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Artiste multidisciplinaire (musicienne, artiste de cirque et autrice) Erika Hagen nous était déjà familière via le projet Bleu kérosène, fondé avec son frère et avec lequel elle nous avait présenté deux EP en 2020 et 2021.
Elle revient en 2025 avec un premier album solo, Pouvoirs magiques, un album indie-folk rock aux teintes garage et un peu yé-yé, opus réalisé et arrangé par l’incontournable Dany Placard. Enregistrées à La Shed, l’endroit parfait pour la musicalité brute, les dix chansons nous emmènent dans une folle ride où la naïveté, l’absence de filtre et le ton un peu moqueur nous tiennent compagnie et nous font mettre en perspective la notion de la tendresse, des failles et de la perfection avec une parfaite dose de dérision.
Inspiré par moment des Riot Girrls des années 90, avec une poésie rappelant Avec pas d’casque et parfois un peu Sara Dufour dans l’aspect joliment abrasif de l’expression, Erika déploie son univers romancé, inspiré de sa propre vie et de celle de ses proches, dans une démarche d’autofiction où le corps, la musique et la parole sont liés.
Entrevue avec une fille qui a de la suite dans les idées.
PAN M 360 : Comment c’était de travailler ton premier album avec Dany Placard, un incontournable au Québec?
Erika Hagen : C’était une expérience très fluide! J’ai beaucoup de gratitude pour Dany, c’est un réalisateur généreux et sincère. On avait une vision similaire de la direction de l’album, mais Dany a tellement de naturel dans son interprétation et sa manière d’arranger que j’ai beaucoup appris en le regardant travailler. C’était aussi super validant pour moi de travailler avec quelqu’un qui était comme “heille stress pas, tout est là, on se cassera pas la tête, les tounes marchent, tu sais très bien les jouer et les défendre.”
PAN M 360 : Être sans ton frère pour ce projet musical t’a-t-il permis de prendre certaines libertés, contrairement au projet en duo?
Erika Hagen : Ahh j’aime tellement travailler avec Jer! J’ai beaucoup d’admiration pour l’univers harmonique de mon frère, sa grande rigueur de travail et sa sensibilité musicale. Je pense que partir en solo pour moi était surtout lié au fait que mes envies esthétiques et mes élans de composition actuels fittaient moins dans notre collaboration. C’est certain qu’il y a une liberté plus grande dans un projet solo, mais il y a aussi moins de dialogue entre les idées et de co-résolution de problème. J’aime beaucoup ce que les deux peuvent apporter.
PAN M 360 : Quels sont les principaux groupes que vous écoutiez, durant la réalisation de l’album?
Erika Hagen : Avec Dany, on a pas tant écouté d’albums en réalisant Pouvoirs magiques, mais j’avais des références et des ancrages stylistiques, notamment : le premier album homonyme de Big Thief, l’album Somethings I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit de Courtney Barnett ou l’album Eye on the Bat de Palehound.
PAN M 360 : On sent bien l’inspiration des années 90 dans la direction de l’album. Est-ce la décennie musicale qui t’a forgée ou encore cette teinte s’est-elle développée dans le cadre de la réalisation ?
Erika Hagen : J’avais déjà cette direction en tête avant de réaliser l’album. Les chansons étaient assez limpides, c’est ça qu’elles voulaient. Elles ont certainement pris de l’ampleur en ce sens en travaillant avec Dany par contre. Il a aidé à concrétiser le côté plus échevelé et slacker de l’album, que j’apprécie beaucoup.
PAN M 360 : Tu es souvent dans une démarche de fiction où tu aimes t’inspirer de ton vécu et de celui de tes proches pour créer une version altérée et romancée de cette réalité. Quelle part de la réalité t’incite-t-elle à en extraire quelque chose et à vouloir le modeler ?
Erika Hagen : Hey c’est une bonne question. J’aime explorer les émotions un peu étranges, les flottements, les ambivalences et les imperfections dans le quotidien. J’aime aussi explorer les détails sensoriels, les textures, la réalité du corps. Je trouve ça riche et souvent très évocateur. Je trouve aussi que c’est souvent là où l’existence est la plus dense. Mettons que j’imagine quelqu’un choisir sa tasse pour boire son café chaque matin, son état à ce moment-là, la lumière qui entre par sa fenêtre – je me retrouve aussi dans ce scénario. C’est un geste créatif relationnel, une exploration des scénographies quotidiennes des autres, qui finalement sont aussi les miennes et vice versa. C’est intime, banal et grand à la fois. C’est juste un exemple, mais ces genres de poésies d’observation sont omniprésentes dans ma démarche.
Les mécanismes de la mémoire aussi me fascinent. La manière dont on se raconte certaines histoires, certains souvenirs, pour s’expliquer les mystères dans nos vies et dans celles des gens qu’on aime. Je ne pense pas me tanner de ces thématiques là un jour, où du moins pas dans un futur proche!
