L’impro gagne du terrain côté rock

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Guitariste des plus créatifs au sein du trio avant-rock Victime, Simon Provencher fait aussi dans l’impro, en témoigne Mesures, nouvel EP.

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crédit photo: Charlotte Savoie

Pourquoi, en pleine pandémie, dans un appartement de Gatineau, un guitariste rock s’adonne-t-il désormais à cette pratique de l’improvisation qui ne lui était pas familière encore récemment? Pourquoi donc l’improvisation gagne-t-elle du terrain dans cet appartement, où la culture rock prédomine normalement ? 

Originaire de Québec, transplanté à Gatineau où il est devenu un artisan de la pédale d’effet , Simon Provencher a sûrement quelques réponses à nous fournir sur ce phénomène : généralement associée au jazz ou à certaines formes de musique contemporaine, la pratique de l’impro est désormais observable sur plusieurs territoires qui n’y étaient pas acquis. 

Simon Provencher fait parler de lui par les temps qui courent, non pas en tant que guitariste du trio  Victime,  au confluent du dance-punk et de l’art-rock, de surcroît exprimé en français d’Amérique.

Les six titres de Mesures, son nouvel enregistrement paru chez Michel Records, offrent plutôt un feuilleté de séances improvisées par trois improvisateurs réunis : la multi-clarinettiste Élyze Venne-Deshaies et le percussionniste Olivier Fairfield (FET.NAT, ex-Timber Timbre) joignent leurs propositions aux pistes de guitare improvisée, exercice de surimpressions enrobées de feedback électronique.

PAN M 360 : D’où vient ton intérêt grandissant pour l’improvisation?

SIMON PROVENCHER : Je suis autodidacte. Je viens de la scène rock indépendante de Québec, le parcours de Victime est le parcours d’autres groupes locaux.  C’est là que je me situe encore, même si je vis maintenant à Gatineau. Avec Jean-Michel Letendre-Veilleux, cofondateur du complexe de création musicale Pantoum à Québec, j’ai été amené à faire de l’improvisation en public, mais je n’en ai pas fait beaucoup. 

PAN M 360 : Écoutes-tu des artistes qui font de l’impro?

SIMON PROVENCHER : Je suis un gros fan de FET.NAT au Québec et aussi de Deerhoof aux États-Unis, j’aime beaucoup les guitaristes Nels Cline et Arto Lindsay. Je n’écoute pas énormément de musique contemporaine sauf exception, par exemple Pauline Oliveiros. J’écoute de plus en plus de free jazz et de jazz. Et je n’avais jamais lancé un tel enregistrement fondé sur l’improvisation à proprement parler. 

PAN M 360 :  Pourquoi t’es-tu lancé dans cette aventure de l’enregistrement?

SIMON PROVENCHER :  C’est venu de la situation actuelle : jouer seul. Je venais de déménager à Gatineau, les membres de Victime se trouvent maintenant dans trois villes différentes; Laurence, la chanteuse et bassiste, vit toujours à Québec alors que Samuel, le batteur, est installé à Montréal. Au début, on s’en sortait  bien, on pouvait quand même organiser des séances de travail et d’enregistrement mais  la pandémie nous a isolés. Alors j’ai trouvé le moyen de m’amuser seul chez moi.

PAN M 360 : Et comment ce loisir s’est-il transformé en projet d’enregistrement?

SIMON PROVENCHER : Au début, j’ai exploré avec mes pédales d’effets, puis j’ai de plus en plus improvisé avec mon instrument, tout simplement pour continuer à faire de la musique ! Écrire des chansons, dans le contexte actuel, me parlait moins. 

PAN M 360 : Comment as-tu choisi tes collaborateurs?

SIMON PROVENCHER :  J’ai connu Élyze Venne-Deshaies à Montréal, au lancement d’un album de Jésus Les Filles. Je gagne ma vie dans la fabrique et boutique de pédales d’effets que possède le frère d’Olivier – Fairfield Circuitry. Cet enregistrement est ma deuxième collaboration avec Olivier; quand je me suis installé ici, nous avons commencé à travailler sur un album qui n’est pas encore rendu public. Je suis parmi les plus jeunes de cette famille élargie de FET.NAT, mais j’ai partagé beaucoup de musique avec ces artistes. 

PAN M 360 : Quelle fut la méthode de travail?

SIMON PROVENCHER : Au début quand j’ai conçu les parties de guitare, j’ai donné carte blanche aux musiciens, je ne savais pas trop où le projet irait. Je n’ai donc pas décidé comment ça sonnerait.   Rien n’a été fait en temps réel, Olivier a improvisé aux percussions à partir des parties de guitare que j’avais enregistrées. Puis Élyze a improvisé aux clarinettes à partir de la guitare et des percussions. C’est vraiment une collaboration en temps de pandémie!

PAN M 360 : Plus précisément, que s’est-il passé pour chacun?

SIMON PROVENCHER : J’avais fait trois pistes au départ, ça s’est terminé à six.  Les premières étaient un peu plus prévisibles, Olivier m’a ensuite envoyé ses parties, puis Élyze. Elle fait déjà beaucoup de looping dans sa pratique solo alors elle sait comment procéder; elle m’a envoyé quatre alternatives pour chacune des pièces. Dans plusieurs cas, j’en ai conservé deux. Après quoi j’ai reconstitué le tout, j’ai fait un montage et j’ai ajouté des passages électroniques. J’ai fait quelques corrections pour les guitares, ce n’est pas complètement free. 

PAN M 360 : Comment les effets électroniques ont-ils été conçus?

SIMON PROVENCHER : C’est du feed-back électronique. J’utilise la sortie audio d’une pédale d’effet, je manipule certaines fonctions, cela produit des sons intéressants. Puisque je travaille dans une fabrique  de pédales, j’ai accès à un vaste choix à prix abordable. Actuellement, je préfère explorer ce monde plutôt que de me procurer des synthétiseurs modulaires.

PAN M 360 : Mesures est-il le premier de plusieurs autres enregistrements de ce type?

SIMON PROVENCHER : Le contexte se prête bien à cette démarche et je suis super content du résultat. C’est pour moi le début d’un processus qui deviendra peut-être sporadique lorsque mes projets de groupe reviendront sur la table. Mais, pour l’instant, cette pratique de l’impro me procure beaucoup de plaisir.  

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