Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp : minimal maximal

Entrevue réalisée par Patrick Baillargeon

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Fondé à Genève en 2006 par le contrebassiste Vincent Bertholet, l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp est de passage au Québec pour ce qui s’avère être la première tournée hors d’Europe pour ce collectif à géométrie variable.

Ce big band atypique, dont les influences s’étalent du post-rock au free jazz, en passant par l’afrobeat, le post-punk, le kraut-rock, le funk et la musique expérimentale, a d’abord débuté avec six musiciens avant de passer à 14 à la veille de son 10e anniversaire, pour désormais opérer à 12. La fanfare helvète voit large mais tient à défendre une approche minimale de sa musique, à grand renfort de cuivres, de cordes, de percussions, de marimba, de cloches, de jouets, de guitares acérés, d’une contrebasse inventive et parfois groovy, d’envolées polyphoniques, symphoniques ou carrément noise, et de chants inspirés. Programmé pour la dernière journée de l’édition 2022 du festival montréalais Distorsion, la troupe viendra présenter son 5e et plus récent effort, We’re OK. But We’re Lost Anyway, paru en juillet 2021.

Capté avant les deux concerts prévus au Festif de Baie St-Paul, PAN M 360 s’est entretenu avec le leader de la formation Vincent Bertholet, qui nous a parlé entre autres des origines et motivations du groupe, de son évolution, de ses influences, de l’art de travailler à plusieurs, du dernier album et de ce nom de groupe pour le moins original.

PAN M 360 : Quel était l’objectif en créant le groupe en 2006?

Vincent Bertholet : Y’a un lieu à Genève qui s’appelle La Cave 12, qui est une salle dédiée aux musiques expérimentales ou rock au sens très large et qui propose des cartes blanches, ce qui permet à certains de faire ce dont ils ont toujours rêvé. Et comme je n’avais jamais créé mon propre groupe, c’était l’occasion de le faire et de mélanger un peu toutes les influences qui m’ont marquées et qui sont très larges. J’avais ce vieux rêve de créer un orchestre car j’avais été très marqué, au début des années 2000, par un groupe anglais qui s’appelait Homelife, qui a sorti quelques disques sur Ninja Tune et qui faisait une musique de style électronique mais avec des instruments, et ils étaient 16 sur scène. Je me suis dit que c’est un truc que j’aimerais faire. Donc j’ai créé mon groupe. À cette époque on était six et je trouvais que c’était assez. C’est pour marquer les dix ans de l’OTPMD que j’ai décidé d’augmenter le nombre de musiciens. Là on était rendu à 14 sur scène et à ma grande surprise, je me suis rendu compte que ce n’était pas si difficile à gérer. Depuis le dernier disque, We’re OK But We’re Lost Anyway, nous sommes rendus à 12. On bossait beaucoup avec des anglais et des anglaises mais avec le COVID c’est devenu beaucoup trop compliqué. Maintenant, les musiciens et musiciennes viennent de Genève et des environs, en France voisine.

PAN M 360 : Comment en êtes-vous venus à l’appellation Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, une nom de groupe qui est tout sauf banal.

Vincent Bertholet : Quand on cherche le nom à donner à un groupe, ça part souvent dans tous les sens et un des musiciens, qui faisait parti d’un collectif d’art contemporain, est arrivé avec le Marcel Duchamp Big Band. Je connaissais Marcel Duchamp mais pas beaucoup, donc j’ai bien creusé et je me suis rendu compte que cet artiste était assez extraordinaire, qu’il a révolutionné pas mal de choses. Selon moi c’était le premier punk, bien avant la lettre. Alors que pour Orchestre Tout Puissant, c’est une appellation très courante en Afrique (Le Tout Puissant Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou, Franco et le Tout Puissant O.K. Jazz…) qui signifie big band finalement. Donc c’était l’idée de mélanger des musique festives à d’autres disons plus contemporaines.

PAN M 360 : C’est difficile de créer tous ensemble, avec autant de musiciens?

Vincent Bertholet : Depuis qu’on évolue en big band, donc depuis les deux derniers disques, c’est moi qui écrit presque toutes les musiques. Les percussions et les guitares ça demeure un peu plus ouvert, mais tout ce qui est marimba, cordes ou cuivres, c’est moi qui compose. Lise, la chanteuse, pose ses chants.

PAN M 360 : La création typique d’un morceau de l’OTPMD, ça se déroule de quelle manière?

Vincent Bertholet : J’écris tout seul chez moi dans mon studio. Je pars toujours de la contrebasse et je fait de loops. Dès que je trouve quelque chose qui peut me mettre en transe, je conserve la ligne de basse et ensuite j’ajoute toutes les autres parties avec un clavier midi qui sonne plus ou moins comme les instruments. Ensuite, on teste ces morceaux tous ensemble. Comme on est tous un peu éparpillés, on se fait de temps en temps trois, quatre, cinq jours à une semaine de répèt’ dans un endroit différent : ça peut être une maison à la montagne, une salle de concert… Là, je propose des idées et ensuite ça va assez vite quoi.

PAN M 360 : Gérer un tel groupe ne doit pas être toujours très simple au point de vue logistique.

Vincent Bertholet : Ce n’est pas simple mais là on est bien rodé donc ce n’est pas très compliqué. C’est beaucoup de travail, et ça c’est moi qui m’en charge. Mais vraiment c’est pas si compliqué. Maintenant, tout le monde connaît son rôle, tout le monde fait sa part. Pour les tournées, ce n’est pas facile mais ça se passe pas mal. Nous avons donné plusieurs concerts depuis la sortie du disque en juillet 2021. On a dû faire une bonne cinquantaine de concerts et il y en aura encore une vingtaine ou trentaine d’ici la fin de l’année.

