RRobin et les Mamans du Congo : Les sons et les bruits pour inspiration

Entrevue réalisée par Yohann Goyat

Le chant des femmes émancipées congolaises mis en lumière et produit par le beatmaker RRobin, mélangeant rythmes complexes et sonorités électroniques.

Genres et styles : afropop / électronique

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L’émancipation de la femme africaine passe aussi par la musique. Au travers de cette rencontre entre les Mamans du Congo et l’artiste RRobin, il s’agit de mettre en lumière le quotidien de ces femmes extraordinaires dont la place dans la société reste encore trop marginale. Mené par Gladys Samba, figure emblématique du Congo, le collectif des Mamans raconte l’histoire de son peuple sur des rythmiques complexes jouées avec fourchettes, paniers, assiettes et matériaux de récupération. Un projet haut en couleur et original pour RRobin, grand amateur depuis sa tendre enfance des bruits et sons qui nous entourent. Le producteur et beatmaker revient sur ce voyage musical qui l’a mené à Brazzaville et la rencontre avec le collectif les Mamans du Congo.

PAN M 360 : Quand et comment le projet a-t-il vu le jour ? Comment la connexion s’est faite avec les Mamans du Congo ?

RROBIN : À l’origine de ce projet, c’est une initiative de la Coopérative de Mai (salle de spectacle de Clermont-Ferrand), l’institut français de Brazzaville et du label Jarring Effects qui m’ont mis en contact avec les Mamans du Congo. Tout a commencé il y a un an quand Céline Frezza (codirectrice du label et ingénieure du son) et moi-même avons rencontré Gladys Samba au studio de musique à Brazzaville. Gladys est la leader du groupe et a une certaine renommée au Congo. Nous avions dix jours pour réaliser cet album et tout s’est fait naturellement. Le délai était court et j’ai dû travailler dans le rush. Cela dit, je suis plus productif et cela me permet de travailler à l’instinct aussi. C’était un mal pour un bien. Tout a été conçu sur place. Je suis venu avec mon ordinateur, mon synthétiseur et tout a été pensé et enregistré au studio.

PAN M 360 : Qui sont ces Mamans du Congo et quelle place occupent-elles, tant sur la scène musicale que dans la société ?

RROBIN : Les Mamans du Congo est un collectif de femmes congolaises mené par la chanteuse et percussionniste charismatique Gladys Samba. Ce ne sont pas toujours les mêmes qui font partie du groupe. Elles accompagnent bien souvent Gladys et rajoutent les chœurs sur l’album. La place de la femme dans l’industrie musicale, comme dans la société, est assez particulière au Congo. Là-bas, souvent, le mari leur donne un ultimatum : soit tu chantes, soit tu restes à la maison. Dans ce contexte-là, c’est pour ça que les Mamans du Congo ne sont pas toujours les mêmes. Ces femmes et mères de famille apportent aux textes une vraie authenticité, tant dans les voix que dans les textes qu’elles chantent en Lari (leur dialecte local).

PAN M 360 : À ce sujet, quels ont été les thèmes abordés par les Mamans du Congo dans leurs textes ?

RROBIN : Alors, c’est drôle, car je n’ai jamais vraiment connu la signification de leurs textes jusqu’à ce que Gladys Samba et son mari viennent me rendre visite en France. Le voyage à Brazzaville a été rapide, dix jours, et nous n’avons pas eu assez de temps pour échanger. Cependant, en France, nous avons longtemps discuté et j’ai enfin appris ce que ça voulait dire. Gladys et les Mamans parlent principalement du rôle de la femme et de son émancipation dans une société encore très patriarcale. Elles mettent aussi en lumière les chants ancestraux et les berceuses de leur enfance qu’elles veulent transmettre aux nouvelles générations. Un patrimoine culturel important auquel elles tiennent et notamment l’histoire de leur peuple ainsi que leur quotidien. Ce sont des femmes libres, qui poussent les autres à s’émanciper et ont des engagements très forts qui les poussent notamment à se battre pour faire reconnaître le statut de la femme. Elles sont impliquées dans la société et se disent fières d’être féministes.

PAN M 360 : D’ailleurs, quelle place occupe la musique dans la société congolaise et plus précisément à Brazzaville où vous avez enregistré l’album ?

RROBIN : Dans les rues de Brazzaville, la musique est omniprésente. Au Congo, tout est musique. La musique fait partie de la vie quotidienne. Ce qui se joue principalement, c’est le rap et l’électronique. Il y a une grosse influence française inévitable et j’ai pu entendre beaucoup jouer la musique du rappeur français Niska. La musique électronique connaît un essor aussi de par la notoriété de certains artistes comme Spoek Mathambo, grande figue d’Afrique du Sud, qui rappe et produit également. J’avais d’ailleurs travaillé avec lui sur mon précédent album Déluge avec le titre Contact. Sur ce nouvel album avec les Mamans du Congo, j’ai également travaillé avec le grand Armel Malonga (mari de Gladys), bassiste du légendaire chanteur congolais ZAO, et qui a officié à la direction artistique du projet. Tout un collectif qui fait briller à l’international la musique congolaise depuis quelques années.

PAN M 360 : Quelles sont les différences entre une production avec les Mamans du Congo et une production pour Déluge ou IN (album instrumental), qui sont sortis respectivement en 2018 et 2020, et comment avez-vous composé avec elles ?

RROBIN : Il n’y en a quasiment aucune. Je ne crée pas des sons en fonction d’un style musical et encore moins des artistes avec lesquels je vais collaborer. En fait, les voix des artistes résonnent dans ma tête, par exemple avec le rappeur Grems présent sur bon nombre de mes projets et notamment à mes côtés avec The Imposture, l’un d’entre eux. J’ai une relation particulière avec lui, car sa voix est tout ce qui me fait tripper et elle résonne dans ma tête.

