No Joy trouve chaussure à son pied

Entrevue réalisée par Patrick Baillargeon

Sur son nouvel album Motherhood, No Joy pousse les limites du shoegaze un peu plus loin, donnant au genre un second souffle dont il avait bien besoin.

Genres et styles : indie rock / noise-pop / shoegaze

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Crédit photo : Mathieu Fortin

Démarré en 2009 par la native de Victoria exilée à Montréal Laura Lloyd et la Californienne Jasamine White-Gluz, No Joy a commencé son épopée shoegaze avec des riffs échangés par courriel avant que l’Américaine ne déménage à Montréal. Six singles, 3 EP et quatre albums sont nés de cette fructueuse collaboration, jusqu’à ce que Laura Lloyd quitte le navire en 2015, peu après la sortie de More Faithful, laissant la guitariste américaine seule à regarder ses chaussures. Désormais en charge de la destinée du groupe, White-Gluz s’est légèrement aventurée hors des limites du shoegaze, notamment lors de sa collaboration avec l’ex-Spacemen 3 Peter Kember (Sonic Boom) – sur le EP No Joy/Sonic Boom de 2018 – où elle a mis de côté la six cordes au profit de l’outillage électronique. 

C’est avec cet esprit d’ouverture que Jasamine White-Gluz a attaqué la composition du cinquième album du groupe, Motherhood. Bien que No Joy montrait depuis ses débuts un intérêt pour d’autres ingrédients que le shoegaze, notamment les basses souvent groovy et les envolées pop scintillantes, ce nouvel effort amène le groupe montréalais ailleurs, tout en restant bien ancré dans les bases du shoegaze. Trip-hop, nu-metal et trance sont désormais ajoutés au menu de No Joy. Jasamine White-Gluz nous a parlé de la création de cet album qui pourrait bien redéfinir les balises du shoegaze.

Crédit photo : Mathieu Fortin

PAN M 360 : Motherhood, qui vient tout juste de paraître, est le premier album complet sans la guitariste Laura Lloyd. Est-ce que son départ a changé ta façon de composer ? À l’écoute de ce nouveau disque, on sent que tu t’es donnée plus de liberté.

Jasamine White-Gluz : Laura est partie il y a cinq ans; il n’y a pas eu de drame, pas de tragédie, c’est juste qu’elle avait fait le tour de ce qu’elle voulait faire avec No Joy et désirait passer à autre chose. Donc, le dernier disque auquel elle a participé est More Faithful en 2015. Garland Hastings, notre batteur depuis le début, a quant à lui quitté en 2017, après la sortie du EP Creep. Avec lui aussi, ça s’est bien passé, on voyait ça venir, donc personne n’a été surpris quand il a annoncé qu’il s’en allait. C’est certain que leur départ a changé la dynamique du groupe. Je dirais que cela a provoqué une autre forme de collaboration. Tu sais, on a joué si longtemps ensemble et fait plusieurs disques, c’est normal que ça affecte le groupe; c’est pourquoi il y a eu ces trois EP avant Motherhood. Je voulais voir un peu dans quelle direction j’allais me diriger car, après le départ de Laura, je me suis retrouvée responsable de pas mal toutes les compositions et de la destinée du groupe. Je vois ces départs davantage comme une progression finalement. Donc ces EP m’ont permis de mieux définir mon style et ce que deviendrait No Joy.

PAN M 360 : Avec ces éléments de trip-hop, de trance et de nu-metal qu’on retrouve dans Motherhood, dirais-tu que tu as effectué un changement radical par rapport à ce que No Joy faisait auparavant ?

JWG : Je dirais que oui. Pour moi le shoegaze n’est pas que « rock », ça implique certaines manipulations sonores… Prends Kevin Shields par exemple. Il a fait des remixes, s’est amusé avec des boucles de batterie… Ou Primal Scream; ils ont commencé comme groupe de shoegaze pour bifurquer vers quelque chose de beaucoup plus dance avec Screamadelica, tout en gardant l’essence du shoegaze. Ce qui signifie que le shoegaze peut inclure toutes sortes de choses, et Motherhood est pour moi le prolongement de tout ça.

PAN M 360 : Dirais-tu qu’il s’agit là de l’album le plus ambitieux de No Joy ?

