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En 2013, le groupe Rhye lançait Woman, album annonciateur d’une carrière des plus prometteuses. Voix magnifique de contre-ténor, usage circonspect des technologies numériques, propositions mélodiques des plus inspirées, pop raffinée au possible. Nous nous étions pâmés, nous voilà sept ans plus tard.
Rhye fut d’abord un tandem constitué du Canadien Mike Milosh et du Danois Robin Hannibal, mais ce dernier abandonna le projet avant même qu’il ne décolle,- ceci dû à des conflits contractuels pour un autre projet discographique, soit le groupe Quadron.
Sous le pseudo Rhye, le Torontois d’origine (transplanté à Los Angeles) Mike Milosh a depuis sorti l’album Blood en 2018, le maxi Spirit en 2019. On ne compte pas ses musiques de films, un projet pour le plancher de danse qu’il prévoit mettre en œuvre avec le célébrissime Diplo, ainsi que les œuvres planantes créées pour Secular Sabbath, concept d’événements immersifs orchestré avec sa conjointe Genevieve Medow Jenkins.
Voici la sortie imminente de l’opus Home sous la bannière Rhye et sous étiquette Last Gang. Composé en 2019 et 2020, Home a été enregistré aux United Recording Studios, Revival at The Complex (Earth, Wind, & Fire), et mixé par Alan Moulder (Nine Inch Nails, Interpol, My Bloody Valentine).
Voilà un excellent prétexte pour causer à Mike Milosh en ce début 2021.
PAN M 360 : À l’écoute de votre nouvel album, il semble évident que vous ne travaillez pas seul, n’est-ce pas?
MIKE MILOSH : « Je travaille seul au départ, je m’entoure ensuite. Je suis responsable de l’ensemble de la réalisation, je fais l’essentiel de la composition et de l’écriture, puis je fais équipe avec d’autres musiciens pour élever la proposition. Une trentaine de musiciens participent à mes projets, nous sommes huit sur scène lors de mes tournées. Il me faut constamment m’ajuster avec ce groupe de collègues qui ont des familles et ne peuvent toujours se libérer pour de longues périodes.
PAN M 360 : Il y avait eu un écart de cinq ans entre la sortie du premier album et du deuxième. Depuis, 2018, cependant, trois albums sont sortis. Comment expliquer le premier hiatus, beaucoup plus long que les autres?
MIKE MILOSH : « J’ai donné plus de 800 concerts depuis 2013, j’ai beaucoup tourné. J’ai tourné pendant cinq ans après le premier album, mais j’ai eu des complications contractuelles avec le label de l’époque (Polydor), j’ai dû m’affranchir de ce contrat en tournant et récoltant les revenus nécessaires pour parvenir à mes fins et trouver un nouveau contrat d’enregistrement. Ce fut très compliqué d’y parvenir, frais d’avocats, etc. Il y avait un gros nuage noir au-dessus du projet Rhye, il a fini par se dissiper. J’ai alors enregistré Blood, puis Spirit,un enregistrement piano-voix, ce qui m’a mené ensuite à la création de Home. C’est fou ce chemin parcouru ! Je n’ai pas vraiment de regrets, le passé est le passé et je suis toujours en train de faire de la musique, ce que j’aime le plus faire dans la vie. »
PAN M 360 : « Vous aviez une entente contractuelle avec Universal, une major, vous avez finalement opté pour une vie d’entrepreneur indépendant. Que justifie ce choix? »
MIKE MILOSH : « Tourner ou enregistrer avec beaucoup de monde, c’est cher. Je suis devenu une sorte d’entrepreneur, j’ai dû vraiment réfléchir aux dépenses et à la survie possible du projet. Je dois réinvestir les bénéfices au coeur du projet et sacrifier toutes dépenses le moindrement excessives, les éclairages notamment. J’assume que mon spectacle soit intime et vraiment consacré à la musique. Je me vois donc de la manière dont l’industrie de la musique ne me voit pas, à la fois chanteur, réalisateur, compositeur, producteur. Je dois aussi varier les propositions, ce que je fais avec grand plaisir. Lorsque je compose pour le cinéma, c’est plus proche de la musique classique. Je peux aussi faire dans le classic rock, j’ai un projet plus dance floor en marche avec Diplo, je fais aussi les musiques ambient de Secular Sabath, un projet avec ma compagne Genevieve qui accueille les gens dans un environnement intime où la musique côtoie la relaxation et la gastronomie. J’adore faire de la musique sous plusieurs formes, j’aime aussi la photographie et la peinture. Je ne me vois pas comme une célébrité, je suis un musicien relativement connu qui doit porter plusieurs chapeaux, dont celui qui me permet de faire de l’argent pour continuer. »
PAN M 360 : L’écoute de Home mène à ce constat : la musique enregistrée en studio est plus proche d’une exécution sur scène. Comment expliquer ce passage d’une réalisation électronique à une réalisation fondée sur des musiques instrumentales?
