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Les jeudi 7, vendredi 8 et samedi 9 octobre, Le Vivier présente trois programmes distincts, impliquant les ensembles Sixtrum, Novarumori et Airs. Ainsi, 13 œuvres dont 5 créations du Québec et de l’Europe seront révélées au public mélomane. Ces concerts s’inscrivent dans la série Résonance croisée – résidences et créations musicales Québec/Europe, projet d’envergure internationale dédié à la musique de création.
L’objet de ces concerts est de créer des ponts avec l’Europe dans le contexte exceptionnel de la salle multimédia de l’École de musique Schulich (prononcer l’acronyme CIRMMT comme la célèbre grenouille Kermit des Muppets) et à la salle Tanna Schulich de l’Université McGill. Ces programmes sont aussi offerts en webiffusion.
La série Résonance croisée a été mise sur pied de concert avec l’European National Institutes for Culture (EUNIC), partenaire principal du Vivier dans cette ambitieuse opération. Plus précisément, sept pays sont représentés via un « maillage de l’expression et des écoutes mutuelles des artistes et des créateurs » : France, Italie, Allemagne, Espagne, Suisse, Autriche et Québec/Canada.
Ces concerts résultent de résidences et de créations musicales croisées favorisant la rencontre d’interprètes et compositeurs québécois et européens, et la mise en perspective d’approches diverses. Le prochain volet de Résonance croisée est prévu en avril prochain.
En marge de ces deux séries de concerts, des rencontres interuniversitaires réunissent des étudiants de la Hochschule de Dresden, du Pôle supérieur de Boulogne Billancourt et du Vivier InterUniversitaire (VIU) autour de cinq classes de maître en ligne en lien avec la programmation, en présence des compositeurs Carmine Emanuele Cella, Jean-Luc Hervé, Mark Andre, Séverine Ballon, Paul Hauptmeier et Martin Recker.
1. Fabrice Marandola, percussionniste, membre de Sixtrum et très impliqué au CIRMMT, nous parle du concert présenté ce jeudi, 19h30.
PAN M 360 : Sixtrum procède à la création du triptyque Inside-out du compositeur italien Carmine Emanuele Cella, « qui offre un nouveau paradigme d’écoute, dans lequel les propriétés immersives de l’espace sont intégrées aux instruments. » Quelles sont ces « propriétés immersives »? De quelle manière ces propriétés immersives sont-elles intégrées? Comment les instruments ont-ils été spatialisés au CIRMMT?
Fabrice Marandola : Ces propriétés immersives tiennent à l’idée de Carmine de changer le dispositif habituel, d’un instrument (local) dont le son amplifié est joué dans des haut-parleurs (pour une diffusion globale). Dans son dispositif, les instruments deviennent les haut-parleurs (nous n’utilisons de fait aucun haut-parleur pour cette musique mixte, acoustique et électronique), mais les instruments sont distribués tout autour de la salle. Par ailleurs, tous les instruments sont reliés entre eux, ce qui fait que les vibrations d’un instrument situé dans un coin de la salle mettent en résonance un instrument situé à l’autre bout de la salle, etc. De ce fait, les instruments qui sont tout autour de la salle constituent finalement un seul méta-instrument, à l’intérieur duquel se trouve le public, alors totalement immergé dans le son.
PAN M 360 : « Le compositeur fait appel à de nouvelles technologies et au traitement d’algorithmes d’intelligence artificielle pour créer des instruments de percussion augmentés ». Concrètement, de quelle manière les algorithmes d’intelligence artificielle opèrent-ils dans ce triptyque?
Fabrice Marandola : Dans sa recherche artistique, le compositeur s’ appuie sur des algorithmes de reconnaissance du geste, qui permettent à leur tour de simuler des « quasi-instruments » lorsqu’on en applique les données à des systèmes de modulation de synthèse . On obtient ainsi des instruments qui n’existent pas vraiment, mais qui sont « plausibles » (selon les termes de Carmine), en ce que leurs qualités acoustiques sont proches de vrais instruments, mais sans vraiment les imiter. Cela permet de découvrir de nouveaux timbres, qui se situent entre les timbres des instruments réels, et le pur traitement électronique de ces instruments.
PAN M 360 : Comment le triptyque est-il conçu? Quelles en sont les étapes distinctes?
Fabrice Marandola : Il est constitué de trois œuvres (dans l’ordre : quatuor, duo et sextuor) qui explorent différents types de relation à l’espace, différentes manières de jouer sur le feedback qui se crée entre tous les instruments, ainsi que différentes manières de jouer ces instruments qui sont en quelque sorte ‘augmentés’.
