renseignements supplémentaires
Pour employer (et recycler) une expression galvaudée par les temps qui courent, Ahmed Moneka a dû se réinventer bien avant la pandémie. Acteur et animateur connu du grand public irakien, il a dû migrer au Canada en 2015 pour assurer sa sécurité à la suite de menaces sérieuses lui étant proférées par des milices intolérantes – il avait participé au tournage d’un film portant sur l’homosexualité dans le monde arabe.
À Toronto, il est devenu chanteur et, de facto, promoteur d’une culture afro-irakienne peu connue en Occident. Il faut savoir que près de 2 millions de citoyens irakiens sont afro-descendants, issus d’une traite transsaharienne d’esclaves bantous amorcée dans les années 800 et dont la révolte sanglante avait fait des centaines de milliers de morts à cette lointaine époque. Un millénaire plus tard, cette culture africaine existe toujours en Irak, Ahmed Moneka en est un fier représentant.
Qui plus est, cet artiste devenu Canadien et citoyen du monde n’hésite pas à fusionner sa culture avec celles de ses collègues musiciens du Moneka Arabic Jazz, invité ce samedi 6 novembre au Festival du monde arabe. D’où cette interview avec PAN M 360.
PAN M 360 : « Un spectacle conçu comme un autoportrait, comme un miroir sur sa propre vie, voilà le chemin artistique qu’Ahmed Moneka a décidé d’emprunter avec Moneka Arabic Jazz. » C’est ainsi que votre concert est décrit par le FMA. Pouvez-vous commenter cet autoportrait ?
Ahmed Moneka : C’est la bande-son de ma vie, le maqam irakien avec lequel j’ai grandi à Bagdad et la chaleur des quarts de ton est dans mes veines et aussi le groove africain dans mon âme qui vient de mes ancêtres, la famille Moneka et la liberté d’expression du jazz. C’est ce qui m’a inspiré dans ma ville, Toronto, le lieu de rencontre.
PAN M 360 : Dans quelles circonstances avez-vous quitté l’Irak ?
Ahmed Moneka : Je suis arrivé ici au Canada, le 10 septembre 2015. J’ai quitté l’Irak pendant 10 jours. J’ai été invité au Festival international du film de Toronto pour présenter le film que j’ai coécrit et dans lequel j’ai joué. Le film portait sur les droits des homosexuels en Irak, et il y a eu un vent d’événements concernant cette question en 2011 à Bagdad. Lorsque nous avons projeté le film en 2015, j’ai reçu des menaces de la part de la milice locale. J’ai été obligé de rester ici pour sauver ma vie. Et vous savez, maintenant, je suis heureux. Je pense que je le suis. Le changement a été pour le mieux.
Bagdad est toujours aussi belle. C’est une ville étonnante et il y a beaucoup de grands artistes qui créent et une scène artistique vraiment riche aujourd’hui, dans de nombreux secteurs différents comme la télévision, la musique, le théâtre, les films et aussi les artistes visuels. Une révolution folle est en train de se produire là-bas et tout tourne autour de l’amour et du plaisir. Donc, vous savez, là où il y a de l’amour, il y a du bonheur. Il y a des gens qui travaillent vraiment dur pour remplir la communauté de joie et pour garder la ville belle.
PAN M 360 : Quelle a été votre formation vocale, musicale et artistique en Irak ?
Ahmed Moneka : La première interaction avec la musique pour moi était avec ma famille. Je chantais et jouais du tambour. J’avais cinq ans. Quand j’ai été initié aux cérémonies afro-soufies dans la maison familiale. J’ai également appris la musique maqam à l’école, à l’institution des Beaux-Arts de Bagdad. Et cela faisait aussi partie de ma formation d’acteur.
PAN M 360 : Les instruments de votre formation sont variés et ne sont pas tous arabes. Pouvez-vous les décrire ?
Ahmed Moneka : Nous avons le oud et le ney, qui sont arabes, mais aussi la guitare, le clavier, le saxophone, la kora, la guitare basse, la batterie et le violon ne le sont pas. Et donc oui, nous formons un groupe très diversifié.
PAN M 360 : Vos vidéos musicales sont basées sur le groove, une sorte d’approche funk jazz reggae dans laquelle vous injectez des mélodies typiquement arabes ; pouvez-vous nous en dire plus ?
Ahmed Moneka : Je vis à Toronto, je suis irakien, arabe. Je suis inspiré par la musique du monde, surtout ici à Toronto, j’ai été inspiré par beaucoup d’horizons différents : la musique cubaine, jazz, balkanique, africaine, asiatique et j’aime aussi la musique canadienne. J’ai pensé que j’avais quelque chose à partager. À ajouter au plat. Et c’était mon héritage culturel africain irakien et cela s’incarne dans le Moneka Arabic Jazz.
