PAN M 360 s’est entretenu avec David Therrien-Brongo, percussionniste, pédagogue et chercheur qui accompagnera, avec le Quatuor Bozzini, les artistes du concert pour parler de son implication dans le projet, mais aussi de la musique de Claude Vivier en général.

PAN M 360 : Pourriez-vous nous faire la genèse du projet Lonely Child ?

DAVID THERRIEN-BRONGO : Ce projet vient de Stacie Dunlop. Je suis arrivé dans le projet par la suite parce qu’elle voulait intégrer des chorégraphies sur la pièce Cinq chansons pour percussions de Claude Vivier. Quand ils ont su que je la jouais, parce que ce n’est pas une pièce qui est interprétée très souvent et que j’avais les instruments pour la faire, ils m’ont contacté au lieu d’utiliser un enregistrement.

PAN M 360 : C’est le fait que vous jouez cette pièce dans le cadre de vos études de doctorat qui a piqué leur intérêt.

DAVID THERRIEN-BRONGO : Exact. C’est une pièce que je joue depuis un certain temps. J’en avais fait une réorchestration où au lieu d’utiliser les gongs indonésiens j’utilisais les marimbas, parce que je n’avais pas les gongs nécessaires. Je l’ai jouée il y a quelques années en Espagne et en finale du Prix d’Europe à Montréal. Entre-temps, j’ai fait les démarches pour acquérir les instruments originaux que Vivier avait utilisés pour la création de l’œuvre, donc ceux du percussionniste David Kent basé à Toronto. Je vais  donc présenter la pièce à mon récital final en mai et j’ai également endisqué la pièce pour un album qui devrait sortir l’été prochain.

PAN M 360 : Lonely Child est une pièce phare de Claude Vivier qui a une certaine importance parce qu’il s’est inspiré de la musique spectrale. Pouvez-nous en dire un peu plus sur ce changement de paradigme dans son écriture?

DAVID THERRIEN-BRONGO : La musique de Claude Vivier, surtout Lonely Child, Orion, Wo bist du Licht!, est marquée – et ça, je pense que c’est unique à lui – par une sorte de spectralisme timbral. Donc, ce n’est pas seulement de prendre une note et de jouer avec son spectre harmonique, mais de jouer avec le timbre. Par exemple avec Lonely Child, tout est écrit autour du son du rin (cloche japonaise) duquel il va reprendre le timbre, qui n’est pas nécessairement pur, pour écrire son harmonie. Orion c’est la même chose où il va se baser sur les sons de certains gongs balinais, javanais, thaïlandais. Cela fait en sorte que son écriture harmonique est principalement basée sur la percussion. C’est ce qu’il essaie de reproduire, notamment dans des accords imposants qui imitent le son d’un gong.

PAN M 360 : La musique de Claude Vivier se prête bien aux arts du cirque d’après vous ?

DAVID THERRIEN-BRONGO :  Je crois que oui. Je crois que c’est vraiment intéressant, surtout pour les Cinq chansons. Ce sont des pièces très poétiques et méditatives par moments. La pièce sectionne cinq moments un moment dans la journée ou dans la vie quotidienne. Chaque petit mouvement a vraiment une personnalité propre qui est très adaptable à la danse ou aux différents arts visuels.

PAN M 360 : En tant que musicien, travailler avec d’autres artistes vous demande de vous adapter à leur jeu et à leurs paramètres ou encore doivent-ils s’adapter aux paramètres de la musique ? Quel est  le processus créatif qui intervient dans des co-créations comme celle-ci où on jumelle deux types d’art ?

DAVID THERRIEN-BRONGO :  D’abord c’est sûr qu’on travaille différemment. Nous  apprenons notre musique pour le concert, mais une fois qu’elle est prête, elle est prête, alors que ceux qui ont des chorégraphies à préparer ont besoin de la musique en amont. Ce qui fait qu’on ne peut pas monter le spectacle au même rythme. La musique doit être prête pour que les chorégraphes puissent travailler et ensuite on met tout ça ensemble. Par exemple, on m’avait demandé ma version enregistrée pour travailler, mais mon enregistrement n’est pas encore prêt, ce qui fait que le travail s’est fait avec un autre enregistrement duquel je me suis inspiré. Donc, c’est sûr qu’il va y avoir encore du travail à faire avec la danseuse pour adapter certains moments où par exemple je vais faire certains points d’orgue plus longs ou plus courts, dépendant de ce que la chorégraphie apporte, et à d’autres moments, ce sera peut-être à Holly [Treddenick] de s’adapter à ce que je fais. L’important, et ça c’est pour n’importe quelle collaboration multidisciplinaire, c’est de comprendre les enjeux de l’autre forme d’art et de s’adapter mutuellement.

