Le grand maître Jordi Savall survole l’âge d’or de la musique pour consort : 1500- 1750

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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Le retour de Jordi Savall à la Maison symphonique de Montréal (le 7 novembre) et au Palais Montcalm de Québec (le 6 novembre) sera l’occasion d’une autre plongée magnifique dans la Renaissance et la période baroque, « époque musicale clé pour l’émergence de la viole de gambe et du consort de violes » dont il est ici question.

Les férus de musique des 16e, 17e et 18e siècles savent quel maître est Jordi Savall, bien au-delà de ses grands succès tels que la bande originale du film Tous les matins du monde (1991). Trois décennies plus tard, on reconnaît sa connaissance profonde de cette période fondatrice de la grande musique européenne.

Le chef d’orchestre, musicologue et virtuose de la viole de gambe se consacre cette fois avec son ensemble Hespèrion XXI, au programme Fantaisies, batailles et danses – L’Âge d’or de la musique pour consort (1500 – 1750) , dont l’objet est de mettre en lumière les œuvres de 15 compositeurs de ce passé de plus en plus lointain : Innocento Alberti, Jean-Sébastien Bach, Joan Cabanilles, Antonio de Cabezón, John Dowland, Alfonso Ferrabosco, Orlando Gibbons, Giuseppe Guami, John Jenkins, William Lawes, Giovanni Maria, Henry Purcell, Samuel Scheidt, Christopher Tye, Clement Woodcock.

Ainsi, les œuvres au programme auront la particularité d’être interprétées par un consort de violes. Les interprètes seront Jordi Savall (dessus de viole), Philippe Pierlot (dessus de viole), Lixsania Fernández (ténor de viole), Juan Manuel Quintana (basse de viole), Xavier Puertas (violone), Enrike Solinis (théorbe et guitare).

Joint au pays catalan où il réside, Jordi Savall nous décrit les splendeurs de ce répertoire pour consort de violes.

PAN M 360 : En 2022, vous avez lancé l’album triple Cancioneros del Siglo de Oro et un autre consacré au compositeur Christoph W. Gluck (Don Juan -Semiramis), sans compter les Symphonies 6 à 9 de Beethoven. Or, le programme que vous venez présenter à Montréal et Québec n’a rien à voir avec ces enregistrements.

JORDI SAVALL : C’est exact. Pour cette tournée, nous formons une équipe de six musiciens. C’est un consort de violes. Et je n’avais rien sorti de nouveau dans ce répertoire encore méconnu. Par conséquent, c’est un répertoire que nous ne pouvons pas jouer souvent. 

PAN M 360 : C’est le travail de votre vie que de débusquer le répertoire peu connu du 16e et 17e siècle. Nous voilà prêts pour ce nouveau programme qui donne l’impression d’être présenté en quatre parties.

JORDI SAVALL : Oui oui, ça l’est parce que j’aime bien présenter dans un bloc une série de pièces de trois à quatre minutes et, ainsi, éviter que le public applaudisse après chaque pièce. Alors il vaut mieux relier ces pièces pour leur thématique propre, pour les liens artistiques et contrastes entre les compositeurs impliqués et leur contrée d’origine (allemande, française, anglaise, italienne, espagnole). C’est un parcours intéressant des premières pièces de consorts, comme celle de Christopher Tye. Ainsi, on joue par exemple des pièces italiennes et allemandes dans une thématique commune.

PAN M 360 : La musique de consort est plus qu’une particularité de leur époque, on parle ici d’une instrumentation fondatrice.

JORDI SAVALL: Effectivement, notre programme fait état d’un art instrumental naissant qui s’inspire encore de l’art vocal, mais qui acquiert son indépendance. Avec la virtuosité des instruments, le caractère aussi, l’évocation de batailles, danses, fantaisies, jeux de dissonances, etc. C’est un très joli programme. La musique devient un moyen d’exprimer ce qu’on vivait à l’époque. Une peinture de son temps, en quelque sorte, avec les musiques élisabéthaines, françaises, italiennes, etc. On voit les différences et les points communs.

PAN M 360 : Comment débusquez-vous ces œuvres? 

JORDI SAVALL: C’est clair qu’on ne trouve pas toutes ces œuvres dans un magasin de musique. Souvent, elles font partie de l’œuvre complète de compositeurs que l’on trouve dans les instituts de musicologie, dans les universités. Quand j’ai commencé, j’allais dans les musées et bibliothèques de Londres, Paris, Bologne ou Bruxelles pour découvrir les œuvres entreposées en ces lieux. Dans les années 60 et 70, rien n’était publié, il fallait trouver les partitions originales et en acquérir les microfilms à la manière des espions (rires). Aujourd’hui, on trouve partout les œuvres de ces compositeurs. L’accès est beaucoup plus facile qu’à l’époque de mes débuts, où c’était le désert.

