Le folk de Salomé Leclerc : introspectif, intemporel, indépendant

Entrevue réalisée par Luc Marchessault
Genres et styles : chanson / folk / folk-rock

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Mille ouvrages mon cœur naît au monde au milieu d’un automne à la douceur estivale, alors que les musiciens regagnent les scènes après le long hiver sanitaire. Bien installée dans son repaire de conception-création-répétition, entourée d’instruments invitants, Salomé Leclerc a mis à profit ces mois hors salles et hors festivals. En résultent douze chansons qui attestent de sa maîtrise chansonnière toujours grandissante. Pan M 360 a discuté avec Salomé de la genèse de Mille ouvrages mon cœur.


Pan M 360 : Un peu plus de dix ans depuis la parution de Sous les arbres, déjà. Tu poursuis dans l’esthétique mise en place à l’époque, sauf que ton folk s’est graduellement complexifié. Il y a une constance dans ta poésie, qui demeure habitée par la rigueur et la noblesse des thèmes : l’autre et soi, soi et soi, soi et le reste du monde. Pas de références aux sujets en vogue.

Salomé Leclerc : C’est une approche plus axée sur l’émotion, c’est très relationnel. Je qualifierais mes textes d’intemporels, en fait. J’en dirais presque autant de la musique, de la sonorité des choses. De mes quatre albums, celui qui passera peut-être moins bien l’épreuve du temps est le deuxième, où il y a des synthés, plus de claviers. Le reste demeure assez texturé, « organique », avec la batterie et les percussions, les guitares. Il y a des effets de reverb, mais pas de chorus ou de phaser, qui sont très cools mais plutôt associés à certaines périodes. Et qui seront associés à cette période-ci, en fait; il y a beaucoup d’effets flanger et chorus ces jours-ci, ça revient tranquillement. Musicalement et pour les textes, donc, l’intemporel sied bien aux chansons que j’ai écrites pour cet album et pour Les choses extérieures. Des thématiques plus personnelles, qui viennent naturellement, sans artifices et éclaboussements de couleurs.

Pan M 360 : Tu écris tous tes textes. Félix Dyotte collabore au peaufinage?

Salomé Leclerc : Les paroles et musiques de Mille ouvrages mon cœur sont de moi, mais j’envoie les maquettes à Félix. C’est la deuxième fois que j’ai recours à ses services. Parfois, je ne lui envoie que les textes à des fins de révision et – un peu – d’approbation. Félix est mon auteur préféré de cette génération-ci. Il a écrit l’album d’Évelyne Brochu, il a collaboré avec Pierre Lapointe. C’est quelqu’un qui s’adapte bien, qui est à l’écoute. Ce que je réussis à faire, avec lui, c’est de retourner à mes premiers jets. Le peaufinage est parfois utile en ce qu’il ramène un peu de flou. Mais Félix est là pour garder l’essence de la chanson.

Pan M 360 : Mille ouvrages mon cœur s’ouvre en voix-guitare avec Anyway, mais on passe vite en mode hypertexturé, avec des cordes percussives, des percussions inusitées, des chœurs (qui sont des échantillons de ta propre voix), des sons de bassons ou autres instruments électronisés, du piano « libre ». On s’est trouvé a été harmonisée de façon audacieuse, les sons se tiennent tout en étant indépendants les uns des autres. La guitare me rappelle certaines pièces de Marc Ribot, entre autres. C’est bon, ça garde l’auditeur en alerte.

Salomé Leclerc : Dans le pont d’Anyway il y a deux basses distorsionnées, jouées à la même partition à l’octave, dont une avec beaucoup d’effets disto et overdrive. J’ai aussi utilisé une grosse caisse de fanfare et le tom basse qu’on voit là… C’est ici (NDLR : Dans le local de répétition de Salomé) que tout ça a pris vie! Il y a aussi des voix dans Anyway, du xylophone, des guitares un peu dans le tapis. C’est beaucoup dans le traitement que ça se passe.

Pan M 360 : Je vais réécouter la pièce en tentant d’identifier mon « basson électronique »! Ivan Doroschuk et Men Without Hats chantaient Folk of the 80’s en 1984. On peut dire que tu chantes le folk dans années 2020, puisque tu actualises bellement le genre. Les trois dernières pièces de ton album précédent, Les choses extérieures, tendaient vers le folk expérimental. Tu y passes carrément ici, sur plusieurs pièces. Les structures s’éloignent du folk dit « conventionnel » et flirtent parfois avec l’électroacoustique.

