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Il aura fallu vingt ans, une dizaine d’albums, encore plus de microalbums, de simples et de remix à Poirier pour finalement apposer son visage à une pochette, celle de sa dernière parution six titres, Momentum. Discret, le beatmaker n’en est pas moins un pilier de la scène électronique montréalaise. Avec les années, le style de l’artiste a évolué, explorant le hip-hop, la soca, le dancehall ou encore le reggae. Aujourd’hui, que ce soit dans ses compositions, ses DJ-sets ou les soirées qu’il organise, le producteur est guidé par l’envie de rassembler les gens autour d’une musique électronique aux inspirations afrobeats, afro-caribéennes et haïtiennes. Momentum en est un condensé parfait.
PAN M 360 : Comment est né Momentum?
Poirier : C’est vraiment de fil en aiguille que j’ai fait une autre chanson après Teke Fren avec Waahli. J’ai regardé un peu le bassin de choses sur lesquelles je travaillais, et que j’ai vu qu’il y avait un EP qui était en train de se faire. J’ai commencé à circonscrire et travailler les choses dans ce sens-là. Momentum, ça représente un peu l’espèce de reprise, de mouvement vers l’avant. Quand j’ai écouté le projet final, je trouvais la vibe assez positive, c’est pour ça que j’avais le goût d’avoir un nom qui était dans l’action, dans le mouvement. Oui, ça représentait mon état d’esprit mais aussi l’état d’esprit général, mondial (rires). Je voulais que ce soit des chansons entraînantes et qui s’écoutent bien à la maison.
PAN M 360 : Le titre du microalbum est quand même très évocateur! Comment situeriez-vous Momentum dans votre discographie?
Poirier : Momentum est dans la continuité de Soft Power, mais pas tout à fait, c’est plus dansant.
PAN M 360 : Choisir le format microalbum, était-ce aussi une façon de signifier un retour à un esprit plus dansant?
Poirier : Pour faire un album, il faut vraiment beaucoup de souffle, un concept plus large. Un microalbum ça permet de capturer une vibe, un état d’esprit, de faire le tour de ça. Si j’avais voulu faire un album qui était comme Momentum mais avec de douze à quinze pièces, il aurait fallu un peu plus de variété. Je trouve que c’est un bon snapshot et ça fait un beau relais, après Soft Power. On parle beaucoup des simples avec l’ère numérique, mais le microalbum c’est le fun!
PAN M 360 : Il suffit de se pencher sur votre discographie pour rapidement se rendre compte que les collaborations sont au cœur de votre processus créatif. Que pouvez-vous me dire de celles de Momentum?
Poirier : Il y a comme trois noms, mais en fait deux personnes, car entretemps Angee Wings est devenu Ms. Bella. Puis Waahli. Les collaborations, c’est super important pour moi parce que ça me permet d’atteindre des choses auxquelles je n’arriverais pas seul. C’est comme une corde que j’ai ajoutée à mon arc il y a plusieurs années, quand je plafonnais. Il y a aussi un guitariste, Daniel Leznoff, avec qui j’avais collaboré sur Soft Power, qui a fait les chansons Café com Leite, Nou Pare et Coconut Beach. Là, il joue de la guitare sur Teke Fren.
PAN M 360 : On entend les références musicales venues d’ailleurs mais Momentum est aussi bien ancré localement…
Poirier : Oui, en effet! Waahli, Ms. Bella et Daniel sont de Montréal. Donc pour moi, c’est un microalbum profondément québécois, qui est fait ici, à Montréal. Cet ancrage-là n’empêche pas que ça puisse être reçu ailleurs et à l’étranger, et pour moi, c’est vraiment très important. C’est la même volonté et le même état d’esprit que sur Soft Power. Puis, j’ai trouvé ça super le fun de collaborer avec les deux chanteur-euses, parce que c’était la première fois qu’on travaillait ensemble. Je pense que ça a été enrichissant, autant pour moi que pour eux.
PAN M 360 : Vous aviez sorti deux morceaux en simples avant le microalbum. Il a déjà bien circulé, donc. Avez-vous eu des commentaires au sujet de sa réception?
Poirier : Oui! Leader et Teke Fren sont sortis avant le microalbum ; les deux ont été synchronisés dans des publicités, dans le sud des États-Unis et en Angleterre. Teke Fren a joué et joue encore beaucoup sur Radio Nova en France. Je sais que c’est difficile en ce moment de croire à ça, mais les chansons, les albums, les projets qu’on sort ne sont pas jetables six mois après leur sortie. Je crois que c’est important de faire vivre le projet sur lequel on travaille, d’y croire longtemps et de ne pas abandonner. Des fois, dans les courbes de diffusion des chansons, ce n’est pas du premier coup que ça se passe. Il peut y avoir un relais radiophonique, tout ne se passe pas sur le Web nécessairement. Des DJ ou d’autres gens peuvent faire jouer des chansons, les gens peuvent les shazamer. Tout ça peut créer un engouement qui succède un peu la sortie d’un projet. C’est intéressant d’être conscient de toutes ces choses-là.
PAN M 360 : Vous parlez de radio. C’est à travers ce média que vous avez commencé votre parcours.
Poirier : Tout à fait, j’ai fait cinq ans de radio à CISM et à CIBL, soit une radio universitaire et une autre communautaire, à Montréal. Je trouve que c’est un beau médium, très intime, intimiste. Je crois beaucoup au pouvoir de parler aux gens. C’est drôle, parce que je viens plutôt d’une sorte de tradition musicale en lien avec l’Angleterre, la musique anonyme, sans visage. Or, souvent pendant mes DJ sets, je prends le micro. Je trouve ça important de créer ce lien-là, de prendre acte de ce qui se passe, du moment qu’on vit ensemble et chaque fois j’ai de super réactions. Ce n’est pas réservé au hip-hop ou aux sound-systems, peut-être que ça vient de mes années en radio.
PAN M 360 : À vous écouter, on comprend que pour vous, la musique est un important vecteur de lien social qui permet de rassembler, de transcender les cultures et les générations.
Poirier : Quand bien même je jouerais la musique la plus nichée, je ne suis pas du tout dans cette l’idée d’une culture exclusive. Tout le monde peut apprécier cette musique-là, quel que soit l’âge. Je suis vraiment dans cette démarche, donc quand je fais mes soirées Qualité de luxe, ce sont des gens de 20 à 50 ans qui viennent danser à la soirée. Puis ça se mélange vraiment bien, pour moi c’est comme un rêve devenu réalité.
Photo : Bruno Destombes.