MIKE MILOSH : « Auparavant, j’ai traversé une phase où je faisais beaucoup de production incluant nombre de procédés inhérents à l’usage des technologies numériques, beaucoup de montage également. Or, le nouvel album ne comporte pas de MIDI (musical instrument digital interface) tout est beaucoup plus organique. C’est, je crois, la conséquence de mes tournées où nous étions huit sur scène. Aucun ordinateur pris en compte, l’emphase se trouve sur le côté unique de chaque exécution. Lorsque je compose désormais, j’essaie de voir comment cela se traduit sur scène, comment cela peut varier d’une soirée à l’autre. Je joue moi-même de plusieurs instruments : batterie, violoncelle, la plupart des claviers. Je m’intéresse beaucoup aux synthétiseurs, je peux aussi écrire les arrangements de cordes. En somme, chaque instrument impliqué est vraiment joué par un être humain. »
PAN M 360 : Mais pourquoi avoir abandonné le côté électro de vos débuts du projet Rhye?
MIKE MILOSH : « Vous savez, Rhye demeure Rhye. Avant de lancer ce projet, j’avais un autre projet électronique nommé Milosh, un peu pop, proche de la chanson mais électro. Il fut un temps où j’adorais la production électronique mais à un certain stade, l’usage de l’ordinateur a commencé à m’ennuyer. Mon corps voulait écouter de vrais instruments, de vraies cordes, de vrais instruments à vent, de la vraie batterie, un son de piano résultat d’un réglage subtil de la prise de son. Il y a dans l’exécution instrumentale cette magie qui manque à la production électronique, bien que le côté expérimental de la musique électronique demeure pour moi très intéressant.
« Or, ça l’est moins pour moi en tant que réalisateur. Je m’intéresse actuellement aux textures des instruments, à la réverbération naturelle, à l’usage circonspect des micros, à la chaleur des technologies analogiques. Mais cela reste le même style, mon approche est centrée sur mon habileté à chanter et composer des chansons. C’est toujours moi que vous entendez au bout du compte. Je ne réinvente pas la roue. Je veux enregistrer ce que j’aime entendre dans une chanson, je trouve en ce sens qu’il manque souvent quelque chose dans la production pop et c’est ce que je m’applique à combler. »
PAN M 360 : Quels sont selon vous les signes distinctifs de l’album Home?
MIKE MILOSH : « Sur cet album, mon accomplissement le plus cher a été l’enregistrement d’un choeur danois d’une cinquantaine de voix féminines. Ce ne fut pas facile de réunir ces chanteuses dans une même pièce et en tirer le meilleur; les coûts d’opération sont élevés, les arrangements choraux doivent être bien faits, mais ce fut assez naturel pour moi d’arranger ces voix comme ce fut le cas des cordes de cet enregistrement.
« Par ailleurs, j’ai été très prudent pour maintenir l’équilibre des arrangements, ne pas les surcharger, arranger sobrement, assembler les morceaux du puzzle. En fait, tout ça est un processus en continu dont le lien est nul autre que moi-même. Au fond, cela est similaire à mes premiers enregistrements électroniques, même si les moyens pour y parvenir sont différents. J’essaie de rendre compte de l’esprit humain mis à contribution, le mien et celui de mes collaborateurs. »
PAN M 360 : Côté textes, pouvez-vous expliquer le lien entre l’inspiration et le résultat ?
MIKE MILOSH : « L’inspiration de ces chansons résulte surtout d’expériences réellement vécues. Il faut selon moi que chacune de mes chansons s’incarne dans de réelles expériences de vie. Ma vie personnelle et mon expression artistique, donc, sont intimement fusionnées. J’essaie évidemment d’exclure les éléments directs de ma vie privée dans mes textes de chanson, mais mes propres expériences rejaillissent à coup sûr sans qu’on sache exactement ce qui s’est produit. »
PAN M 360 : Pouvez-vous nous fournir des exemples?
MIKE MILOSH : « Je vous en donne deux. La chanson My Heart Bleeds était en chantier, je travaillais alors avec un collègue à Los Angeles, je ne savais pas trop où j’allais et j’avais décidé d’attendre pour que l’idée se précise. Pendant cette attente, la cousine afro-américaine de mon collègue fut victime d’un crime raciste : elle fut poignardée et s’est heureusement tirée d’affaires. Cet événement m’a obsédé… et précisé l’idée de la chanson. Actuellement, il y a beaucoup de tensions raciales aux États-Unis, cela m’affecte énormément et le texte de My Heart Bleeds résulte finalement de cet état d’esprit. Même si je n’aborde pas directement ce fait dans la chanson, le texte en découle. »
« Dans Sweetest Revenge, j’exprime cette idée de ne pas véhiculer de haine et d’agressivité à l’endroit de quiconque peut me faire fait du mal. J’estime qu’il vaille mieux poursuivre ma vie et essayer d’être heureux. Il ne sert à rien de te venger, la meilleure thérapie face à une agression consiste à aller de l’avant et rechercher la beauté dans la vie. »