2. Vendredi 8 octobre, l’ensemble Novarumori interprète les œuvres d’Émilie Girard-Charest, et l’autre de James O’Callaghan. Deux autres pièces pour violoncelle seul en ponctueront l’exécution, œuvres de Mark Andre et de Jean-Luc Hervé. Directeur artistique de ce programme mis de l’avant par l’organisme Innovations en concert, Isak Goldschneider nous en explique davantage :
PAN M 360 : Ce programme est-il lié par une thématique centrale? Sinon, y a-t-il des liens à faire entre les œuvres?
Isak Goldschneider : Presque par hasard, le programme s’est développé à partir de deux domaines : d’une part, l’étreinte du son pur et la recherche d’un noyau sonore, et d’autre part l’intériorité provoquée par notre réalité commune de ces deux dernières années.
PAN M 360 : Pourriez-vous présenter très sommairement les quatre pièces au programme? Quelles en sont les caractéristiques?
Isak Goldschneider : Prenons New Work, Collapsing, New Work (2021) de James O’Callaghan; l’oeuvre nous présente l’énergie d’une ouverture de Mozart s’intensifiant en gesticulations frénétiques, puis plongeant soudainement dans un ensemble de soliloques distants. L’avenir vers lequel nous sommes propulsés est en ruine. Pas étonnant que le titre d’O’Callaghan cache une référence oblique à Einstürzende Neubauten!
De la même manière, iv2 de Mark Andre et Amplitudes de Jean-Luc Hervé, œuvres solistes interprétées dans notre concert par la violoncelliste Émilie Girard-Charest, explorent un langage sonore fondé sur des sons non harmoniques et bruitistes. Il n’y a pas ici d’aspiration à une utopie future, mais plutôt une introversion qu’Andre a décrite comme « une disparition éthérée des interstices en tant qu’unité de synchronisation des tons… une expérience fragile et peut-être transcendante ».
L’œuvre d’Émilie Girard-Charest, Intimités, relève un tout autre défi, tant sur le plan sonore que conceptuel. La moitié de l’ensemble modifie l’accord des instruments des autres pendant qu’ils jouent, empiétant sur leur espace personnel dans une performance évocatrice de nos expériences communes en temps de pandémie. L’œuvre qui en résulte rappelle les processus naturels tels que l’érosion, la pluie, le changement de saison… mais aussi les processus internes de changement émotionnel et personnel.
PAN M 360 : Comment avez-vous sélectionné les compositeurs et les interprètes de ces œuvres, soit l’ensemble Novarumori et l’interprète au violoncelle?
Isak Goldschneider : L’ensemble Novarumori créé à l’origine pour interpréter The Sinking of the Titanic de Gavin Bryars, et cet intérêt pour les résonances profondes et les sons graves a également influencé notre instrumentation, instaurant une tradition de sections de cordes graves. Nous avons la chance de travailler avec certains des violoncellistes et bassistes les plus intéressants et les plus virtuoses de Montréal dans le cadre de ce projet, des interprètes comme Stéphane Dimantikou, Étienne Lafrance et Andrea Stewart sont bien connus des principaux orchestres symphoniques du Québec ainsi que d’ensembles novateurs comme le Collectif9.
L’œuvre d’Émilie Girard-Charest a été commandée par Innovations en concert en 2017, et les expéditions sonores de James O’Callaghan l’ont naturellement amenée à créer une pièce d’accompagnement pour notre programme. Les œuvres de Mark Andre et Jean-Luc Hervé ont été ajoutées par notre co-commissaire Emanuelle Lizére du Vivier, inspirée sans doute par des similitudes avec la démarche de James et Émilie.
3. Samedi, le concert du Duo AIRS mettra en relief un croisement de générations et de cultures. « Après le tremblement… nous amène à réfléchir à la musique d’aujourd’hui, à sa place dans la société et à la façon dont elle peut ou doit influencer notre monde. » Le programme regroupe ainsi des œuvres pour percussions, saxophones et électronique, notamment des pièces de répertoire de la dernière décennie, dont des œuvres de Bruno Letort et de Laurent Durupt, sans compter les créations mondiales de Félix-Antoine Coutu et Núria Giménez Comas, commandées par AIRS. Le percussionniste David Therrien Brongo nous en dit un peu plus long.
PAN M 360 : Pourriez-vous nous présenter brièvement le duo Airs? Ses deux membres? Les orientations musicales du tandem?
