Le NEM clôt sa saison: un Concert du printemps ancré dans le contexte ukrainien et est-européen.

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : musique contemporaine

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Point final de sa saison 2022-23 dédiée aux victimes de la guerre en Ukraine, ce Concert du printemps du Nouvel Ensemble Moderne, sous la direction de Lorraine Vaillancourt, présente les œuvres de cinq compositeur·trice·s à découvrir. L’événement signe également la dernière rencontre de l’année avec Alla Zagaykevych, qui fut compositrice ukrainienne en résidence au Vivier au cours de cette saison, avec la création d’une œuvre écrite pour le NEM. Pour ce dernier concert, Lorraine Vaillancourt se prête au jeu des questions posées par PAN M 360.

PAN M 360 :  C’est toutes sortes d’œuvres qui sont évidemment à découvrir pour beaucoup de monde. C’est très intéressant parce qu’il y a plein de compositeurs qui demandent à être encore mieux connus. C’est pour ça que vous êtes là.

LORRAINE VAILLANCOURT :  Oui, effectivement, même pour nous, c’était une porte ouverte sur des univers qu’on ne connaissait pas encore. On écoute beaucoup de musique et on voit un peu ce qui se passe ailleurs, mais il y en a beaucoup de compositeurs. Oui, il y en a.

PAN M 360 :  La quantité d’information musicale n’a rien à voir avec celle d’il y a quelques décennies. C’est tellement plus important maintenant. On ne peut pas aborder les répertoires de la même façon qu’on le faisait autrefois, c’est complètement différent.

LORRAINE VAILLANCOURT :  Non, c’est ça. Ça prend une ligne, ça prend un appât, ça prend quelque chose qui nous amène quelque part, mais il y a vraiment beaucoup d’univers à découvrir. C’est sans fin. C’est sans fin. Parfois, on nous dit que la musique « classique »… Puisqu’on fait de la musique classique, la musique « savante », ça n’existe plus ou ça n’a plus vraiment sa place.  Il faut vraiment ne pas être au courant pour véhiculer  de telles choses..

PAN M 360 :  Il faut vraiment être carrément ignorant , parce que le corpus de ladite « musique sérieuse » est à peu près dix fois plus considérable qu’il ne  l’était dans les années 80, à l’époque où le financement public et l’espace médiatique étaient plus favorables à cette mouvance.

LORRAINE VAILLANCOURT :  On n’en entend pas beaucoup parler, donc à un certain moment, ça n’existe plus pour certains.  On préfère laisser les gens papillonner, aller vers ce qu’ils aiment, vers ce qu’ils connaissent déjà. C’est une fausse amélioration que de penser que sous prétexte qu’on a un canal sur lequel on peut écouter de la musique contemporaine, puis un autre sur lequel on peut écouter de la musique reggae, ça va ouvrir des horizons.  Ça n’ouvre pas grand chose. 

PAN M 360 :  C’est tout le contraire, effectivement. C’est le problème des algorithmes de référencement qui vous mènent toujours à des œuvres ou artistes qui ressemblent à ce que vous connaissez déjà. Bon… plutôt que de se pomper mutuellement, allons-y pour le programme. Fil conducteur pour ce Concert du printemps?

LORRAINE VAILLANCOURT : Pas vraiment. Évidemment, comme on fait les choses très en amont, j’avais décidé qu’on dédierait cette saison aux victimes de la guerre en Ukraine. Or, je ne pensais pas que ça durerait si longtemps. Je me disais naïvement  que quand on ferait le concert, ça serait peut-être pour fêter la paix. On est loin de ça! Quand j’ai fait le programme, j’ai cherché des compositeurs venant de pays qui ont été eux aussi envahis par la Russie (ou l’ex-Union Soviétique) à un moment donné; Slovénie, République Tchèque, etc.  C’était mon angle.

Tout ça tournait autour de la compositrice ukrainienne Alla Zagaykevych qui est venue à Montréal par l’intermédiaire du Groupe Le Vivier,  qui a composé une œuvre pour le NEM et dont nous avons fait une première lecture il y a quelques mois, pendant sa résidence montréalaise. Elle est rentrée à Kiev par la suite et revient à Montréal cette semaine  pour la création de son œuvre. 

PAN M 360 : Depuis la première lecture que vous aviez faite de l’œuvre d’Alla Zagaykevych, comment cela a-t-il évolué ?

