Omar Sosa, Seckou Keita, contemplation au lever du jour… Suba

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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Transparent Water, premier album de Seckou Keita et Omar Sosa, est sorti en 2017. Quatre ans plus tard, voici Suba,  rendu public le 22 octobre chez Bendigedig, second chapitre de cette collaboration entre un griot sénégalais et un artiste lucumi, afro-descendant de culture yoruba, culture de l’actuel Nigeria transplantée de force à Cuba par les esclavagistes conquérants venus d’Espagne.

Écrit et enregistré en 2020 au cours du confinement planétaire, l’opus  Suba se veut une œuvre placide, d’abord et avant tout. Une œuvre dédiée à l’espoir,  à la compassion pour autrui, à la bienveillance, à la paix en ce bas monde qui en a cruellement besoin – rien à voir avec Suba, regretté artiste serbe ayant naguère révolutionné l’électro brésilienne. Omar Sosa et Seckou Keita constituent ainsi un trio avec le percussionniste vénézuélien Gustavo Ovalles, trio autour duquel se joignent le violoncelliste et arrangeur brésilien Jaques Morelenbaum, le flûtiste burkinabé Dramane Dembélé, le percussionniste et réalisateur anglais Steve Argüelles.

Parmi les meilleurs pianistes cubains de sa génération, Omar Sosa demeur un artiste hors piste depuis le début de sa longue migration musicale, enfin  si l’on s’en tient au stéréotype de l’artilleur latino auquel on peut s’attendre. Les croisements transculturels d’Omar Sosa  se déclinent en une trentaine d’albums et encore plus de tournées mondiales. 

Avant que cela ne se produise de nouveau, voici une seconde collaboration studio avec le chanteur et virtuose sénégalais de la kora Seckou Keita.

Plus précisément, le dernier est originaire de la Casamance. Côté paternel, il est de la lignée royale des Keita. Côté maternel, soit la famille Cissokho, il est issu de la caste héréditaire des griots –  musiciens, chanteurs, conteurs et messagers des traditions ouest-africaines. Seckou Keita est la fois gardien des grandes traditions musicales mandingues et très ouvert sur le reste du monde musical d’aujourd’hui, en témoignent ses propositions harmoniques qui vont clairement au-delà du patrimoine ouest-africain. 

Ses qualités de musicien lui ont notamment valu une invitation à la School of Oriental and African Studies en Angleterre, où il réside depuis 1998. On lui connaît plusieurs  performances studio,  dont la plus connue en Occident se trouve dans l’album Clychau Dibon, joué de concert avec la harpiste galloise Catrin Finch.

Alors ? Joignons Omar Sosa à Barcelone, où il vit depuis 2 décennies… et passe aussi beaucoup de temps en Californie et de nouveau à Cuba – dont il se désole de la précarité économique.

PAN M 360 :  Comment avez-vous fait la connaissance de Seckou Keita?

Omar Sosa  : En 2012, j’ai lancé l’album Eggun : The AfriLectric Experience. Mon batteur de l’époque, Marque Gilmore, m’avait invité à jouer avec son groupe à Londres. Je me suis joint à ce groupe à la dernière minute et j’ai essayé de voir avec qui ça pouvait cliquer. Je fais toujours ainsi lorsque je débarque dans un nouveau contexte, c’est toujours utile et productif de pouvoir compter sur une musicien avec qui tu as spontanément des affinités et qui pourra aussi te soutenir pendant la performance s’il y a lieu de le faire. Lorsque Seckou s’est mis à jouer, c’était clair pour moi. Je lui ai dit, hey j’ai l’impression que nous jouons ensemble comme si nous nous connaissions depuis longtemps! Je lui ai alors demandé s’il était ouvert à une éventuelle collaboration. Faisons un projet ensemble! J’ai trouvé un studio et l’ai invité à créer de la nouvelle musique.

PAN M 360 : Où se trouvent les valeurs de nouveauté et de fraîcheur dans cette musique qui vous unit ?

