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Au confluent du trap, de l’électro, du hip-hop et de la musique, l’armo-beat de JINJ incarne cette renaissance culturelle en Arménie, malgré les blessures de son peuple subies récemment dans le conflit dans l’enclave voisine du Haut-Karabagh. Sevana Tchakerian, née en France dans une famille d’immigrants arméniens et Gor Tadevosyan, natif de l’Arménie, ont constitué JINJ pendant qu’ils contribuaient, en tant qu’artistes, au soutien des populations éprouvées par le conflit. Pour une toute première fois, ils se produisent hors de l’Arménie. La force de frappe et la motivation de cette formation née dans les braises arméniennes ont largement suffi, pour que PAN M 360 fasse la demande de cet entretien avec Sevana, alors en France avant de traverser l’Atlantique.
PAN M 360 : Bonjour! Vous êtes jointe en France mais ne vivez-vous pas en Arménie?
SEVANA TCHAKERIAN : Oui. Je suis Arménienne et native de France et les autres musiciens viennent d’Arménie. J’ai déménagé de la France il y a huit ans, je suis basée en Arménie comme les autres membres du groupe, mais je crois que je vais bientôt revenir en France, en fait. Vu l’émergence du groupe, nous envisageons de nous y installer pour des raisons professionnelles.
PAN M 360 : À écouter JINJ, le constat est clair : vous avez certainement une connaissance avancée en rap et en trap! Mais aussi de vos racines musicales arméniennes.
SEVANA TCHAKERIAN : J’ai grandi en région parisienne et donc dans cette culture hip hop, électro, etc. Bien sûr, le projet de JINJ réunit à la fois mon héritage culturel arménien et mon héritage français.
PAN M 360 : Comment vous-êtes vous reconnectée avec l’Arménie?
SEVANA TCHAKERIAN : Mes parents sont de la diaspora arménienne, mon père est du Liban et ma mère d’Iran. Ma famille, en fait, est originaire de l’Arménie historique qui est aujourd’hui en Turquie. J’ai grandi en parlant arménien à la maison, je suis allée plusieurs fois en Arménie avant de m’y installer. Il y a à peu près 8 ans, après avoir terminé mes études de musique et de management en France, j’ai décidé de m’installer là-bas. J’avais eu l’opportunité d’y travailler sur un festival et j’ai été attirée par l’Arménie au point de vouloir y rester.
PAN M 360 : Les conditions ne sont pas du tout les mêmes qu’en France si on veut faire son chemin dans la musique. Comment vous y êtes-vous prise?
SEVANA TCHAKERIAN : L’Arménie c’est un tout autre système car il y a beaucoup de choses à construire. C’était enrichissant pour moi, alors je me suis retrouvée d’abord dans un programme d’éveil musical pour les enfants. Alors j’ai collaboré avec plein d’ONG, avec le ministère de l’éducation, etc. C’est ainsi que je me suis vraiment implantée là-bas, après quoi j’ai toujours reçu des propositions. J’ai commencé à connaître les musiciens, même organiser des tournées pour les artistes arméniens en Europe. Je voulais faire ce lien entre l’Arménie et le reste du monde car, malheureusement, nous sommes isolés en Arménie.
PAN M 360 : Le peuple arménien a beaucoup souffert au fil du temps, et encore récemment. Votre art n’est-il pas forcément lié à ce contexte?
SEVANA TCHAKERIAN : Oui. Pendant la guerre du Haut-Karabagh en 2020, on s’est vite rendu compte que ce conflit s’étirerait. On a eu alors plein de familles réfugiées dans la capitale, il fallait les aider. Les enfants ayant quitté la zone de conflit n’allaient plus à l’école et nous avons vu d’un bon œil l’idée de leur donner des ateliers de musique et d’art. On a commencé à accueillir les enfants et j’ai fait un appel Facebook aux musiciens locaux. Gol, qui était déjà un de mes copains, est venu me rejoindre et on a été sollicités un peu partout en Arménie. On a voyagé ensemble pendant deux mois, dans les familles, dans les hôpitaux, etc. Chaque jour, on faisait aussi de la musique pour nous, on jammait et cela nous permettait de prendre un peu de recul par rapport à nos activités avec les gens. On était vraiment très actifs et musicalement, il se passait quelque chose entre nous.
