MTL au Sommet de la nuit : Diana Raiselis, la chercheure qui tire le portrait de la vie nocturne montréalaise

Entrevue réalisée par Elsa Fortant

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Cette semaine Montréal vibrera au rythme de deux événements majeurs pour le milieu artistique et culturel nocturne : MTL au Sommet de la nuit le 17 et 18 mai au Centre PHI et NON STOP 24/24 du 19 au 21 mai au Pavillon du Grand Quai du Port de Montréal.

Le premier intéressera les curieux qui souhaitent en apprendre plus sur les cultures nocturnes et les initiatives internationales qui soutiennent leur développement. Parmi les invités, on compte le cofondateur du Burning Man Steven Raspa, l’ancien maire de la nuit d’Amsterdam Mirik Milan et les très reconnus chercheurs en night studies Luc Gwiazdzinski et Will Straw. Plusieurs activités proposées sont gratuites, parmi lesquelles deux projections de documentaires, sur la techno de Détroit et sur Montréal la nuit. Le Sommet est aussi marqué par le grand dévoilement de l’étude Creative Footprint pour Montréal, réalisée par VibeLab.

L’événement NON STOP ravira quant à lui les amateurs et amatrices de gros son, avec 36h de musique sans interruption. En tête d’affiche : la « First Lady of Wax » DJ Minx, l’ambassadrice de la techno énervée VTSS et l’excellent Jacques Greene. Ils seront accompagnés par un plateau local bien fourni avec dileta, Lis Dalton, GLOWZI, Lia Plutonic ou encore Ramzilla. Une scène gratuite sera accessible toute la journée samedi, Place des commencements.

À quelques heures du coup d’envoi de l’édition 2023 de MTL au Sommet de la nuit, PAN M 360 a rencontré Diana Raiselis, chercheure principale en charge de l’étude Creative Footprint pour Montréal, pour discuter des résultats de ce travail de terrain ayant duré plus d’un an.

PAN M 360 : Qu’est-ce qui vous a amené à faire de la recherche sur les espaces et les activités nocturnes ?

Diana Raiselis : J’ai passé les premières années de ma vie professionnelle à Chicago, où je travaillais dans le milieu du théâtre. J’ai entendu parler du travail des maires de nuit et de la politique nocturne au moment même où je voyais des espaces à Chicago et ailleurs aux États-Unis menacés par les pressions politiques, la gentrification, le déplacement, toutes ces choses différentes sur lesquelles je travaille aujourd’hui. J’ai en quelque sorte commencé à réaliser à quel point les facteurs urbains déterminent clairement la quantité de théâtre, de performances, de cultures de clubs de musique qui existent dans une ville. J’ai une double formation en théâtre, en politique publique et en affaires urbaines, ce qui m’a amenée à Berlin pour étudier les activités de la Club Commission de Berlin dans le cadre d’une bourse de recherche qui devait durer un an et demi. Quatre ans plus tard, j’y suis toujours.

PAN M 360 : Que faites-vous aujourd’hui à Berlin ?

Diana Raiselis : J’ai plusieurs casquettes. Je travaille en freelance pour diverses organisations, mais l’une de ces casquettes est celle de responsable de la recherche pour Vibe Lab, une société de conseil axée sur la nuit, la vie nocturne et les industries culturelles, basée à Berlin, en Allemagne et à Sydney. Vibe Lab crée donc Creative Footprint, et je suis vraiment très heureuse que cette cinquième édition soit publiée aujourd’hui.

PAN M 360 :  Pouvez-vous nous en dire plus sur la méthodologie que vous utilisez pour produire Creative Footprint ?

Diana Raiselis : Oui, absolument. Il s’agit d’une étude basée sur des données qui cartographient les espaces et les communautés nocturnes afin de comprendre la force et l’impact culturel de l’écosystème musical et nocturne d’une ville. Ce rapport travaille de manière qualitative et quantitative, ainsi qu’avec des données géographiques et spatiales, afin de rassembler tous ces éléments et d’obtenir une image holistique de la place de la vie nocturne dans la ville, de son interaction avec les différents facteurs urbains, tels que le coût des transports en commun et la politique. Comme j’ai aussi été metteur en scène de théâtre, pour moi, les données doivent toujours être accompagnées d’une histoire, alors parler aux gens, comprendre les défis auxquels ils sont confrontés, les choses qu’ils apprécient le plus dans leur ville… pour moi, c’est ce qui donne vie aux chiffres.

PAN M 360 : Comment Creative Footprint peut-elle aider les défenseurs de la vie nocturne ?