PAN M 360 : Et jusqu’à présent, comment se passe la tournée?

Vincent Bertholet : Ça se passe très bien. Ici les gens sont un peu surpris car il n’y a pas vraiment de groupes comme le nôtre. Mais même en Europe on demeure une anomalie.

PAN M 360 : The Ex est le premier groupe qui vient en tête si on doit parler des références de l’OTPMD, mais ce n’est sans doute pas le seul…

Vincent Bertholet : C’est une des influences principales. C’est vraiment le groupe qui m’a changé la vie, et plus précisément Dog Faced Hermans avec Andy Moor, un des guitaristes de The Ex, et notamment le batteur Wilf Plum qui a joué avec un groupe de Montréal, Rhythm Activism (et Nomeansno). À une époque, je les avais invité à jouer à Chambéry, d’où je viens. Wilf je le connais depuis longtemps. On a joué dix ans ensemble puis il a tout arrêté durant le COVID, il en avait marre, ça faisait 40 ans qu’il faisait des tournées. Il vit désormais à la campagne en Belgique et il est très bien.

PAN M 360 : We’re OK But We’re Lost Anyway est votre album le plus récent. Un disque au titre assez cynique mais plutôt juste quand on voit tout ce qu’il se passe autour depuis un moment.

Vincent Bertholet : C’est vraiment ce qu’il se passe en ce moment. Quand on pense à ces canicules en Europe, la guerre en Ukraine, la pandémie et tellement d’autres drames, c’est terrible mais en même temps ça va, on continue à faire nos trucs malgré tout ça. Disons qu’on est assez désabusé. Les changements politiques forts, qui seraient nécessaires, ne viennent pas alors que ceux qui sont mis en place en ce moment vous nous mener droit dans le mur. Y’a urgence, on étouffe, mais en même temps ça va ! C’est ce contraste qu’on a voulu mettre en lumière avec ce titre. C’est principalement ce disque que l’on joue dans nos concerts en ce moment, avec quelques vieux morceaux.

PAN M 360 : On remarque une certaine évolution dans le style et le son depuis le premier album.

Vincent Bertholet : J’ai vraiment tout écrit et pas mal tout imposé pour notre dernier album. Pour le précédent aussi mais j’ai tout de même fait quelques compromis car c’était la première fois qu’on était si nombreux dans le groupe. Quand on était à six, durant les dix premières années, j’amenais les idées de base et ensuite on discutait ensemble. Mais pour We’re OK But We’re Lost Anyway, j’ai vraiment fait zéro compromis. Pour moi c’est le disque qui se rapproche le plus de ce que j’ai toujours voulu faire. Pendant longtemps, il y avait plein de musiciens autodidacte dans le groupe. Là on n’est plus que deux. La plupart des nouveaux musiciens ont fait le conservatoire et savent lire la musique. Y’a une vraie différence car quand tu donnes une partition, elle est jouée comme tu l’as écrite. Avant c’était toujours un peu compliqué donc on changeait un peu. En fait c’était surtout des mises en place rythmiques car y’a très peu de notes, c’est très minimal. C’est l’ensemble qui fait que ça fonctionne, mais ça m’a pris des années pour y arriver.

PAN M 360 : Si il y a un terme pour qualifier l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp c’est bien « inqualifiable ». Parle-nous de ce désir d’éviter les lieux communs, comment vous chevauchez toutes sortes de styles et de sons.

Vincent Bertholet : Tu faisais référence à The Ex plus tôt. Moi c’est le groupe qui m’a ouvert sur les influences africaines, sur le jazz, sur les musiques improvisées, sur toutes ces musiques de recherches au sens très large. C’est un groupe punk mais qui ne fait pas du punk comme presque tous les autres. Et moi la philosophie punk m’a beaucoup influencé quand j’étais ado. Le DIY, tout ça. C’est comme ça que je me suis lancé, sans aucune base musicale.

PAN M 360 : Tu as également fondé l’étiquette de disque Bongo Joe.

Vincent Bertholet : Oui, mais j’ai arrêté car c’était trop. Je les ai aidé sur les deux ou trois premières années. Maintenant ça va très bien le label, et la boutique aussi.

PAN M 360 : Et tu es la moitié du duo transpop prekraut postdisco Hyperculte… Tu passes du big band au binôme.

Vincent Bertholet : Je peux faire le big band car j’ai Hyperculte pour balancer de l’autre côté. On se retrouve tous les deux, et c’est tellement plus simple pour répéter et organiser les tournées !

PAN M 360 : Jusqu’à l’année dernière, tu t’occupais aussi la programmation du Festival De La Cité à Lausanne.

Vincent Bertholet : J’ai fait ça pendant six ans. C’est un gros truc, un peu comme le FEQ tu vois? C’est un gros festival gratuit en pleine ville. Mais sinon j’ai mon petit festival à Genève qui est assez obscur et qui se nomme Face Z. C’est la 17e édition cette année. L’idée est de réciter l’alphabet : Face A, Face B, Face C… là on est rendu à la Face R et on espère se rendre jusqu’à la Face Z en 2030. Donc le challenge d’organiser un festival pendant 26 ans. C’est un festival axé sur la découverte, qui ratisse assez large.

L’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp sera au festival Distorsion le dimanche 24 juillet. Info et billets ici!

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