PAN M 360 : De Bagdad à Toronto, votre métier a probablement changé même si vous avez gardé toutes les racines de votre origine irakienne. En quoi a-t-il changé depuis votre arrivée au Canada ?
Ahmed Moneka : Les gens me connaissent à Bagdad comme un acteur qui a été formé dans une école de théâtre. J’ai travaillé au théâtre et dans des films, des séries télévisées, et j’ai également animé une émission de télévision. Mais je n’ai jamais joué dans un groupe à Bagdad, ni en Irak. J’ai commencé à jouer ici, au Canada. Pourquoi ? Parce que lorsque je suis arrivé ici, je ne savais pas parler anglais à l’époque, alors la musique et le chant en arabe étaient quelque chose qui me permettait de me sentir moi-même, et de partager ma culture et mon héritage également, en commençant par Mosquito Bar, le premier groupe avec lequel j’ai joué dans ma vie et au Canada également. Et après cela, j’ai créé Moneka Arabic Jazz, pour me représenter encore plus.
PAN M 360 : De quelle manière vos musiciens nord-américains ont-ils été influencés par vous et par la culture irakienne en général ? Comment cela a-t-il changé leur jeu et aussi l’improvisation ?
Ahmed Moneka : Les musiciens avec lesquels je joue sont très professionnels, et je les ai choisis pour cette raison. Il y a Demetri Petsalakis de Grèce. Nous partageons le maqam et aussi ce style de musique qui est vivant en Grèce. Demetri est le directeur musical de Kuné – l’orchestre mondial du Canada. Il joue de l’oud et connaît bien le maqam. Il joue aussi de la guitare et connaît bien le rock, le jazz et d’autres genres musicaux ; il joue aussi des claviers. Même chose pour Waleed, il est originaire du Soudan et connaît le maqam mais aussi, il enseigne la musique africaine et la samba au Humber College. En tant que bassiste, il connaît aussi la musique occidentale. Il y a Fathi Najem, qui est Algérien – il est familier avec la musique occidentale et orientale et a un côté africain avec les Amazighs algériens. Walid a aussi la touche africaine ainsi que l’expérience de la musique orientale et occidentale. Ernie Tollar, qui joue du saxophone et du Ney, est extraordinaire. Il a été formé en Inde et a joué beaucoup de musique arabe parce que sa femme est égyptienne, donc il connaît bien le monde oriental et c’est un saxophoniste de jazz incroyable. Enfin, il y a Max Sennitt, qui a joué avec de nombreux groupes différents et qui a une grande connaissance de la musique du monde. En travaillant dur, il a beaucoup appris sur le rythme irakien. Ils ont tous appris les particularités de la musique irakienne. Ils sont tous extraordinaires, on peut dire que ce sont des anges.
PAN M 360 : Vous avez été impliqué dans d’autres domaines de la musique occidentale – Canadian Opera Company, Tafelmusik Baroque Orchestra et le Royal Conservatory of Music. Vous alimentez donc aussi une conversation musicale avec la musique classique occidentale, n’est-ce pas ?
Ahmed Moneka : J’ai effectivement travaillé avec toutes ces personnes, institutions et organisations extraordinaires. Et dans tous les endroits où j’ai travaillé, j’ai travaillé à ma façon, à ma façon d’être arabe irakien. Par exemple, avec la Compagnie d’opéra canadienne, j’ai travaillé avec Wajdi Mouawad sur le spectacle, et j’ai enseigné le maqam arabe comme l’appel à la prière – je mettais en scène, je jouais et j’aidais à l’intégration du mouvement spécifique de la culture arabe. J’ai fait de la poésie et une chanson avec le Royal Conservatory, parce que je fais partie de Kuné – Canada’s Global Orchestra, qui a présenté un spectacle au Royal Conservatory. Donc oui, j’ai collaboré à de nombreux projets et événements différents avec ces institutions, et chaque fois, c’était une expérience unique et une occasion de partager mon héritage arabe dans tous ces endroits.
Alors oui, j’ai beaucoup travaillé dans le domaine du théâtre. Et oui, je suis également musicien. Parfois je fais des collaborations avec d’autres artistes, mais pour ce qui est du Moneka Arabic Jazz : Waleed Abdulhamid joue la basse, Demetri Petsalakis la guitare et loud, Ernie Tollar le ney et le saxophone, Fathi Najem le violon, Max Sennitt la batterie. Tous les musiciens sont originaires de Toronto. Nous nous sommes rencontrés ici au Canada et nous jouons ensemble depuis. Et ils constituent le noyau de ce groupe.
PAN M 360 : À quoi s’attendre à Montréal ?
Ahmed Moneka : À du PLAISIR, à de l’énergie, à de l’amour. Maximum extase! Merci beaucoup au Festival du Monde Arabe de Montréal de nous recevoir. Et merci encore pour cette interview.