PAN M 360 : Effectivement! Les ornements arméniens sont bien soudés à votre trap, électro, et ainsi de suite!
SEVANA TCHAKERIAN : Le trap est au cœur de notre style auquel nous joignons des éléments de musique traditionnelle arménienne, nous sommes en recherche. Certaines de nos nouvelles chansons ont des sonorités drill, d’autres sont plutôt électro-pop, nous explorons aussi la house. On peut aller dans toutes sortes de directions, à la seule condition de conserver l’élément arménien.
PAN M 360 : Côté texte, le français est prédominant, il y a aussi de l’anglais et la langue arménienne est plus ornementale.
SEVANA TCHAKERIAN : J’écris essentiellement en français, en anglais et je suis en recherche pour écrire davantage en arménien. Pour moi c’est une langue difficilement « rappable » mais c’est peut être une perception. La scène rap arménienne existe, d’ailleurs, elle est très old-school et pas vraiment très développée.
PAN M 360 : Depuis quelques années, néanmoins, on parle d’une renaissance culturelle en Arménie.
SEVANA TCHAKERIAN : C’est vrai. En tout cas, la nouvelle génération est plus libérée, plus ouverte à casser les codes. Durant la période soviétique, la culture arménienne a été très codifiée par l’État totalitaire. Et donc les genres étaient très circonscrits, il était difficile d’en sortir. Par exemple, les jazzmen traditionnels disaient que le pianiste Tigran Hamasyan ne faisait pas de vrai jazz, jusqu’à ce qu’il obtienne un succès international. Aujourd’hui, l’Arménie est un vivier culturel mais il n’y a pas vraiment de soutien, pas de politique culturelle…
PAN M 360 : On peut comprendre, ce pays est en pleine reconstruction et en conflit…
SEVANA TCHAKERIAN : Oui et il faut donc faire avec les moyens du bord, avec le soutien de gens comme moi qui ai grandi en France, par exemple.
PAN M 360 : Ce qui explique aussi les influences multiples et l’approche multi-genre d’un groupe comme le vôtre.
SEVANA TCHAKERIAN : Exactement. Maintenant, je suis en train de réfléchir aux prochaines influences qui viennent de la région. Je pense à la culture des Kurdes, un peuple dont le parcours est comparable à celui des arméniens. J’ai beaucoup voyagé en Turquie avec d’autres projets musicaux, aussi au Kurdistan où j’ai observé dans des villages des pratiques similaires à celles de l’Arménie occidentale. J’ai assisté aussi à des rites traditionnels liés aux mariages, des pratiques qui se sont perdues en Arménie pendant la période soviétique. Quand j’ai vu les mariages kurdes où les gens ne cessent de danser en rond pendant quatre ou ou cinq heures et entrent dans une sorte de transe, j’ai fait des recherches sur les mariages arméniens et j’ai réalisé que les rythmes traditionnels arméniens pouvaient bien se lier à notre musique marquée par le hip-hop et autres genres connexes. Alors j’aimerais bien reprendre les codes des mariages traditionnels, et ramener ça sur scène. Cela fait partie de mes prochains projets.
PAN M 360 : Première visite à Montréal?
SEVANA TCHAKERIAN : Non seulement c’est notre premier concert à Montréal mais encore c’est notre premier concert hors de l’Arménie! Le groupe est jeune, remarquez. Un peu plus d’un an… On est à constituer une équipe à l’extérieur du pays pour tourner internationalement. D’ici là, j’y retourne après les dates à Montréal et au Portugal, on continue d’enregistrer notre album en Arménie.
DANS LE CADRE DE MUNDIAL MONTRÉAL, JINJ SE PRODUIT AU BALATTOU À 21 H , CE VENDREDI 18 NOVEMBRE