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Crédit photo : Gabrielle Demers
Avec ce troisième album complet, et le deuxième depuis que le trio montréalais s’est retrouvé sur l’étiquette montréalaise Lisbon Lux, Le Couleur a décidé « d’ouvrir le couple », comme ses membres aiment à le dire. En quelque douze années de ménage à trois, la formation synth-pop avait envie de changer de formule en invitant plusieurs amis musiciens à participer à l’album. Le résultat a été au-delà de ses espérances, insufflant une nouvelle énergie au groupe. Fruit de ses ébats musicaux en studio, Concorde flirte avec le mythe, le manque et la mort dans un univers sonore sexy, envoûtant et très esthétique. On retrouve un peu l’univers de Michel Colombier, celui de David Holmes, des Sparks, d’Air et de Stereolab, entre autres. PAN M 360 s’est entretenu avec le trio – le batteur et bidouilleur Steeven Chouinard, sa compagne et chanteuse Laurence Giroux-Do et le bassiste Patrick Gosselin – à la veille de sa prestation en webdiffusion au CCF.
PAN M 360 : Parlez-nous du concept de Concorde, car il semble bien y en avoir un !
Steeven Chouinard : Concorde a été la première chanson qu’on a faite pour ce disque. Notre musique vient tout le temps avant les paroles. Donc, Pat et moi avons enregistré la pièce et ensuite Laurence avait envie d’écrire quelque chose en rapport au Concorde. Elle était fascinée à ce moment-là par cet avion et la tragédie qui mit un terme à son histoire.
Laurence Giroux-Do : On trouvait que toute l’esthétique du Concorde concordait avec l’image qu’on voulait donner au disque, tout ce côté un peu vintage mais en même temps assez futuriste, la beauté de l’objet, le mythe, le rêve, la sensualité…
SC : C’était quand même un avion sexy ! Il n’était pas quelconque, à voyager à pratiquement deux fois la vitesse du son en plus. Donc, à partir de là, on s’est mis à composer d’autres chansons. La deuxième qu’on a faite était L’Aube du 3e soleil, et vu le mood de la chanson et ce qu’on y entendait, ce qu’elle nous inspirait, c’est alors que sont venus les mots. C’est assez cinématographique, notre affaire. En fait, pour ce disque, on a aussi été assez influencés par les images, plus que par d’autres groupes; beaucoup de films porno des seventies comme Emmanuelle et Bilitis, la sensualité des musiques de Francis Lai par exemple, Gainsbourg… Toute cette lenteur, cette sensualité, ce petit côté lo-fi aussi qu’il y a dans ces films. Donc, on s’est rendu compte que c’était tragique, que ça parlait beaucoup de mort et d’absence… C’est un peu ça le concept du disque, sans que ce soit trop explicite ou trop personnel.
LGD : Prend Silenzio, par exemple. Ce morceau fait référence à la mort d’un mafieux qui s’est fait tirer, qui n’a pas respecté l’omerta. Oiseau sauvage parle d’un schizophrène… Donc le disque tourne autour de la mort, du mythe et du manque, ce sont les trois principaux thèmes de l’album, les 3 M. Il y a quelque chose de fascinant comment on voit la mort et comment on se voit mourir, je trouve.
SC : On a tous peur de ça, mais on s’est rendu compte, en ayant une fille de 4 ans avec qui on regarde des petits bonhommes, qu’il y a plusieurs manières de voir la mort. Dans le film d’animation Coco, il est question du Jour des morts au Mexique, qui est un événement très festif et coloré. Ça donne une autre perspective sur notre perception de la mort dans notre société.
PAN M 360 : Vous avez bien choisi votre année pour sortir un disque avec ce genre de thématique. Est-ce que le fait de lancer l’album un 11 septembre faisait aussi partie de la thématique ?
LGD : On devait sortir l’album le 18 avril, mais pour les raisons que tu sais, on a préféré reporter la date. Donc, on s’est dit, pourquoi pas le 11 septembre ? Le crash du Concorde un 11 septembre, en pleine pandémie de fin du monde…
SC : Et on s’est dit que c’était certain que les journalistes nous en parleraient quand on ferait des entrevues. Donc, voilà ! (rires)
PAN M 360 : En quoi ce disque diffère-t-il des précédents ?
LGD : Dans la façon dont il a été enregistré, je dirais.
