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L’ensemble Paramirabo recevra mardi soir à la Salle Bourgie l’Ensemble Variances. Fondé à la Martinique en 2010 avant de s’installer en France, ce dernier a pour objectif de créer un espace de rencontre entre toutes les traditions musicales et de créer, le plus possible. Cette collaboration entre la France et le Québec est née par hasard, aux États-Unis. Une rencontre entre Jeffrey Stonehouse, flûtiste pour Paramirabo, et Thierry Pécou, pianiste, compositeur et fondateur de l’Ensemble Variances, aura été le point de départ de cette grande collaboration.
Le programme qui sera présenté mardi prochain est presque entièrement constitué de créations, dont une de Thierry Pécou. Au cœur des préoccupations musicales, on retrouve l’idée de la pulsation qui nous suit partout, passant parfois inaperçue, et la crise écologique, qu’il est désormais impossible d’ignorer. PAN M 360 a rencontré Thierry Pécou pour en apprendre plus sur l’Ensemble Variances et sur le programme qui sera joué à la Salle Bourgie.
PAN M 360 : Bonjour! Parlez-nous un peu de l’Ensemble Variances, que vous avez fondé. Comment le projet est-il né?
THIERRY PÉCOU : C’est un ensemble qui a à peu près 10 ans maintenant. Mon activité principale est la composition, mais j’ai toujours aussi aimé être actif comme pianiste. Parce que pour moi, être compositeur, c’est aussi être dans le concert du son. Donc, j’ai toujours aimé jouer avec d’autres musiciens et j’ai eu envie de créer un ensemble avec les gens proches de moi, pour créer une sorte de laboratoire et explorer l’interprétation des œuvres. Voilà comment l’ensemble est né.
PAN M 360 : Quel type de répertoire occupe le plus souvent l’Ensemble Variances?
THIERRY PÉCOU : Au départ, nous avions l’idée, en plus de créer un laboratoire d’interprétation, d’aller à la rencontre des traditions orales. L’ensemble a été fondé au départ à la Martinique, et nous y sommes restés un an pour un projet sur la musique traditionnelle de la Martinique. Et puis, on est revenus sur le continent, en France, et nous avons continué de faire des projets par exemple avec des musiciens turcs, indiens, chinois, etc. C’est un peu l’ADN de l’ensemble. C’est un ensemble qui cherche une grande ouverture, à la fois dans les esthétiques d’écriture contemporaines et dans la rencontre entre l’oralité et l’écriture.
PAN M 360 : Et comment êtes-vous venus à travailler avec Paramirabo?
THIERRY PÉCOU : Avec Paramirabo aussi, c’était une rencontre. On pourrait dire aussi qu’avec l’Ensemble Variances, une de choses qui nous guident vraiment, c’est toujours d’aller à la rencontre des autres. Il se trouve que nous devions faire une tournée aux États-Unis en mars 2022, mais que nous avons eu besoin de remplacer notre flûtiste au dernier moment. On a eu l’idée de chercher quelqu’un qui était déjà en sol américain, et on a décidé de chercher quelqu’un de Montréal. C’est comme ça que nous avons rencontré Jeff (Jeffrey Stonehouse), que je ne connaissais pas vraiment, mais qui m’avait été recommandé par Claire Marchand, la directrice du Centre de musique canadienne, qui est elle-même flûtiste.
Donc nous avons fait notre tournée avec Jeff, et on a senti qu’il y avait des affinités très fortes, et comme ça nous avons commencé à monter un projet avec son ensemble, donc Paramirabo. Et le projet s’est monté très vite, puisqu’à peine un an après, on présente ce programme.
PAN M 360 : Comment monte-t-on un projet du genre, alors que les deux ensembles sont déparés par un océan?
THIERRY PÉCOU : C’est vrai que nos ensembles sont séparés par un océan, mais en même temps, ils ont quelque chose de très proche dans leur manière de fonctionner. Et aussi, on s’est rendu compte qu’on avait un noyau de musiciens équivalent, c’est-à-dire que ce sont deux ensembles du même effectif, qui peuvent se doubler. Nous avons trouvé que c’était intéressant à exploiter dans l’architecture du programme et dans l’effectif que nous allons présenter. Ensuite, ça a été beaucoup de discussions entre Jeff et moi pour définir le programme, les compositrices et les compositeurs que nous voulions jouer…
PAN M 360 : Et comme point de départ de votre programme, vous avez cette pièce de Steve Reich…
THIERRY PÉCOU : On était tout de suite partis, Jeff et moi, sur cette idée de jouer une pièce de Steve Reich. Au départ, nous voulions jouer le double sextet, donc exactement la formation de nos ensembles respectifs, mais doublés. Mais finalement, nous avons décidé d’en choisir une autre, puisque le double sextuor est très souvent interprété et que Paramirabo l’avait joué plusieurs fois récemment.
Finalement, nous avons choisi une pièce emblématique de la dernière période de Steve Reich, qui s’appelle Pulse. (Il s’agit d’ailleurs du titre du concert…) Et cette idée de pulsation était très inspirante pour ensuite construire le reste du programme.
PAN M 360 : Que signifie cette pulsation pour vous? Se manifeste-t-elle de la même manière dans toutes les pièces au programme?