Salomé Leclerc : Ça se peut qu’il y ait un lien. J’interprète Mille ouvrages mon cœur comme une continuité. Avec Les choses extérieures, il y a un travail… intérieur qui a été fait, un travail musical aussi. Je tenais beaucoup à tenir le flambeau longtemps toute seule : j’ai réalisé l’album, je l’ai chanté, j’ai joué de tous les instruments, sauf les cordes. Et la voix d’Antoine Corriveau à un endroit! Il y a des portes qui ont commencé à s’ouvrir avec Les choses extérieures, et j’en profite ici. La volonté d’être en avant comme interprète, puis celle de conserver les chansons dans un état le plus naturel possible. C’est ici, dans mon local, que j’ai pensé aux arrangements et que j’ai enregistré la plupart de ceux-ci. J’ai écrit les chansons chez moi, plus vite que d’habitude. Je les ai laissées dormir pendant un été complet, puis je les ai récupérées l’automne dernier pour les arranger. C’était une recherche très instinctive. Je branchais un micro, je le mettais là, je jouais de la batterie. Et j’enregistrais, sans trop de technique ni de connaissances de prise de son, mais c’est ce qui a donné la texture et la couleur des chansons. Les chansons sont nées dans cette enveloppe, c’est ce que j’ai voulu conserver jusqu’à la fin. Il y a eu une ouverture à l’expérimentation, surtout dans la manière. Les contraintes techniques et de connaissances m’aident à trouver des façons plus singulières de faire sonner les choses.

Pan M 360 : Louis-Jean Cormier et toi avez coréalisé Mille ouvrages mon cœur. Ç’a dû être réciproquement stimulant.

Salomé Leclerc : J’avais les chansons, je commençais à penser au travail des arrangements. J’avais encore des chansons guitare-voix que je voulais garder comme ça. J’aimerais, un jour, faire un album guitare acoustique-voix et je me demandais si ce serait celui-ci. Je continuais à écouter les chansons, je les travaillais, les rejouais, puis je les ai enregistrées en version maquette. J’avais besoin d’un avis extérieur, de quelqu’un qui avait du recul. J’ai croisé Louis-Jean, son studio est juste à côté. Je lui ai parlé de tout ça, il m’a dit « Envoie-moi tes tounes, je vais les écouter ». Il m’a fait ses commentaires et j’ai senti que c’était vraiment bénéfique, ça me motivait. J’avais l’impression que ça lui tentait aussi de travailler sur l’album. Ç’a été simple, on a pris deux ou trois semaines à son studio. J’ai pris mes maquettes, on les a écoutées et on a fait du ménage, on a récupéré ce qui était récupérable. Grâce à lui, il y a plein de pistes très brutes qui ont tenu la route, on les a retravaillées et synchronisées. Je ne répète pas mes partitions, je ne suis pas sur le « clic », je joue et j’enregistre! On a gardé le plus de trucs possible, on a refait quelques pistes de batterie, de guitare, de piano, de basse, quelques voix, un Moog ou deux. Louis-Jean a fait quelques overdubs de guitare. Sinon, la base est la même, le piano qu’on entend est celui qu’on voit ici, qui est tout faux, honky tonk, mais c’est ce que ça prenait.

J’allais oublier les cordes et les cuivres qu’on a enregistrés à l’église de La Visitation, dans le quartier Ahuntsic. C’était un moment magnifique. Louis-Jean avait ça en tête depuis longtemps, il a apporté un petit « kit » mobile. On a passé une journée complète là, une séance d’enregistrement pour les cuivres, une autre pour les cordes. La réverbération était capotée! Donc, c’est un album qui s’est fait en petite équipe; je me suis donné le temps, j’en avais beaucoup à cause de la pandémie. Ç’a été fait dans le plaisir de se revoir, quand on a pu retourner en studio. On discutait beaucoup avant les séances d’enregistrement, pour affûter nos pensées, garder confiance. Pour Les choses extérieures, Antoine Corriveau était là comme directeur artistique, moins dans la bulle de création. Cette fois-ci, c’était un échange instantané : doute, questionnement, réponse, puis on passe à autre chose.

 Pan M 360 : Des concerts sont planifiés?

Salomé Leclerc : Un premier le 19 novembre (NDLR : Au Théâtre du Marais à Val-Morin), puis quelques-uns d’ici la fin de l’année et la suite de la tournée à l’hiver 2022. Et j’irai peut-être faire de la promo en France sous peu, si la situation me le permet.

Pan M 360 : Merci Salomé et bravo pour Mille ouvrages mon cœur!

(Photo : Camille Gladu-Drouin)


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