PAN M 360 : Est-ce qu’on peut voir dans cette démarche un peu une forme d’œuvre d’art totale (gesamptkuntswerk), comme le voyait Richard Wagner, soit une forme de synthèse de toutes formes d’art pour créer  quelque chose qui captive le public ?

DAVID THERRIEN-BRONGO : Oui, tout à fait. Et, même si la musique de Vivier, notamment Cinq chansons, n’a pas été écrite avec cette intention, je crois qu’il y a  beaucoup d’œuvres de Vivier, et de son corpus de façon générale, qui sont pensées comme ça. Ne serait-ce que parce qu’il écrivait ses livrets lui-même, ou que sa musique a beaucoup été inspirée par la musique balinaise, mais aussi – et ça on n’en parle moins, par la musique de l’Extrême-Orient, de la Thaïlande, du Japon et du théâtre Nô. Il y a toujours une part de théâtralité dans sa musique même si au-delà des types de mouvements, il n’y a pas vraiment d’indications dans la partition.

Mais, si on se fie à d’autres œuvres qu’il a écrites à peu près au même moment, notamment Journal, une pièce pour chœur, quatre solistes et percussionniste, que je vais interpréter dans un autre concert avec le Chœur Temps Fort, est une sorte d’oratorio non religieux, avec une d’histoire, qui n’est pas linéaire, Le percussionniste doit aussi prendre part à l’action. Je dois parler, interagir avec les solistes également. Donc, pour le Projet Lonely Child, même si les œuvres n’ont pas été pensées dans le cadre d’une œuvre d’art totale, ça s’y prête bien.

PAN M 360 : Pour conclure, quelle place Claude Vivier occupe-t-elle dans le monde de la musique au Québec selon vous ? 

DAVID THERRIEN-BRONGO : Il n’occupe pas la place qui lui revient. Il est à mon sens le plus grand compositeur québécois, canadien. Sa musique est unique. C’est vrai qu’on peut dire ça de plusieurs compositeurs, on peut dire ça de Stockhausen par exemple, de qui il était proche par ailleurs. Mais Vivier, sa musique c’est surtout qu’elle est accessible sans pour autant être facile. Et ça, ce n’est pas donné à tout le monde. 

Ce n’est pas une musique qui, à l’écoute, est intellectuelle et où il y a des barrières. Il y a une naïveté dans la perception de sa musique, même si elle est réfléchie, pensée et difficile à jouer. C’est sûr que la musique « classique » contemporaine est toujours un peu le parent pauvre dans les débats autour des arts contemporains, mais son nom devrait être plus écouté et plus joué.

En musique, son nom, et celui de Gille Tremblay qui a été son professeur, sont les équivalents de ce que Michel Tremblay est à la littérature. Même s’il n’a pas enseigné, Vivier a marqué tous les compositeurs après lui et tous les interprètes également qui ont fait de la musique contemporaine; on lui doit beaucoup pour ce qu’il a apporté. Et ce n’était pas quelqu’un qui se prenait pour quelqu’un d’autre.

Le Projet Lonely Child, dans le cadre de la Semaine du Neuf, est présenté au Monument National à 21h, le jeudi 9 mars. Le spectacle sera précédé d’une table ronde animée par Marie-Annick Béliveau à 18h et d’une projection de Michael Greyeyes à 19h.

INFORMATIONS ET BILLETS, C’EST ICI

PROGRAMME

Claude Vivier : Cinq chansons, 1980 pour percussion

Claude Vivier : Hymnen an die Nacht1975 (arr. de Scott Good) pour  voix et quatuor à cordes

Claude Vivier : Lonely Child1980 (arr. de Scott Good) pour  voix en direct, instruments préenregistrés et deux danseuses aériennes

PARTICIPANTS

Stacie Dunlop (voix)

Angola Murdoch (tissu aérien)

Holly Treddenick (cube aérien) 

David Therrien-Brongo (percussions)

Quatuor Bozzini

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