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Jocelyn et Érick ont travaillé ensemble pour la première fois il y a une huitaine d’années sur un projet de réinterprétation de Rhinocéros d’Ionesco. Quelque temps après, en 2015, ils ont fait de nouveau équipe pour Radical K-O, spectacle inspiré de la boxe et de la violence qui la sous-tend, présenté en ouverture du Mois Multi à Québec. C’est à cette époque que l’idée de faire un Macbeth métal s’est mise à germer.
« Ç’a commencé par une joke, lance Érick.
« On a fait, oh wow! s’écrie Jocelyn. Puis, une fois l’idée lancée, on s’est mis à y penser plus sérieusement. Parce que les thèmes, le côté brut de la pièce, la célébration des forces occultes, toute sa dimension mystique… on trouvait que ça marchait bien avec un concert de musique métal. »
Pièce la plus courte de Shakespeare, mais aussi l’une de ses plus jouées – elle a aussi fait l’objet de nombreuses adaptations au cinéma – Macbeth raconte en cinq actes comment le général du même nom, poussé par sa femme, assassine le roi d’Écosse pour s’emparer du pouvoir, et comment, en proie aux remords et à la paranoïa, le couple sombre peu à peu dans la folie.
L’idée n’était pas de simplement assortir la pièce du barde de Stratford d’une trame de rock heavy metal. Les comédiens ne jouent pas que leur rôle, ils sont aussi les musiciens, épaulés par un batteur, Sam Bobony (Black Givre, Avec le soleil sortant de sa bouche), et Érick, à l’électronique, qui s’occupe des ambiances.
Par ailleurs, le travail musical auquel doivent se consacrer les comédiens semble les amener à jouer autrement, de façon plus instinctive, leur intellect étant pour ainsi dire occupé à maîtriser l’aspect musical.
« Pour moi, poursuit Jocelyn, c’était un enjeu de ne pas prendre juste des musiciens professionnels. Parce que dans le fond, c’est une manière de provoquer les comédiens et de les amener à un niveau de jeu où ils sont plus fragiles, plus instinctifs. C’est comme une manière de détourner leur attention pour arriver à plus d’authenticité. »
Bien que s’en tenant au heavy metal, les éléments de la trame sonore sont d’influences assez variées.
« Ce n’est pas uniquement un spectacle de death metal, précise Érick. Il y a du drone metal à la Sunn O))), on a aussi des trucs qui font des clins d’œil à des groupes comme Slayer ou même Metallica. »
Bien entendu il a fallu explorer toutes sortes de possibilités pour assurer la complémentarité entre les éléments dramaturgiques, les émotions vécues par les personnages et la musique.
« On a vraiment beaucoup cherché. Je pensais que c’était dans le texte, mais finalement c’est à travers la musique que s’exprime ce qui se passe, croit Jocelyn. Telle toune représente l’angoisse ou la colère d’Untel, la camaraderie, la fraternité, le plaisir et aussi celui d’un band qui joue ensemble, qui trippe, jusqu’à ce que tout se détruise. Ce qui fait que moi, dans ma mise en scène, il fallait toujours que j’abandonne quelque chose au profit de la musique qui, elle, devient un véhicule, un langage. »
Il fallait toutefois garder les rênes bien en main pour s’assurer que la musique ne fasse pas dévier la pièce et reste fidèle à l’esthétique du heavy metal.
« Plusieurs fois, rapporte Érick, les comédiens-musiciens se sont rencontrés, ont composé des pièces, et là ils arrivaient, regardez, on a fait ça. Alors on élaguait de façon à garder un esprit métal. Il faut comprendre qu’on a des maquillages de métal norvégien. Si on commence à faire du rock ‘n roll, ça ne marchera pas. »
La musique a influencé la dramaturgie de la pièce de façon telle qu’elle découpe cette dernière de façon encore plus nette.
« C’est vraiment en deux parties, constate Jocelyn. Dans la première, on est plus band, on célèbre de façon un peu plus classique, ce qu’on pourrait imaginer d’un concert de métal, avec une mise en scène, des beaux costumes et des beaux maquillages. Après le meurtre de Banquo, c’est comme un deuxième spectacle, qui va dans une forme de radicalité étrange. Ça va dans le cauchemar. Ils ne dorment plus et rien ne va plus pour le couple.
« La première partie, en fait, ajoute Érick, si on a un public uniquement de théâtre qui n’est jamais allé voir un spectacle de death metal ou de drone metal, les gens vont voir ce qu’ils ont déjà imaginé. Ils vont voir exactement ce à quoi on s’attend.
« Ah! Satan! s’écrie Jocelyn, et tous deux se mettent à rigoler.
« Les codes ont vraiment été respectés, continue Érick. On est entre le super show d’un band vraiment connu, pis le band qui joue dans son garage.
« Mais qui y croit, renchérit Jocelyn.
« Tandis qu’avec la deuxième partie, poursuit Érick, on tombe véritablement dans un théâtre d’expérimentation. Beaucoup plus proche de ce que je fais. Ça frôle le noise, l’abstraction.
« Cette partie-là appartient plus aux deux musiciens, reprend Jocelyn, et les comédiens sont davantage dans leur rôle originel. On entre alors dans quelque chose de très condensé. Et puis de toute façon, on joue avec le fait que les gens la connaissent l’histoire.
« Tous ceux qui ont vu nos versions précédentes, relève Érick, et qui connaissaient Shakespeare, disaient tous la même chose : on comprend, on n’a pas besoin d’autre chose. »
Depuis le premier flash, il y a un peu plus de cinq ans, le processus de maturation a été long : résidence à Québec, présentation dans le cadre du Off FTA il y a un an et demi, puis en février dernier au Mois Multi à Québec, mais il a porté fruit.
« Le public risque de se demander jusqu’où ça va aller, s’interroge Jocelyn. Dans les mises en scène que j’ai vues de Macbeth, le niveau de tension a rarement atteint le niveau auquel on est arrivé. Et ça, c’est à travers le vecteur musical et le spectacle. L’intuition qu’on a eue sert sur le plan du jeu, elle amène toute la théâtralité. Après avoir eu un jam de gros death metal de six minutes, tout est plus ouvert.
« C’est peut-être ça, parce qu’on est à vif, c’est plus poreux. La théâtralité, la tension, le danger, ils sont là. C’est comme un regard nouveau. Parce qu’on connaît tellement l’histoire, on a besoin d’en faire moins. C’est ce qu’on fait d’autre qui est intéressant.
« La deuxième partie est plus onirique, poursuit-il, il n’y a pratiquement plus de texte, à part quelques monologues. Les sorcières possèdent complètement Lady Macbeth, puis, à travers la possession, on s’en va finalement vers un dépouillement, étrangement. Il ne reste que la musique. On termine sur la solitude. Après avoir tué tout le monde Macbeth reste seul avec les fantômes de sa blonde et de son ami qu’il a tué.
« En tout cas, on l’a jamais vu ce Macbeth-là. Ça fait que c’est vraiment excitant.
« C’est un beau mauvais coup.
« La musique nous empêche de faire un théâtre psychologique, conclut Guillaume Perreault (qui joue Macbeth), arrivé sur ces entrefaites, et pour ça c’est vraiment réussi. C’est très grisant pour les comédiens. »
Pour ceux et celles qui s’inquiéteraient du niveau des décibels, précisons que la production fournit les bouchons.