Omar Sosa : Je crois que rien n’est vraiment neuf dans la musique en général. Ce qui est neuf, c’est la manière de mélanger les épices du plat ! Cette fois, le mélange se ferait avec un griot du Sénégal, un musicien lucumí de Cuba, un percussionniste du Vénézuela. Avant la pandémie, nous avions pu tourner et lorsque le confinement s’est imposé,  j’ai rappelé Seckou et lui ai proposé de mener un second projet, cette fois plus orchestré. L’idée était aussi d’ajouter d’autres couleurs, non seulement africaines et antillaises mais aussi asiatiques ou occidentales. Alors nous avons passé 10 jours de studio à Majorque,  puis j’ai continué à faire évoluer le concept ailleurs avec d’autres collaborations. C’est donc l’idée de ce trio, mais cette fois avec plus d’arrangements. Ce trio fonctionnait déjà très bien; nous sommes sur la même longueur d’onde, il n’y a aucun conflit entre nous car nous cherchons à créer des pièces chantantes et paisibles, ancrées dans nos traditions respectives.

PAN M 360 : Afro-cubain / mandingue, traditionnel afro / jazz contemporain, acoustique / électronique…Les références croisées, c’est une spécialité chez vous ! Quelles sont-elles cette fois ?

Omar Sosa : C’est l’Afrique selon nous, nos traditions distinctes, présentées en tout respect de chacun.   Aucun d’entre nous cherche à s’imposer, aucun souhaite mener un combat pour démontrer qui est le meilleur, qui est le leader… celui qui a la plus grosse. Nous ne cherchons pas à faire une musique de testostérone, nous l’avons tous fait auparavant et ce n’est plus ce que nous recherchons. Nous avons tous compris que la musique est le patron, qu’il faut servir la musique. Nous sommes des antennes et je travaille avec des musiciens qui se voient comme des antennes. La meilleure façon de jouer la meilleure musique et enregistrer les meilleures œuvres, c’est aussi le partage, la mise en commun des connaissances respectives. C’est ainsi qu’on trouve l’équilibre entre les cultures impliquées dans un tel projet. Nous sommes les serviteurs de la musique. 

PAN M 360 : Cet album est certes plus arrangé, mais demeure calme et minimaliste. C’était l’idée?

Omar Sosa : Oui ! Cette musique est contemplative et inspire la paix. Plus vous l’écoutez, plus vous en découvrez les détails infimes. Pour jouer cette musique, il fallait remiser nos égos et rester relaxes. Et vous savez quoi? Il est très difficile de faire de la musique contemplative, cela demande plus d’attention, plus de soins, un souci du silence. Il faut se débarrasser de la pollution de l’esprit, c’est pourquoi j’aime  musique pacifiante, elle  permet à l’auditeur d’écouter attentivement, d’absorber ce qu’il entend. 

PAN M 360 : Suba défend aussi des valeurs plus grandes que l’œuvre en tant que telle. Quelles sont ces valeurs?

Omar Sosa :  Susciter la paix, l’amour , l’espoir.  En langue mandingue, Suba signifie l’aube, le lever du soleil. L’idée d’un lever du soleil est venue et puisque Suba ressemble aussi à Cuba… Suba, c’est le moment de se reprogrammer avant d’affronter la vie de nouveau. Nos chansons parlent d’amitié, de spiritualité, de migration, d’océan, d’inquiétude, de drame, d’espoir malgré tout.  Il y a beaucoup trop d’agressivité dans nos vies dans cette jungle humaine.La période actuelle est inquiétante, c’est pourquoi nous devons activer les connexions avec notre intérieur, notre esprit, nos ancêtres lumineux, la spiritualité qui nous est propre. La musique peut aider à y parvenir. C’est pourquoi nous préférons les musiques plus contemplatives: plus que jamais, le monde a besoin de paix et de contemplation.

PAN M 360 : Vous avez tourné l’ensemble des séances d’enregistrement. Pourquoi?

Omar Sosa : De nos jours, la musique ne suffit pas (rires)… Nous avons donc fait un document audiovisuel avec le processus de l’enregistrement, c’est devenu incontournable. Je suis peut-être vieux jeu mais je voulais quand même y voir les musiciens jouer vraiment, je refusais qu’ils soient des figurants au service de l’image. Alors nous avons recruté un vidéaste qui fut avec nous du début à la fin des séances, avec plusieurs caméras en studio.  Ça ne nous laissait pas le choix : il fallait réussir les prises en groupe afin que ce soit concluant côté vidéo. Ce qui implique des défauts d’exécution?  Selon moi, il n’y a pas de fautes dans l’art… tout est question de perception. 

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