Diana Raiselis: Je pense que l’un des plus gros problèmes est que souvent les défenseurs de la vie nocturne n’ont pas de données pour défendre ce qu’ils voient ou ce qu’ils comprennent comme étant vrai dans leur propre pratique et leur propre expérience. Les décideurs politiques veulent souvent des preuves, vous savez, des essais de données, etc. Creative Footprint constitue le début d’une base de référence. Nous utilisons des scores, mais il ne s’agit pas nécessairement de comparer les villes entre elles et de dire « celle-ci est meilleure ou pire que celle-là ». Il s’agit plutôt de savoir quel sera le score en 2023. Montréal a obtenu de très bons résultats sur les variables de programmation, comme les aspects de la communauté, du contenu et des espaces, mais n’a pas obtenu d’aussi bons résultats sur ce que nous appelons les conditions cadres, c’est-à-dire les politiques, les transports, l’accès à l’information, la gouvernance, etc.

PAN M 360 : Vous avez donné des informations sur le score de Montréal, pouvez-vous développer les paramètres et les indicateurs que vous mobilisez ?

Diana Raiselis: Nous travaillons dans trois domaines différents. Nous avons parlé des conditions-cadres, qui sont en quelque sorte le matériel et le logiciel, si vous voulez, de toutes les choses qui affectent la facilité ou la difficulté d’organiser des événements de vie nocturne, des lieux, etc. La communauté et le contenu sont ce que nous appelons les variables de programmation, c’est-à-dire tous les aspects de ce qui est créé dans ces espaces, le degré d’interdisciplinarité ou de polyvalence des espaces, la manière dont ils sont axés sur la communauté, sur la production créative par opposition à d’autres éléments. Quant à l’espace, nous examinons des facteurs plus tangibles tels que la taille des lieux, leur ancienneté, leurs multiples fonctions et la manière dont ils atteignent les gens par le biais des médias sociaux et d’autres canaux.

PAN M 360 : Quel type de données recueillez-vous et quelles sont vos stratégies de collecte ? 

Diana Raiselis : Nous travaillons en étroite collaboration avec une organisation appelée Penn Praxis. Il s’agit d’une organisation à but non lucratif rattachée à l’école de planification de l’université de Pennsylvanie. Elle s’occupe de l’analyse des données urbaines, ce qui lui permet d’obtenir des données de recensement et des données géographiques qui peuvent être superposées aux informations que nous recueillons. Nous créons une liste de lieux aussi complète que possible avec autant de caractéristiques que possible, puis nous travaillons avec des groupes de discussion et des entretiens avec des membres de la communauté pour recueillir davantage d’informations sur ces éléments et ensuite approfondir, par le biais des entretiens, certaines des dynamiques qui se manifestent peut-être dans la ville.

PAN M 360 : Vous avez déjà parlé des résultats et vous avez dit que Montréal était très forte pour tout ce qui était lié à la communauté. Qu’est-ce que cela signifie ?

Diana Raiselis : Oui, absolument. Je pense que l’une des choses qui m’a le plus frappée, c’est que plus de la moitié des salles de Montréal ont des usages multiples, ce qui signifie qu’en plus de présenter de la musique en direct, elles fonctionnent peut-être aussi comme studio pour l’art visuel ou le cinéma, ou encore pour la vente au détail. C’est plus que dans beaucoup d’autres villes que nous avons étudiées et, en moyenne, ces salles ont plus d’utilisations différentes. Il ne s’agit pas seulement d’une ou deux fonctions, mais de beaucoup plus. Ces lieux polyvalents ont également tendance à être mieux notés sur les variables de communauté et de contenu dont nous avons parlé, c’est-à-dire des éléments tels que l’orientation communautaire, la production créative, l’expérimentation, ce qui suggère que, d’une part, ces espaces peuvent être plus résilients. Ils peuvent atteindre un public plus large de bien des façons, et surtout quand on pense à la pandémie de ces dernières années, où de nombreux lieux ont dû faire preuve d’ingéniosité, pivoter ou essayer de nouveaux modèles commerciaux pour survivre, les espaces qui peuvent le faire bien sont peut-être plus forts pour eux.

L’une des autres choses que j’ai trouvées très intéressantes, c’est que les gens nous ont dit qu’en dépit de ces lieux polyvalents, ils n’avaient pas nécessairement l’impression qu’il y avait beaucoup de clubs. S’ils veulent organiser un événement, en particulier après 3 heures du matin, ils doivent souvent se tourner vers des lieux de location, ce qui oblige les organisateurs à repartir de zéro à chaque fois, à apporter du matériel, à faire beaucoup d’installations qui ne seraient pas nécessairement faites dans un espace dédié… Vous savez, nous pensons souvent que ces lieux polyvalents constituent un écosystème de lieux plus fort, mais il y a aussi un réel besoin d’espaces dédiés de type club qui soient suffisamment grands et qui disposent de l’installation appropriée pour que les gens n’aient pas nécessairement à repartir de zéro à chaque fois.

