Semaine du Neuf: Hommage à Claude Vivier

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : musique contemporaine

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Lorraine Vaillancourt, le Nouvel Ensemble Moderne qu’elle dirige et la soprano Myriam Leblanc lancent ce mardi la Semaine du Neuf consacrée au compositeur québécois Claude Vivier (1948-1983).

Complété par une œuvre de Marko Nikodijevic en hommage au compositeur, trois œuvres de Vivier seront exécutées à la Salle Claude-Champagne (U de M) dans le contexte de son 75e anniversaire de naissance et d’une série de concerts lui étant consacrés.

En référence aux Événements du Neuf qui furent, quatre décennies plus tôt, une plateforme de lancement de son travail (entre autres compositeurs), cette Semaine du Neuf honore sa mémoire, celle d’un compositeur québécois parmi les plus marquants de sa génération et de la musique contemporaine en général, toutes époques et nations confondues.

Collègue et amie proche de feu Claude Vivier, assassiné à Paris à la manière dont avait péri l’écrivain et cinéaste italien Pier Paolo Pasolini, Lorraine Vaillancourt, directrice artistique et fondatrice du Nouvel Ensemble Moderne, nous raconte sa complicité avec ce créateur singulier au destin tragique.

PAN M 360 : Commençons par Claude Vivier, que vous avez côtoyé à l’époque. Plusieurs croient aujourd’hui que son œuvre inachevée demeure extrêmement importante. Quel est votre point de vue à ce titre?

LORRAINE VAILLANCOURT : Effectivement, son œuvre est constante et réussie. Peut-être serait-il allé sur des chemins différents… Mais il avait déjà toute sa force, sa beauté, sa lumière. C’est une musique vraiment unique! J’ai un attachement vraiment particulier à Vivier, sa musique me touche. Quand on dirige un ensemble, on essaie d’avoir un certain recul, c’est le public qui est ému, ce n’est pas nous. On gère, on s’investit mais… Mais chaque fois que j’ai dirigé sa musique, notamment 3 de ses œuvres que j’ai créées, il y a des moments où on s’élève.

PAN M 360: Et comment s’élève-t-on avec Vivier ?

LORRAINE VAILLANCOURT: C’est le sentiment que je ressens parce que c’est une musique qui peut être très, très dense et tout à coup, soit par une rupture de dynamique ou par un unison subit, les choses s’éclairent. On respire. C’est pour ça que le mot lumière vient tout le temps quand je parle de sa musique. Ça reste de grands moments, et je ne peux que regretter aussi qu’il n’ait pas composé pour le Nouvel Ensemble Moderne qu’il n’a pas connu. Il y a de la musique de chambre, des solos, des duos, autrement les grandes œuvres requièrent de grandes formations. Alors pour nous, ça réduit déjà le bassin qui nous mène à faire et refaire ses œuvres.

PAN M: La voix est au cœur de son œuvre et vous en témoignerez mardi.

LORRAINE VAILLANCOURT : Il adorait la voix. C’est d’ailleurs à travers sa pièce extraordinaire pour cette voix de femme que je suis entrée dans la musique de Claude. Il était à la faculté (de musique de l’Université de Montréal), moi j’y suis arrivée en 1970, il était là en 1972-73, il préparait un opéra pour son doctorat, et les étudiants de mon atelier à l’époque. La voix reste donc un instrument qu’il a privilégié. Je ne dirais pas qu’il les torture, mais pour une chanteuse c’est vraiment très exigeant. Ça demande des poumons d’acier, ça s’installe dans de longues durées, il faut être très campée!

Alors je suis ravie de faire les Trois airs pour un opéra imaginaire, soit la dernière œuvre qu’il a vraiment écrite jusqu’au bout. Et reprendre Bouchara que l’on avait fait au 25e anniversaire du NEM à la Maison symphonique. Je reverrai cette ville étrange, écrite à l’origine pour Arraymusic, je ne l’avais pas faite et c’est très particulier. On aurait pu choisir une instrumentation différente mais j’ai pris l’instrumentation originale, c’est écrit un peu comme L’Art de la fugue, avec une instrumentation choisie. C’est à l’unisson pour la voix, ce sont des mélodies très difficiles à exécuter parce que c’est nu, parfaitement à découvert .

