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« Habitant est une véritable traversée des mémoires musicales du Québec et donne à voir en musique le fleuve, la forêt, le lien de l’habitant avec son territoire, figure longtemps jugée naïve que le groupe se propose de magnifier tout comme les airs traditionnels. »
« J’ai eu cette envie viscérale de créer un ensemble au croisement des trois univers musicaux qui m’habitent : jazz, musique contemporaine et trad. »
Ces trois ingrédients actifs sont cuisinés par le guitariste Sébastien Sauvageau et ses collègues de l’Oumigmag. Depuis 2017, la formation a produit deux albums, Territoires et Habitant, une des rarissimes formations québécoises à offrir de telles surimpressions stylistiques et atteindre du coup un niveau élevé d’interprétation.
Encore trop peu connu des mélomanes, l’Oumigmag mérite pleinement cet autoportrait dessiné par son leader avec l’aide de PAN M 360. Dans le contexte de l’Off festival de jazz de Montréal, un concert présenté le 6 octobre au Ministère constitue une excellente occasion de rattrapage.
PAN M 360 : Le projet Oumigmag consiste-t-il essentiellement une jazzification et adaptation en musique contemporaine ou même prog du legs folklorique-québécois-francophone-blanc?
Sébastien Sauvageau : L’Oumigmag est un projet qui cherche à habiter les territoires spirituels, imaginaires et physiques du Québec en musique. Si l’exploration du répertoire trad avec des sensibilités jazz et contemporaines est une partie importante de la quête sonore du projet, la démarche qui nous anime est d’abord poétique : comment le territoire peut-il se transmettre par la musique? Il en découle des questions. Qu’est ce qu’une harmonie en forme de pied-de-vent? Quelle forme musicale peut évoquer une marée? Et ainsi de suite. On cherche à sculpter le son comme un espace avec parfois plusieurs tempos en simultané, de plans sonores superposés, des temps suspendus. C’est une dimension qui est au centre de notre dernier album Habitant en parallèle avec l’exploration du riche répertoire de musique trad québécoise. Un des processus qui revient dans Habitant est une forme de représentation métaphorique : prendre un air du répertoire trad et disposer un écrin autour de lui qui évoque son paysage d’origine en son. Par exemple, imager le littoral du fleuve Saint-Laurent autour de l’air de La pêcheuse de Louis « Pitou » Boudreault. Dans cet esprit, les éléments de musique traditionnelle, qu’ils soient des tournures mélodiques, des rythmes ou timbres caractéristiques, contribuent tous à l’univers qu’on cherche à déployer. Une des questions centrales est : comment faire dialoguer de façon sensible la musique traditionnelle et nos pratiques contemporaines? À l’aube de la vingtaine, j’ai découvert le jazz scandinave et européen (ECM et Hubro) et ça a été une véritable révélation. Ce rapport, très libre et imaginatif au jazz, à l’improvisation qui tisse des liens avec la musique ancienne, le free, le contemporain et les musiques traditionnelles, ç’a été un choc. Ça m’a donné l’élan de créer cette musique. Pour revenir sur le mot prog, je trouve vraiment intéressant qu’il ressorte surtout dans le contexte québécois où le prog a marqué toute une génération de mélomanes, notamment mes parents. Bien que ce ne soit pas un style que j’écoute ces années-ci, j’en ai beaucoup écouté adolescent. Il y a certainement un lien à faire entre le prog et notre amour des formes longues, évolutives et pleines de variations.
PAN M 360 : Sinon, quelles sont les autres évocations musicales perceptibles à travers votre travail?
Sébastien Sauvageau : Mon parcours m’a mené à m’intéresser et à étudier les techniques d’écriture contemporaines classiques. Et cet aspect s’est peu à peu intégré dans ma manière d’entendre et de composer. Dans des pièces comme Ajour(s), Pied-de-vent, Champ d’étoiles, Écorces notamment, on retrouve donc une attention particulière aux timbres et aux techniques de jeu étendues ; des formes d’écriture plus rares en jazz, comme des passages au temps suspendu, des jeux sur l’intonation et les tempéraments. Des compositeurs comme John Luther Adams, Toru Takemitsu, Anna Thorvaldsdottir m’inspirent grandement, côté jazz, on pourrait nommer, entre de nombreux autres, le travail de Thomas Stronen, Erlend Apneseth, Nik Bärtsch, Nils Okland.
PAN M 360 : Quelles étaient les motivations premières du groupe?