David Therrien Brongo : Le Duo AIRS est un groupe de musique de chambre de musique contemporaine formé de David Therrien Brongo (percussion) et Louis-Philippe Bonin (saxophone). De par ses activités et sa proposition artistiques, le Duo AIRS se démarque dans un créneau actuellement non exploité par les ensembles et solistes actuels au Québec. Notre mandat artistique naît de la volonté de présenter le riche répertoire pour percussion et saxophone, tout en favorisant la recherche et la création d’œuvres nouvelles. Dans une volonté d’offrir une expérience dynamique et différente du récital traditionnel, nous proposons une approche holistique de la musique de concert : chaque spectacle s’articule autour d’un thème précis où la mise en espace, les transitions et la musique sont intrinsèquement liées.
PAN M 360 : Dans le cas qui nous occupe, comment s’incarne le « croisement des générations et des cultures »? Choix esthétiques? Instrumentation? Référents compositionnels? Quoi d’autre?
David Therrien Brongo : Nous accueillons avec plaisir l’opportunité d’ajouter notre voix à un mouvement international en croissance qui reconnaît que les choix artistiques doivent être représentatifs des enjeux que vit la communauté créative. Ainsi, nous sommes fiers d’encourager la diffusion du savoir-faire des compositeurs et compositrices issus de milieux diversifiés (France, Espagne, Québec). La programmation d’«Après le tremblement… » donne une grande importance à l’expérimentation (instruments inventés, traitement en temps réel, éléments vidéos et bandes sonores), aux commandes d’œuvres nouvelles à des compositeurs talentueux et compositrices talentueuses (Núria Giménez-Comas, Félix-Antoine Coutu) en plus de permettre la diffusion d’œuvres peu représentées et jouées (Bruno Letort et Laurent Durupt).
PAN M 360 : Très brièvement, quelles sont les caractéristiques propres à chacune des œuvres au programme? Quelle est l’approche spécifique de chaque compositeur.trice?
David Therrien Brongo :
Dans la grange mon drone ne vole pas haut (2021), de Félix-Antoine Coutu.
Dans la grange, mon drone ne vole pas haut est la première d’une série de pièces constituant le projet La grange, inspiré d’un lieu fictif figé dans un futur rapproché, rempli d’artefacts et où un personnage s’amuse à ranimer des machines déchues sous de nouvelles formes. L’œuvre laisse place à des structures sonores machinales et industrielles auxquelles viennent s’accoler la percussion et le saxophone alto. À cela s’ajoute le fût augmenté, un instrument inventé, alliant percussion, cordes et électronique. Cet instrument est constitué d’un fût de grosse caisse munie d’une peau; de huit cordes de guitare disposées à l’intérieur du fût et fixées à des clés d’accordage sur lesquelles viennent frotter des cordons activés par des moteurs CC. Deux micros contacts captent la résonance des cordes et du fût afin d’amplifier l’instrument.
Persecutory Delusions (2014), de Laurent Durupt
Un saxophoniste prostré émet des sons qui sont comme les traces d’un langage désarticulé, entre plainte et bégaiement. Dans son dos, le percussionniste est son double intérieur, sa projection mentale, qui lui assène des décharges rythmiques comme seul repère de tempo. L’ordinateur guide le percussionniste via un métronome en oreillette, et l’enferme régulièrement dans des boucles aléatoires dont le déblocage se fait sans crier gare. Le percussionniste saute alors à la mesure suivante, le saxophoniste le suivant à la trace, chacun comme enchaîné l’un à l’autre, dans une atmosphère étouffante qui progresse inexorablement vers la saturation.
Next Coming, Longing for… (2021) de Nuria Giménez Coma
Cette pièce a été écrite pendant la pandémie et entre les différents confinements. La pièce, comme le titre l’indique, est un mouvement entre le désir d’ouverture, d’échappement et de révolution inachevée que la crise sanitaire nous a apporté et la si longue fermeture culturelle. Le passage entre différents saxophones ainsi qu’entre les différentes natures et timbres du setup de percussion, comme les métaux inharmoniques, les céramiques, verre et puis les métaux avec « pitch », harmoniques veut refléter ce passage entre ce désir initial imparable et le désir de révolution. Cette deuxième partie se construit avec l’énergie initiale et se développe dans une section rythmique qui nous amène avec une énergie d’inertie vers une fin aussi chaque fois plus irrépressible.
Après le tremblement de terre (2011), de Bruno Letort. Inspiré du recueil de nouvelles d’Haruki Murakami, paru en 1995, cette pièce pour percussions et saxophones, explore les timbralités multiples de deux instruments. Elle tente de répondre à la question de l’après-tremblement de terre au sens élargi, non pas dans l’approche mystique ou religieuse, mais dans celui d’une tabula rasa, à la fois esthétique et texturale. Séparations, retrouvailles, découverte de soi, prise de conscience de la nécessité de vivre dans l’instant. Les approches sont diverses, parfois burlesques, souvent, imprévisibles…