Diagramme de la note générale accordée par Creative Footprint à Montréal (p.29)

PAN M 360: Y a-t-il des recommandations ou des idées que cette étude souhaite transmettre aux décideurs ?

Diana Raiselis : Cette étude arrive à point nommé, car la ville est en train de préparer sa stratégie en matière de vie nocturne, qui régira la prise de décision au cours des prochaines années. Les recommandations que nous formulons dans ce rapport sont regroupées en trois grands thèmes : 1) protéger ce qui existe déjà. Renforcer les politiques qui permettent aux lieux de rester là où ils sont, qu’il s’agisse de soutien financier, de soutien politique, de médiation dans les quartiers, etc. ; 2) instaurer la confiance, renforcer les relations entre les acteurs de la scène, les décideurs et la sécurité publique ; 3) se développer, réfléchir à la manière d’élargir non seulement l’espace de la vie nocturne, en pensant aux espaces appartenant à la ville qui pourraient être activés, mais aussi au temps consacré à la vie nocturne. Au cours de l’année écoulée, un certain nombre d’événements pilotes ont commencé à préparer le terrain et je pense que Montréal a fait un travail remarquable pour montrer que la fin de la nuit est possible et qu’il n’y a pas de mauvaises conséquences associées à cela.

L’une des choses que nous avons suggérées est d’examiner la façon dont l’insonorisation est abordée. C’est une bonne chose qu’il existe déjà un fonds pour l’insonorisation, mais pour l’instant, il est limité aux lieux détenant une licence de salle de spectacle. L’étude a montré que de nombreux espaces importants pour la musique peuvent être des bars avec une piste de danse. Nous devons donc nous assurer que ces espaces sont également éligibles aux aides à l’insonorisation, car ils sont souvent situés à proximité d’immeubles résidentiels et connaissent les mêmes types de conflits qu’une salle de spectacle titulaire d’une licence.

Il s’agit donc d’un premier point. Il est également important de créer un poste de liaison avec la ville, ce qui a pris de nombreuses formes différentes dans les villes du monde entier. Il faut se demander qui est la personne au sein du gouvernement capable de travailler en étroite collaboration avec les gens, de créer une vie nocturne et, enfin, d’envisager la possibilité d’une ouverture 24 heures sur 24, non seulement en termes d’autorisation d’événements, mais aussi en s’orientant vers des concepts de lieux ouverts 24 heures sur 24. Je pense qu’il est également intéressant de noter que nous avons constaté que la vie nocturne à Montréal est très concentrée dans 4 districts. Ces 4 districts regroupent 89% des lieux, 2 districts en regroupent 75%, et donc le fait de travailler en étroite collaboration avec le gouvernement au niveau de l’arrondissement ainsi qu’avec ces espaces peut avoir un impact considérable.

PAN M 360 : : Oui, vous avez dit que vous veniez du milieu du théâtre, mais la vie nocturne est souvent associée à la musique, avez-vous un intérêt pour cette forme d’expression artistique ?

Diana Raiselis : Oh, absolument ! Pour moi, en tant que réalisatrice et productrice d’événements, ce que les gens sont capables de faire, surtout dans le monde de la musique électronique et de la culture des clubs, pour créer ce monde immersif, il y a cette peur, comme le dit Fiona Buckland, qui parle du temps des clubs comme d’un temps sans boîte, d’être capable de disparaître dans cette réalité alternative, et je pense que c’est ce que tout créateur de théâtre veut pouvoir faire. Lorsque je sors, c’est donc à cela que je fais attention. Quels sont les gestes de création du monde qui se produisent à l’intérieur d’un club particulier, qu’il s’agisse de l’environnement bâti – est-ce une sorte de labyrinthe, ou entre-t-on dans le club et voit-on l’espace… Tout cela influence la musique, son parcours au cours de la nuit, en tant que conversation entre le DJ et la foule.

PAN M 360 : Et pendant le travail de terrain, avez-vous découvert un lieu ou un endroit que vous avez vraiment aimé à Montréal ?

Diana Raiselis : Nous sommes tombés par hasard sur Coup de cœur francophone à l’Escogriffe (novembre 2022), c’était quelque chose d’incroyable, c’était une vraie joie de découvrir ça!

L’auteure de cette interview est également membre du Conseil de nuit de MTL 24/24. Elle a réalisé cette interview en tant que journaliste.

PROGRAMME COMPLET – MTL au Sommet de la nuit

PROGRAMME COMPLET – NON STOP 24/24

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