Chaque son que je produis, je vois déjà quelle voix je verrais se poser dessus. Avec les Mamans du Congo, ça a été complètement différent. La majeure partie des sons de l’album a été enregistrée à la suite d’improvisations. Parfois les Mamans et Gladys partaient dans des délires et une transe musicale extrême et l’alchimie opérait, c’est ça qui était fantastique et qui faisait le charme et l’authenticité des sons. En plus de ça, la musique africaine va de pair avec la danse. C’était tout un spectacle dans le studio !

PAN M 360 : Sur certaines chansons comme Sans Pagne et Meki, Gladys Samba rappe avec un rythme soutenu. A-t-elle pris l’initiative de chanter comme cela, car ça n’est pas tout à fait dans son registre, comparé à un titre comme Ngaminke ?

RROBIN : C’est complètement son style en fait (rires) ! On lui a même fait remarquer avec Céline (ingénieure son). Mais son flow est tout à fait naturel. Si tu écoutes son album solo (Absence, de 2018), c’est assez flagrant dans la façon qu’elle débite les mots. Mais la beauté de la voix de cette artiste réside dans le fait qu’elle arrive autant à rapper sur un titre comme Sans Pagne que de ramener beaucoup de douceur sur une berceuse avec le titre Mwana Wu Dila. Quand elle chante, elle y met toute son âme, son cœur, ses tripes et tu le ressens à chaque prise de parole. Pour autant, il n’y a pas eu de prise d’initiative personnelle, c’est venu tout naturellement et en improvisation aussi en fonction du rythme employé sur chacune des chansons.

PAN M 360 :  Quel rapport entretenez-vous avec la musique, que signifie-t-elle pour vous ?

RROBIN : La musique pour moi est un moyen d’expression sans règle ni contrainte. Une liberté de création totale dans laquelle j’ai découvert le plaisir de l’émotion simple. À l’âge de cinq ans, mes parents m’ont fait le cadeau de m’inscrire au conservatoire. Dans la pratique musicale, il y avait beaucoup de contraintes et beaucoup de règles pour assez peu de plaisir. C’est à la sortie de l’école que j’ai monté mon propre groupe avec des amis, mais là encore j’étais frustré d’interpréter et non de créer. C’est à l’université, en option « musique assistée par ordinateur », que j’ai eu cette révélation. J’avais là un outil de création avec des possibilités infinies qui s’offraient à moi. C’est à force de bidouiller et triturer des sons sur mon ordinateur que j’en suis arrivé à collaborer avec des artistes de la scène rap et électronique, jusqu’à l’an dernier et le projet avec les Mamans du Congo.

PAN M 360 :  Les bruits et les sons, ça vous connaît, puisqu’ils sont à la base de toutes vos créations musicales. Comment avez-vous procédé à la création des sons de cet album ?

RROBIN : En effet, depuis tout petit je suis attiré par les sons et les bruits qui nous entourent. Dans la voiture déjà j’étais fasciné et hypnotisé par le bruit des essuie-glaces et des clignotants. Je me suis vite mis à créer mes propres sons, à triturer, bidouiller tout ce qui me passait dans les mains. J’ai un ordinateur portable vieux de quinze ans, mais un logiciel de composition musical précieux sur lequel je bosse depuis de très longues années et à l’aide duquel je crée tous mes presets. Un cadeau de ma copine, que je ne lâche plus. Je crée tous mes sons et mes samples là-dessus, en plus d’un synthétiseur bien basique. J’utilise aussi des samples que je trouve, mais comme tout bon beatmaker, je les triture au maximum afin d’éviter qu’on les reconnaisse. Sans nul doute que ce projet a été un bonheur pour moi à enregistrer. J’étais dans mon élément à mixer tous ces bruits d’assiettes, de fourchettes, de paniers, de matériaux de récupération. C’était une expérience extraordinaire.

PAN M 360 :  Comment voyez-vous la version live de cet album, et une tournée était-elle envisagée ?

RROBIN : Oui en effet une tournée avec les Mamans était prévue au programme pendant tout l’été, ici au Congo, mais aussi en Europe. La musique africaine va de pair avec la danse. C’est dans leur culture, dans leurs gênes, leur sang. Alors, sur scène les Mamans auraient dansé et chanté sans aucun doute, j’aurais été aux platines avec mon synthétiseur pour jouer live par moments et un percussionniste aussi pour rajouter de la vie. Malheureusement, comme vous pouvez vous en douter, elle a été annulée à notre grande tristesse, mais ce n’est que partie remise, on l’espère.

PAN M 360 :  Cette période forcée de confinement est propice à la production de contenu, comment voyez-vous la suite des évènements de votre carrière ?

RROBIN : Je garde beaucoup les pieds sur terre et j’ai repris mon métier d’éducateur spécialisé auprès des enfants handicapés. Je ne considère pas ma passion de beatmaker comme un métier. Je veux rester moi-même, fidèle à mes convictions et libre de faire ce qui me plaît. Avoir une carrière de producteur à temps plein signifierait potentiellement accepter tout et son contraire et ça n’est pas ma vision des choses. Je veux faire ce que je veux et quand je veux. Collaborer avec qui je veux et être libre artistiquement. Cependant, je continue toujours la création, à mon rythme et au gré des rencontres humaines que je fais dans la vie. Je bidouille toujours mes sons et je les envoie aux artistes et ami(e) à qui ils pourraient correspondre. Le partage est la meilleure chose qui soit.

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