SC : L’idéologie a été différente pour ce disque. C’est la première fois qu’on a décidé d’ouvrir le couple, si je puis m’exprimer ainsi. On a invité pas mal de musiciens. Car à la base, c’est Laurence, Pat et moi qui faisons tous nos disques. C’est arrivé trop souvent que ce soit une personne du groupe qui enregistre toute une chanson, donc on voulait quelque chose de plus collaboratif. On a fait appel à des gens qu’on connaît, des amis. On voulait qu’ils mettent leur touche : percussionniste, claviériste et plusieurs guitaristes sont passés. On a décidé finalement de faire ça live. Je te dirais que les deux tiers du disque est live. On était sept musiciens à la fois. On n’avait jamais tenté ce genre d’expérience et on a vraiment trippé. Ce partage d’idées, cette passion commune… Juste d’être en gang, de boire des bières ensemble, de soumettre des idées… Pour moi, tout ça est très positif. C’est du partage, c’est de l’amour, c’est de l’art. C’est donc ce qui diffère beaucoup des autres disques où je me retrouvais souvent seul derrière l’ordi ou un synthé à tout programmer. Pat venait faire un petit truc, Laurence posait sa voix et c’était ça.
LGD : Je pense qu’on ne pouvait pas avoir ce genre de fonctionnement. On avait fait un peu le tour, mais avec ce disque, on dirait que ç’a ravivé la flamme, ça nous a donné le goût de poursuivre l’aventure autrement, une nouvelle façon de s’émanciper.
SC : C’était positif ! C’était le fun d’avoir l’avis des autres musiciens. Même si je suis très directif dans ma manière de réaliser, je les laissais aller et j’aimais leurs défauts. C’est aussi pour ça qu’on les engageait : les défauts, les tics des gens, tout ça s’entend sur le disque. Y’a des trucs que je fais depuis dix ans et qu’on a assez entendus que le claviériste qu’on a engagé ne fait pas. Il a sa manière de jouer et il est mille fois meilleur que moi en plus. C’est la somme de toutes ces choses qui fait qu’on est encore en lune de miel avec ce disque, un an après l’avoir terminé. Ça fait deux mois qu’il est lancé et cette lune de miel s’est poursuivie parce qu’on a aussi réussi à le jouer sur scène.
PAN M 360 : Et quels sont ces musiciens invités ?
Le Couleur : Il y a Sheenah Ko, de Besnard Lakes à l’orgue, la gang de Paupières qui a coécrit des chansons et fait des chœurs, Louis-Joseph Cliche de Beat Market, Valence, Jean-Nicolas Doss de Wizaard, Paul Hammer qui est le fils de Jan Hammer, le compositeur de la musique de Miami Vice et un ex-membre du Mahavishnu Orchestra…
PAN M 360 : Vous allez justement faire un autre concert, cette fois-ci dans le cadre de Coup de coeur francophone. Comment ça va se passer, qu’est-ce que vous allez présenter ?
SC : Ce sera ce qu’on a présenté au lancement, ainsi qu’au Festif et au FME. On fait partie des quelques chanceux qui ont réussi à faire ces petits festivals vers la fin de l’été.
LGD : On joue en grande partie des chansons de Concorde mais on a quand même gardé des classiques. On est rendus là. On va piger dans nos best of et on les refait un peu différemment.
SC : Le show est plus costaud. On est six musiciens sur scène. On a tourné à trois au tout début, puis ensuite à quatre depuis les cinq dernières années, mais là, à six, c’est différent. Y’a du beau monde qui joue, qui se défonce, c’est vraiment cool. Et les commentaires qu’on a reçus sont très bons. Il y a de l’énergie qui fuse de partout. Il y a un segment qui ressemble un peu à ce qu’on a fait dans les cinq dernières années, notamment un passage un peu électro/DJ set non stop de quinze-vingt minutes qu’on ne voulait pas délaisser. Mais sinon, c’est plus pausé, y’a plus de mise en scène, y’a des balades, y’a des interruptions entre les chansons, car avant c’était 1, 2, 3, 4 et on ne s’arrêtait qu’à la fin du show. Y’avait pas réellement de pauses entre les chansons. Donc, là, on adopte une formule plus classique, mélangée avec ce qu’on faisait avant.
PAN M 360 : Vous avez des projets pour 2021 ?
LGD : Bien sûr ! Une tournée au Brésil, une autre au Mexique… ah non ! c’est vrai, tout a été annulé ! (rires)
SC : On avait de beaux projets pour l’Amérique latine, le Mexique et les États-Unis, et évidemment tout est tombé à l’eau. Donc, pour l’année qui vient, on va essayer de travailler sur autre chose.
LGD : Comme en 2021, ça risque d’être très difficile de jouer à l’étranger. On va tenter de se tourner vers le Québec qu’on a peut-être un peu trop négligé. Tu sais, on a joué plein de fois à Paris ou Berlin, mais on n’est jamais allé jouer à Chicoutimi ou à Terrebonne. Donc, sans doute comme tous les autres artistes québécois, on va essayer de développer ça. On a aussi eu l’idée de lancer un petit EP.
SC : On veut faire complètement l’inverse de ce qu’on a fait pour Concorde, tout ce côté partage entre musiciens, et se concentrer plus sur nous trois, quelque chose de très spontané et minimaliste, à la limite piano-voix, rien de fancy ni de trop réfléchi.