Sébastien Sauvageau : En sortant de l’université en composition, j’ai eu cette envie viscérale de créer un ensemble au croisement des trois univers musicaux qui m’habitent : jazz, musique contemporaine et trad. Au fil du temps, j’ai pu rassembler des musiciens d’exception avec qui travailler sur le long terme pour développer un son d’ensemble unifié, évocateur, et raffiné autant que possible. Nous travaillons beaucoup l’improvisation de groupe, le choix des agencements de timbres, la signature sonore du band.
PAN M 360 : Comment fonctionnez-vous?
Sébastien Sauvageau : Je suis le compositeur et leader de l’ensemble et chacun des musiciens contribue au processus créatif par son propre son et son propre bagage. Je les consulte pour que les compositions soient en lien avec leur propre quête sonore et que celles-ci permettent à la fois de me dépasser et de nous dépasser collectivement. Sur l’album double Habitant, il y a une pièce solo écrite pour chacun des musiciens, d’une part pour plonger plus loin dans l’univers sonore de chacun de ces musiciens exceptionnels et leur instrument et d’autre part pour honorer cette relation sur le long terme l’investissement de chacun. J’aime beaucoup travailler de près avec les interprètes et être challengé par leur vision des compositions. Exemple au passage : une pièce comme Écorces pour viole d’amour n’aurait jamais pu naître sans le jeu hors-norme de David Simard à la viole d’amour.
PAN M 360 : L’instrumentation choisie s’inspire-t-elle à la fois du jazz contemporain et du trad?
Sébastien Sauvageau : Absolument, le choix de la palette percussive, la place du violon/viole d’amour et du saxophone/clarinette basse tout comme le timbre de la guitare acoustique permettent de développer un son riche et plein de perspectives à explorer, en lien avec ces deux univers musicaux. Travailler avec des musiciens issus de milieux différents est aussi un choix délibéré qui apporte de la fraîcheur et des tensions intéressantes à résoudre dans le son. La composition de l’ensemble est à l’image même de la musique : Stéphane Diamantakiou, notre bassiste vient du classique et du jazz, Olivier Bernatchez du jazz et du hip-hop, Alex Dodier du jazz et David Simard du trad et des musiques expérimentales. De mon côté, je baigne dans les trois milieux.
PAN M 360 : L’alignement mentionné sur votre page Bandcamp (2019) a possiblement changé. Quel est-il maintenant?
Sébastien Sauvageau : Nous travaillons maintenant en quintette avec un seul batteur/percussionniste : Olivier Bernatchez. Je suis très heureux de cette nouvelle mouture de l’ensemble, efficace et puissante!
PAN M 360 : Quelle est la place de l’impro dans votre travail?
Sébastien Sauvageau : Elle est essentielle! L’impro est une des forces vives du band. Le répertoire est très écrit au départ pour un ensemble jazz, l’improvisation est donc capitale pour notre ouverture dans des formes parfois complexes et pour garder les pièces toujours vivantes. Pour en faire une musique de l’instant, une musique d’écoute. L’impro nous sert aussi à unifier le son du groupe, à générer des idées, à dépasser ce qui est écrit. On aime beaucoup penser les sections improvisées comme un développement en tant que groupe plus que le développement individuel de chaque soliste.
PAN M 360 : Côté structures (rythme, harmonie, mélodie, textures, etc.) quels sont les enjeux compositionnels? Comment combiner l’héritage trad keb au jazz contemporain et à la musique contemporaine?
Sébastien Sauvageau : Je dis souvent que notre premier et dernier critère est la musicalité et la force d’évocation de ce qu’on propose musicalement. Comme le disait avec un brin de malice Michel Faubert, « Le néo-trad : n’importe quoi avec des pieds ». Dans ce genre de musique, où on jette des passerelles entre différentes traditions qui ont chacune leurs codes, un des écueils possibles est le collage et c’est donc vraiment important pour nous d’aller au-delà du collage afin de proposer un son qui se tient. Travailler avec des sources traditionnelles vient aussi avec une responsabilité : utiliser les matériaux avec sensibilité, respect, demander l’approbation pour utiliser telle ou telle mélodie. À cet égard, plusieurs «porteurs de tradition» notre travail et c’est un des plus beaux compliments qu’on puisse recevoir ! Cela dit, on a un grand désir d’expérimentation et d’innovation et on cherche à se dépasser sur tous ces aspects (mélodie, rythme, harmonie), c’est notre côté jazz. En raffinant l’interprétation des airs trad, les variations, en explorant des harmonies modales étendues, en proposant des relectures audacieuses du point de vue rythmique (avec des cycles irréguliers). Tout cela est un jeu de sensibilité et d’équilibre : voir où les airs trad choisis à la base des pièces, ou encore, où la métaphore de départ (pied-de-vent, marée) nous emmènent. Au bout du compte, notre plus grande recherche est peut-être de créer un son, un style qui dépasse la somme de ses influences. Notre violoneux Dâvi Simard est arrivé un jour avec l’étiquette «avant-trad» et c’est pas mal pile ça, petite dose d’autodérision comprise.