PAN M 360 : Puisque, bien sûr, il n’y a pas d’enregistrement qui témoigne de cette époque, vous avez dû vous-même établir des standards dans le jeu et dans l’exécution de l’œuvre. 

JORDI SAVALL : J’ai commencé par maîtriser la viole basse, qui est un instrument soliste, puis j’ai maîtrisé le dessus de viole pour ainsi faire les ensembles de violes. C’est l’avantage des violes de gambe, car elles sont toutes jouées sur la jambe. On peut jouer tout aussi bien la basse que le dessus de viole, la technique est similaire, alors que pour le violoncelle et le violon, c’est plus difficile à cause des techniques et positions différentes. 

PAN M 360 : Quelle est la formation exacte de votre consort?

JORDI SAVALL : Les cinq musiciens qui viennent avec moi jouent régulièrement dans mes ensembles. L’instrumentation est constituée de deux dessus de viole, une viole ténor, une viole basse, un violone et un luth (théorbe), il s’agit donc d’un quintette de violes et d’un luth. Les musiques au programme ont été composées généralement pour cette formation idéale, parce qu’on y trouve un bon équilibre entre les instruments. Nous pouvons jouer avec virtuosité et clarté. Nous jouons avec des instruments d’époque. Parfois ce sont des reproductions exactes et aussi des instruments préservés, qui remontent au 17e siècle. J’ai moi-même un dessus de viole qui date de 1690.

PAN M 360 : Comment vous y prenez-vous pour la musique baroque, c’est-à-dire la dernière partie du programme?

JORDI SAVALL : C’est une évolution tout à fait naturelle. Les musiques sont plus contenues, plus austères, elles impliquent plus de contrastes et plus de virtuosité. Nous finissons avec des œuvres extraordinaires, avec Cabanilles, Purcell, Charpentier et Bach. On aborde un répertoire typique et représentatif de cette époque considérée comme celle des grands maîtres du contrepoint que sont Bach et Purcell. Seul l’Art de la fugue n’est pas assurément conçu pour les violes de gambe, mais l’œuvre permet l’interprétation.

PAN M 360 : Jouez-vous souvent en consort?

JORDI SAVALL : Absolument, c’est une des plus belles choses que j’aime faire. C’est l’ancêtre du quatuor à cordes, c’est l’expression la plus belle comme un quintette de voix. En Angleterre vous savez, il y avait une tradition familiale et populaire où les membres devaient souvent apprendre à jouer dans un consort de violes. Ceux-ci regroupent des instruments équilibrés qui s’écoutent très bien, s’adaptent très bien et dialoguent très bien. En outre, les musiques sont d’une grande beauté. 

PROGRAMME

Eustache du Caurroy (1549-1609) Fantaisies sur Une jeune fillette

Christopher Tye (ca. 1505-ca. 1573) In Nomine XII « Crye »

John Dowland (1563-1626) Semper Dowland semper dolens

John Dowland The King of Denmark’s Galliard

Giovanni Maria Trabaci (1575-1647) Durezze e ligature

Giuseppe Guami (ca. 1540-ca. 1611) Canzon 4 Sopra La Battaglia

Clement Woodcock (1540-1590) Browning my dear à 5

Matthew Locke (1621-1677) Fantasie 5 en ré mineur à 4 (2e Suite)

William Brade (1560-1630) Ein Schottisch Tanz

Samuel Scheidt (1587-1654) Canzon à 5 super O Nachbar Roland

Alfonso Ferrabosco (1575-1628) Four-note Pavan à 5

Anthony Holborne (1545-1602) [Galliard:] The Fairie-Round

William Lawes (1602-1645) Paven V en do majeur à 5

Samuel Scheidt Galliard Battaglia

Marc-Antoine Charpentier (1543-1604) Passacaille

Joan Cabanilles (1644-1712) Obertura – Corrente italiana

Henry Purcell (1659-1695) Fantasia upon one note

Johann Sebastian Bach (1685-1750) Contrapunctus 1 – Contrapunctus 9 alla duodecima

ARTISTES :

HESPÈRION XXI

Jordi Savall, pardessus de viole

Philippe Pierlot, dessus de viole

Anna Lachegyi, ténor de viole

Juan Manuel Quintana, basse de viole

Xavier Puertas, violone

Enrike Solinis, théorbe et guitare

Direction : Jordi Savall

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