PAN M 360 : À l’époque, soit au tournant des années 80, les profanes de la musique contemporaine qui s’y initiaient avaient l’impression d’être chez Vivier dans un monde différent du reste du répertoire contemporain. Pourquoi donc ?

LORRAINE VAILLANCOURT : Je peux comprendre, car c’est un monde où on a envie d’aller! (rires). Claude n’était pas de cette école même s’il ne reniait pas ces tendances de la modernité. Il était très harmonique, il travaillait sur des enchaînements d’accords, il n’était pas un contrapuntiste, donc toute cette musique de la complexité, ça ne se trouvait pas dans son langage ? Il était plutôt dans la mélodie, la psalmodie, la musique modale, tout utilisant avec justesse les codes de la modernité. Quand il détournait l’univers sonore, il pouvait en faire son grain, ce qui incluait aussi des choses très bruiteuses. Alors dans sa musique, il y a une densité au niveau de la trame assez marquée, d’une certaine violence. Il y a ces ruptures qu’on reçoit toujours physiquement.

PAN M 360: Quel était son rapport à son œuvre ?

LORRAINE VAILLANCOURT: Il aimait beaucoup sa musique, ce qui est quand même une particularité ! (rires) Quand il en parlait, en fait, c’était vraiment comme si ce n’était pas lui qui l’avait composée. C’était plutôt comme s’il l’avait reçue du divin à la manière d’un créateur à l’ancienne. Au-dessus de sa tête, un ange qui lui disait “Note ça, ça va être beau !” (rires) Quand il composait, il nous téléphonait, parfois très tard le soir, ça ne pouvait pas attendre. « Écoute, comme c’est beau ! » Et il se mettait à son piano complètement désaccordé, il nous en jouait des bouts. Il était transporté par le résultat. C’était un inspiré. Très inspiré, donc inspirant.

PAN M 360: Cet amour de sa propre musique, c’était donc autre chose que du narcissisme ?!

LORRAINE VAILLANCOURT: Une chose est sûre, c’est que ce n’était pas gratuit tout ça. Ce n’était pas mécanique. Claude Vivier n’était pas un compositeur de métier qui aurait écrit 6 heures par jour sur un même modèle. Il n’a peut-être pas eu le temps de tomber là-dedans peut-être… Il était toujours dans l’urgence. Ce qui fait la différence entre les compositeurs de génie et les autres, c’est cette force qu’on ne peut qu’admirer.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Il a beau avoir exactement le même langage que l’autre à côté, mais l’autre est plate et lui est intéressant? Il y a des choses qui sont transcendantes et qu’on ne peut pas vraiment expliquer avec des mots. C’est comme le vin: on a beaucoup de mots pour expliquer le vin et finalement, c’est au goût que ça se décide. Les mots n’expliquent pas non plus la magie de Claude Vivier, cette aura de mystère et de spiritualité qui émanent de sa musique.

PAN M 360 : Trois airs pour un opéra imaginaire, Bouchara, Et je reverrai cette ville étrange. Pourquoi ces œuvres sont-elles précisément au programme de mardi ?

LORRAINE VAILLANCOURT : Vu qu’il s’agit d’un bassin restreint d’œuvres que l’on peut mettre à notre répertoire pour un concert de musique de chambre, on s’est retrouvé avec 3 œuvres des dernières années de sa vie. Il a vécu si peu et moi je l’ai fréquenté pendant 10 ans de ma vie… Ce n’est pas si énorme.

J’avais créé son opéra en 1979 et les œuvres qu’on joue ont été composées en 1981 et 1982. Il était déjà dans un univers très évolué, sa pensée était claire. Ça a orienté le choix, et j’avais aussi très envie de faire Bouchara, une chanson d’amour dédiée à son amant de l’époque (Dino), c’est d’ailleurs le seul mot que l’on comprend sauf quelques fragments d’allemand.