PAN M 360 : Ce projet semble en marche depuis 2017. Comment pouvez-vous en décrire l’évolution depuis ses débuts?
Sébastien Sauvageau : Le premier album, Territoires (2017, The 270 Sessions), s’est fait en quartette (sans violon) avec la participation d’Ariane Vaillancourt et de Normand Miron (Les charbonniers de l’enfer) à la voix. Déjà, ce premier opus était axé sur la mise en musique des territoires québécois et une réflexion sur les cycles qui nous façonnent. Le deuxième album Habitant (2019, Corne de brume), tout en prolongeant les démarches en lien avec les territoires, a été une plongée ambitieuse au cœur des musiques traditionnelles québécoises. Il s’est fait en sextet avec deux batteries et l’ajout du violon. La suite est en plein bouillonnement, on continue à creuser dans le répertoire de ces deux premiers albums et on prépare le prochain !
PAN M 360 : On vous connaît peu et pourtant… on gagne à vous connaître, car votre projet est unique dans le décor local. Les scènes jazz et trad vous connaissent-elles?
Sébastien Sauvageau : Merci! Le projet a eu un très bel accueil et une résonance intéressante tant du côté jazz que trad en remportant notamment le prix Coup de coeur du public au Festi Jazz de Rimouski en 2017 et en figurant dans les meilleurs albums jazz du palmarès Radio-Canada 2019. Habitant nous a permis de nous faire connaître du public trad et de commencer à jouer dans ce réseau de scènes. Nous aspirons à faire connaître cette musique à plus de publics et, en ce sens, l’Off Jazz est une très belle occasion ! À mon avis, être au croisement de plusieurs esthétiques est un défi à court terme (ce son peut être difficile à étiqueter), mais un atout à long terme. L’univers de l’Oumigmag touche quelque chose de profond, d’universel chez de nombreux publics et la réception nourrit notre élan à continuer de faire ce qu’on fait avec passion!
PAN M 360 : Quels sont vos projets à venir?
Sébastien Sauvageau : Nous allons continuer à faire tourner le concert Habitant au cours de la prochaine saison, puis on commence tout juste une nouvelle création intitulée Ce qui tourne dans l’air. On a lancé le processus de ce prochain album avec une semaine de résidence au Carrefour culturel de Notre-Dame-des-Prairies la semaine dernière. L’esprit de ces prochaines compositions sera fidèle à ce qui a fait le son du groupe jusqu’ici tout en attribuant une place d’honneur au groove et à la transe. On vise une sortie en 2022 sur étiquette Corne de brume, une maison de disques-organisme que plusieurs membres de l’Oumigmag ont cofondé dans la région de Lanaudière.
PAN M 360 : Que signifie Oumigmag?
Sébastien Sauvageau : Oumigmag est une francisation du mot inuktitut ummimak, qui désigne le bœuf musqué. Le nom se veut d’abord un hommage au cinéaste Pierre Perrault et à son œuvre ainsi qu’un nom qui évoque les territoires du Québec dans leur globalité, incluant le patrimoine des Premières Nations et l’hypothèse que nous vivons sur des terres non cédées. Pour le tournage de son film L’Oumigmatique ou l’objectif documentaire (1993), Perrault est allé au Nord, il cherchait à rencontrer cet animal mythique pour le filmer et comme les hordes prenaient toujours de nouveaux chemins il n’a pu capter que des instants, des bribes. C’est en quelque sorte étroitement lié à ce que nous cherchons avec l’Oumigmag et à la démarche de l’improvisation en général : être traversé par une force plus grande que soi, en constante mouvance, ne jamais reprendre les mêmes chemins pour atteindre cette énergie; une énergie entre contemplation et force brute qui est proche de celle du boeuf musqué.
Crédit photo : Marc-André Thibault