LORRAINE VAILLANCOURT :
J’avais, juste un peu avant, dirigé sa musique à McGill avec l’ensemble des étudiants. La musique d’Alla est très écrite, très complexe, très fournie, il y a une  densité. Et voilà  ce qu’elle a fait pour nous. D’abord, le titre : Seuls les roseaux reluisent au soleil, c’est très poétique. C’est d’ailleurs un poème qui l’a inspirée. Mais ce qu’elle en dit musicalement, c’est sans doute un paysage de guerre. La nature est blessée, mais elle reste la cachette la plus sûre, le refuge pour l’homme, pour son regard sur lui-même. En temps de guerre, la nature  parle de guerre, comme le dit la compositrice, c’est donc une musique à la fois calme et sombre – ça, c’est mon sentiment à moi. Mais quand Alla dit « La nature en temps de guerre parle de guerre »,  ses œuvres font aussi partie d’une vidéo d’art que Mario Côté est en train de préparer. Quels que soient les conflits, tous ces artistes ont des choses à dire sur le monde dans lequel on vit. Donc c’est ce qui fait que l’art ici est important. Si on écoutait plus les artistes, peut-être qu’on se porterait mieux. 

PAN M 360: Et les autres créateurs.trices  au programme ?

LORRAINE VAILLANCOURT : Il y a une autre compositrice, Nina Senk, qui est Slovène. Il y a aussi Vito Zuraj, également slovène, et puis, Martin Smolka qui est Tchèque. Il y a aussi Tolga Yayallar, un compositeur turc qu’on a connu jadis à l’université de Harvard alors que le NEM y était en résidence.

PAN M 360 : Tous des artistes d’Europe de l’Est  ne sont  peut-être pas si émergents qu’on pourrait le croire a priori parce qu’ils sont inconnus de ce côté de l’Atlantique.


LORRAINE VAILLANCOURT : Vrai, et ils sont pas si jeunes, dans la terntaine ou la quarantaine, et vivent tous dans leurs pays respectifs. Ils circulent partout dans le monde, évidemment, la musique n’a pas de frontières quoique…. Dans le monde réel, il  y a des gourmands et des trop gourmands qui sont prêts à faire n’importe quoi pour conquérir un petit bout de terrain. C’est d’une tristesse… Autrement dit, nous sommes un peu une terre d’accueil en ce 5 mai. On accueille la musique, c’est une pratique permanente dans notre cas, et pour le NEM et pour son public Souvent, quand les gens viennent au concert, ils n’ont aucune espèce d’idée de ce que l’Ensemble va jouer. Si on vient au NEM, donc, c’est qu’on a une forme de générosité, d’ouverture. Alors nous accédons tous à de beaux univers différents les uns des autres, même si on voit aussi que ces compositeurs vivent dans le même monde que le nôtre. Je pense à, par exemple, Nina Senk, dont l’œuvre au programme a été composée pendant la pandémie, dans une Slovénie confinée.

PAN M 360 : Autres exemples … Martin Smolka?


LORRAINE VAILLANCOURT : Martin Smolka est dans la micro tonalité. Il s’inspire du jazz, du blues, de plusieurs musiques non occidentales. L’instrumentation est vraiment intéressante, ça déborde un peu le NEM, il y a une guitare et une harpe, il y a une sorte de quatuor qui est  un peu désaccordé – piano, harpe, guitare à cordes de nylon, violoncelle. Ils font une petite mélodie comme ça, très, très douce, mais il y a des sixième de tons de différences sur certaines notes.  C’est à la fois extrêmement simple, c’est une petite mélodie,  un ton mélancolique, beaucoup de silence. Le quatuor est un soliste en quelque sorte, et puis, tout l’ensemble, reprend et puis on  retrouve le quatuor. Il y a donc une alternance. Je trouve, en tout cas, qu’il y a un contenu expressif très fort dans cette œuvre.

PAN M 360 : Tolga Yayallar?


LORRAINE VAILLANCOURT : Déjà son titre, Requiem pour une terre perdue, m’a convaincue! C’est en fait une complainte pour la Bysance perdue, une réflexion musicale sur ce qui reste du patrimoine byzantin avec les successions d’empires (romain, byzantin, ottoman), l’urbanisation, les contrastes,  les mutations du paysage architectural. C’est pour ça que je dis que ces artistes dont on joue les œuvres sont vraiment des gens qui vivent aujourd’hui, qui sont vraiment dans l’actualité. 

PROGRAMME

  • Nina ŠenkShadows of Stillness , 2020 pour ensemble
  • Vito ŽurajFired-Up , 2013 pour ensemble
  • Alla Zagaykevychand only the reeds glistens in the sun.. , 2923  – création
  • Martin SmolkaSolitudo , 2003 pour 12 instruments
  • Tolga YayalarRequiem pour une terre perdue , 2009 pour ensemble

CE PROGRAMME EST PRÉSENTÉ PAR LE NEM DE CONCERT AVEC LE GROUPE LE VIVIER

INFOS ET BILLETS ICI

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