PAN M 360: N’y a-t-il rien à comprendre ?

LORRAINE VAILLANCOURT: Il utilisait toujours cette langue inventée (sauf quelques rares mots) qui est extrêmement expressive. Néanmoins il a dit beaucoup de choses avec ces mots inventés et on en comprend finalement le sens, ce qui est vraiment extraordinaire. Il arrivait à mettre cette langue inventée dans la bouche des chanteurs et chanteuses, c’était fabuleux. Je me souviens quand il avait fait son opéra Kopernikus, le personnage principal, Agni, avait été écrit pour la chanteuse Jocelyne Fleury. Il n’y a pas vraiment d’histoire dans cet opéra, c’est un rituel plus qu’autre chose. Mais il savait à qui il s’adressait, elle me disait alors “si j’avais inventé ce langage, je l’aurais fait de la même manière”, comme s’il avait trouvé le moyen de transmettre la tendresse.

PAN M 360 : La Semaine du Neuf fait référence aux Événements du Neuf, soit l’époque précise où vous fréquentiez Claude Vivier.

LORRAINE VAILLANCOURT : Ce fut une période extrêmement nourrissante, nous avions continué jusqu’en 1988, soit peu avant la naissance du Nouvel Ensemble Moderne (NEM), Claude n’était déjà plus là mais le point de départ avait été ses chants et une œuvre de José Evangelista. C’’était super, l’interprétation des jeunes était magnifique. De là était né notre désir de faire rayonner cette musique, la sortir de nos petits locaux, la jouer ailleurs qu’à l’université, faire entendre des compositeurs qu’on n’entend pas. L’idée n’était pas de mettre les individus en avant, mais plutôt de brasser un peu la cage, présenter des choses qu’on n’aurait pu présenter autrement.

PAN M 360: Les événement du neuf, c’était avant tout un noyau d’artistes ayant marqué notre musique contemporaine: Claude Vivier, Lorraine Vaillancourt, José Evangelista, John Rea, Denis Gougeon, Rémi Lapointe, Léon Bernier. Quel était le contexte?

LORRAINE VAILLANCOURT: Ça avait commencé en février, mars et avril 1979. C’était toujours présenté le 9 du mois, à 9h PM, on changeait de salle à chaque mois. John Rea, qui était un ami de José Evangelista, s’était rapidement joint à l’équipe suivi de Denis Gougeon. Chaque semaine, nous aimions nous retrouver à discuter de nos programmes et thématiques. C’était sans limites… parce qu’il n’y avait à peu près pas de budget ! (rires)

Nous avions tous déjà eu accès à plusieurs concerts (surtout en Europe), nous avions absorbé beaucoup de musique, on se nourrissait les uns les autres. On avait aussi envie de sortir de la stricte musique, nous avions fait aussi des spectacles avec de la danse, de la poésie sonore, etc. et donc certains programmes pouvaient quitter le monde de la musique instrumentale.

Et puisque nous n’avions pas d’ensemble fixe, les musiciens de mon atelier avaient beaucoup contribué. Les concerts gratuits étaient présentés dans le contexte universitaire, les musiciens pouvaient ainsi être payés. Alors je mettais ces œuvres au programme et ça faisait partie de leur formation en même temps. C’est une période très excitante que je n’oublierai jamais.

LE PROGRAMME HOMMAGE À CLAUDE VIVIER EST PRÉSENTÉ CE MARDI, 19H30 À LA SALLE CLAUDE-CHAMPAGNE DE LA FACULTÉ DE MUSIQUE DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

INFOS ET BILLETS, ICI

PROGRAMME

  • Marko NikodijevicChambres des ténèbres / Tombeau de Claude Vivier , 2005
  • Claude VivierTrois Airs pour un opéra imaginaire , 1982
  • Claude VivierBouchara , 1981 pour soprano, quintette à vent, quatuor à cordes et percussions
  • Claude VivierEt je reverrai cette ville étrange , 1981

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