THIERRY PÉCOU : C’est vrai que lorsque l’on pense à la pulsation, on pense à quelque chose de rapide, à un rythme bien identifiable qui nous permet d’avoir une pulsation qu’on perçoit directement. Dans certaines pièces au programme, ce qui est intéressant, c’est qu’il y a des pulsations très lentes, très intérieures. Et donc la musique se déroule d’une manière ou à l’écoute, on n’entend quasiment plus la pulsation, mais pourtant elle est là, sous-jacente. Et si les interprètes ne la sentent pas, la musique ne peut pas se dérouler.
PAN M 360 : Si on lit le descriptif du concert sur le site du Vivier, qui diffuse ce concert, on nous parle beaucoup d’un programme qui s’inscrit comme une réponse, ou une prise de conscience, de la crise écologique actuelle. Comment cela se manifeste-t-il dans le programme, pour vous?
THIERRY PÉCOU : C’est vrai qu’il s’agit là d’un sujet qui est présent dans la conscience des artistes en général. Pour nous, la manière dont on a essayé de refléter la question, c’est à travers notre rapport à l’environnement et à la nature. De là vint l’idée de la pulsation, du Pulse, c’est la pulsation, le pouls, le battement, presque le battement primordial, le battement du cœur.
Donc c’est vraiment la vie, au sens premier du terme. C’est ce que nous essayons de faire transparaître dans notre concert, cette idée de pulsation. Et aussi, notamment dans ma pièce, qui s’inspire beaucoup du gamelan balinais, de se tourner vers une culture qui, contrairement à notre culture occidentale malheureusement, est restée très proche du milieu naturel. Par exemple, dans la musique balinaise, je trouve qu’il y a beaucoup d’éléments de l’architecture sonore qui sont comme des échos du monde naturel.
PAN M 360 : Et vous, plus personnellement, comment intégrez-vous ces enjeux à vos propres compositions?
THIERRY PÉCOU : C’est un sujet que j’intègre déjà depuis longtemps, avant même qu’il soit devenu aussi urgent qu’aujourd’hui. C’est un sujet qui m’accompagne depuis plusieurs années. J’ai deux exemples à vous donner.
Il y a d’abord un opéra que j’ai composé en collaboration avec la poétesse navajo Laura Tohe qui s’intitule Nahasdzáán in the Glittering World. Le monde scintillant, en fait, c’est une expression navajo pour désigner le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. C’est une pièce qui parle de la pollution et de la nécessité de respecter la nature. C’est presque un manifeste, au fond.
Il y a aussi une pièce très emblématique qui s’appelle Méditation sur la fin de l’espèce, que j’ai écrite en 2018 et qui intègre des chants de baleine, des vrais, qui sont diffusés par haut-parleurs. Cette pièce a été composée dans l’esprit et dans l’idée d’interpeller au sujet d’espèces en danger, ici animales, mais aussi végétales. La question de la biodiversité est au cœur de cette pièce.
PAN M 360 : Revenons un peu au programme de ce concert, Pulse. Vous serez interprète, mais vous participerez également à la création d’une de vos œuvres. Comment abordez-vous ce double rôle?
THIERRY PÉCOU : C’est un rôle que j’aime bien prendre. Ce qui est étonnant, en fait, c’est que le processus de composition, c’est quelque chose de très solitaire. Lorsqu’on sait pour qui on compose, on visualise, on intègre auditivement, plutôt, les caractéristiques et les qualités des interprètes avec lesquels on va travailler. Et puis après, le moment où l’on passe à la réalisation, je dirais qu’il y a une sorte de séparation. J’oublie presque que c’est moi qui ai composé la musique que je vais faire travailler. Donc, je me mets dans un rôle d’interprète à part entière avec une sorte de détachement par rapport au fait que c’est moi qui ai écrit la pièce.
PAN M 360 : Les autres pièces du programme ont-elles été également composées pour l’occasion?
THIERRY PÉCOU : L’étincelle au départ du programme a été la pièce de Steve Reich. Puis, on s’est demandé avec Jeff quel compositeur ou compositrice on pouvait intégrer à ce programme qui entrerait en résonnance avec cette pièce de Reich et cette notion de minimalisme ou dans son prolongement. On a aussi voulu qu’il y ait une forte présence féminine dans le projet. Donc on a eu l’idée d’avoir cette pièce de Missy Mazzoli, qui fait partie du répertoire de Paramirabo, qui fait partie, je pense, de cette nouvelle génération qui s’inscrit dans la continuité du XXe siècle. Et puis Cassandra Miller, qui approche le minimalisme d’une manière très intéressante et qui fait le contrepoids de cette notion de pulsation. Enfin, la pièce de Mike Patch pour piano solo est une pièce qui travaille beaucoup sur l’harmonie et qui donne pour moi l’image d’un miroir qui coupe le programme en deux, qui met face à face les deux parties du concert, si je puis dire.
PAN M 360 : Finalement, si vous aviez à décrire le concert en quelques mots, que diriez-vous?
THIERRY PÉCOU : Je dirais minimalisme, pulsation, aussi. J’ai envie de dire harmonie, c’est-à-dire hédonisme musical, le son généreux, le beau son, qui ramène justement à la beauté de la nature, tout simplement. Et tout cela nous ramène à la question environnementale.
L’Ensemble Variances et Paramirabo présentront le concert Pulse à la Salle Bourgie le mardi 24 octobre à 19h30. Infos et billets ICI.