JWG : Absolument ! C’est l’album où j’ai tout essayé (Rires). Toutes les idées que j’ai eues, toutes ! Il m’est arrivé souvent d’essayer une idée et de me demander si c’était nul ou intéressant, mais j’ai vraiment tout essayé plutôt que de tenter de coller à un style. Et on a presque tout gardé ! On s’est dit à un moment donné « et si on ajoutait le rire d’un bébé ? » et ça s’est retrouvé sur le disque ! Ça n’a pas été simple de caser tous ces différents sons au moment du mix cependant.

PAN M 360 : Comment s’est déroulée la création de Motherhood ?

JWG : J’ai commencé à faire des démos en 2016. Toujours guitare et voix. Je faisais ça avec (le multi-instrumentiste) Jorge Elbrecht (Ariel Pink, Sky Ferreira…) avec qui je collabore depuis l’album Wait To Pleasure (2013). Il comprend vraiment bien ce que je cherche à faire au niveau sonore. De sorte que lorsqu’on est arrivé en studio, l’idée était simplement de s’amuser. Je voulais qu’on sente qu’on s’était amusé à faire ce disque. On l’a enregistré à Montréal au studio Toute Garnie qui appartient aux Braids. 

PAN M 360 : Ta sœur Alissa, qui joue de la guitare avec Arch Enemy, est aussi de l’album. C’est la première fois que tu collabores avec elle ?

JWG : Oui, c’est la première fois qu’on collabore ensemble depuis qu’on est adultes. On est rarement au même endroit au même moment, et quand c’est finalement arrivé, on s’est dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose ensemble. 

PAN M 360 : Donc, c’est d’elle que proviennent ces sonorités nu-metal ?

JWG : Hum… non. Je suis plus vieille qu’elle, j’ai grandi en écoutant du nu-metal alors qu’elle est davantage puriste, plus branchée métal suédois. Elle s’y connaît bien plus que moi en métal ! Donc le nu-metal sur le disque, ça vient de moi… et j’aime encore ça ! (Rires)

PAN M 360 : Donc tu viens d’une famille de musiciens ?

JWG : Pas vraiment. Y’a que moi et ma sœur qui jouons de la musique dans la famille. Par contre mes parents sont de grands mélomanes. Il y avait toujours de la musique qui jouait à la maison et ma mère a une énorme collection de disques vinyle. Il y avait aussi toujours des instruments qui traînaient chez nous, alors ma sœur et moi nous jouions avec les claviers, les guitares… Ça devait être très fatigant pour mes parents car on faisait beaucoup de bruit. On ne savait pas jouer mais c’est comme ça qu’on a appris. 

PAN M 360 : Qui d’autre a participé à l’album ?

JWG : Il y a Tara McLeod, qui était dans le groupe teen-metal Kittie. Elle joue avec moi depuis environ trois ans et je peux te dire que c’est la meilleure guitariste que j’ai jamais rencontrée. Elle joue d’une façon si prodigieuse… c’est fou ! Moi je suis nulle par rapport à elle. Notre nouveau batteur est Jamie Thompson, qui a joué avec Unicorns, Islands, Esmerine. Il est vraiment talentueux lui aussi. Ces deux musiciens exceptionnels m’ont vraiment aidé à me perfectionner. Madeleine Campbell, qui est notre ingénieure du son en tournée et qui nous connaît bien, s’est chargée de la réalisation avec Chris Walla de Death Cab for Cutie. On a été chanceux qu’il soit là au studio au moment où nous avons enregistré et qu’il nous donne un coup de main. Il a été à Montréal durant un bon six mois, je crois, on est bien tombés ! 

PAN M 360 : Un mot sur le titre, tu l’as choisi parce que tu es devenue mère ?

JWG : Non, pas du tout ! En fait, plusieurs des chansons du disque tournent autour des gens qui vieillissent, de la maternité, de la fertilité, de la famille… Des observations que j’ai faites d’amis, de ma famille, de moi-même, de relations de gens autour de moi avec leurs mères et leur grands-mères… La famille en général, la féminité, la fertilité, qu’est-ce qu’une mère, qui peut être une mère, quel est le rôle d’une mère… Reste que je ne suis pas une bonne conteuse, je préfère que les gens se fassent leur propre idée des paroles. Je n’avais pas réalisé en écrivant ces chansons qu’elles touchaient plus ou moins au même sujet. Alors je trouvais que le mot « motherhood » collait bien à toutes ces thématiques, et puis je pense que ça sonne un peu métal comme titre ! (Rires)

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