PAN M 360 : On distingue tout de suite la particularité de ta plume, que je trouve très imagée et rafraîchissante, remplie de naïveté sans filtre. As-tu des inspirations particulières?
Erika Hagen : Merci, ça me touche ! Il y a d’innombrables écritures qui m’ont marquée, par influence directe ou de manière plus sporadique et conceptuelle. Littérairement parlant, dans les dernières années, j’ai un coup de cœur immense pour Patrice Desbiens et Michel Garneau. Quand on parle de plume naïve mais profonde, ces deux-là me sautent aux yeux. Je nomme souvent Stéphane Lafleur, parce que c’est un incontournable pour moi et que sa plume a beaucoup informé la mienne. J’aime aussi l’univers de la poète canadienne Sue Goyette, qui a une dextérité poétique et narrative surprenante. C’est une de celles qui m’a incitée à réfléchir à la poésie anglaise autrement, à explorer les liens d’écriture entre mes deux langues, puisque je porte cet héritage familial. Je pense spécifiquement à son recueil Océan, qui m’a en plus été offert par ma grand-maman Anita, très importante dans ma vie. Plusieurs autres auteur.trice.s participent à cultiver ma curiosité pour l’écriture et ses possibles. C’est une ressource infinie, il y a tant à lire, à écouter aussi!
PAN M 360 : La poétesse Marie-Andrée Gill, avec qui tu as collaboré en 2019, a-t-elle laissé une empreinte sur toi et ta manière de voir l’écriture?
Erika Hagen : Oh wow vraiment. Je ne l’ai pas nommée dans la question précédente, mais elle fait partie des auteur.trice.s qui m’ont aidée à préciser mon écriture, surtout quand je commençais à écrire plus intentionnellement il y a une dizaine d’années. Marie-Andrée m’a appris à identifier ce qu’elle appelait le cœur des poèmes. Ça implique de couper dans le bacon et aller au noyau poétique de la patente. Elle m’a appris la valeur de la réécriture. Avant de travailler avec elle, je ne retouchais pas beaucoup mes textes, maintenant oui. J’applique constamment les outils et je pose le regard qu’elle m’a aidé à aiguiser dans l’écriture de mes chansons. Même si c’était bref comme mentorat, ça a été un moment déterminant dans ma pratique d’écriture.
PAN M 360 : La Shed est tellement le parfait endroit pour se laisser imprégner par « le côté brut ». Est-ce que le lieu a influencé les chansons et la direction de l’album?
Erika Hagen : La Shed est un lieu qui a beaucoup d’âme. La première fois que je suis entrée là, j’ai eu l’impression que ce studio avait vu naître beaucoup de musique. Je pense que ce lieu, de pair avec l’équipe de réalisation de l’album, m’a rappelé de rester proche de mes chansons, de mes envies et de mes instincts, de ne pas tomber dans une attitude performative. C’est un endroit inspirant qui invite à l’intégrité dans la démarche. Travailler là, avec l’expertise de Dany, m’a permis de garder le cap sur le côté « straight to the point » de la prod. On ne voulait pas surenchérir, les chansons avaient besoin d’être droit au but. C’est des petites histoires, des vignettes du quotidien, on voulait laisser ça parler sans interférence.
PAN M 360 : Qu’avais-tu envie de partager avec le public à travers cette folle ride de ces 10 chansons?
Erika Hagen : J’avais envie d’offrir un trajet fougueux et introspectif, où la plume naïve et les réflexions existentielles des chansons seraient mises en bouche avec beaucoup de plaisir et de ludisme. Je revendique l’idée qu’on est plusieurs mondes à la fois, que ces mondes-là se parlent entre eux, que l’introspection se marie avec l’irrévérence et que la tendresse est compatible avec le dynamisme. Donc Pouvoirs magiques, pour moi, c’est un album qui embrasse l’errance, qui explore les espaces de négociation entre la plainte et la liberté. Mon rapport avec ces chansons est assez conforme à leur propos, au sens où j’ai ressenti en moi une augmentation d’autonomie et d’agentivité dans le processus de composition et de réalisation. Quand je pense à Pouvoirs magiques, je pense aux vouloirs, dans leurs formes multiples : vouloir exister fort, vouloir comprendre, vouloir se reposer, vouloir trouver l’amitié avec soi-même et les autres, vouloir slacker d’un tour et laisser nos ambivalences respirer un brin.
PAN M 360 : Des spectacles sont-ils à prévoir en 2025 pour cet album? Pour Bleu Kérosène?
Erika Hagen : Oui! On lance Pouvoirs magiques à Québec le 15 mai au Pantoum, et le 11 juin au Quai des Brumes à Montréal. Ensuite on joue à la Grange du Presbytère à Stoneham le 13 juin, et le lendemain (en trio) au Festival de la chanson de Tadoussac. Bleu kérosène , c’est derrière nous, mais j’aimerais vraiment repartir un nouveau projet avec mon frère éventuellement (Jérémie, si tu lis ces lignes, saches que ben voilà ce serait ben l’fun, ça te tente-tu? )
