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D’origine camerounaise, issue des communautés bassa et eton dans la région de Douala, Vanessa Kanga est une professionnelle très impliquée à Montréal auprès des personnes vulnérables. Ses actions sociales portent quotidiennement au sein des structures de la municipalité dont elle est employée.
Dans le cas qui nous occupe, elle est d’abord et avant tout Veeby, magnifique chanteuse de puissance, songstress ouverte à toutes les déclinaisons afro-soul.
Également fondatrice du festival Afropolitan Nomade, un événement qui se déplace régulièrement en Afrique, Veeby est aussi mère de deux enfants. Figure incontournable de l’afrosoul à Montréal, Veeby gagne à être connue au-delà du cercle de ses initiés, le nouvel album Sandj est une excellente occasion de tomber sous le charme de cette véritable force de la nature!
D’où cette interview avec PAN M 360.
PAN M 360 : Le dernier album remonte à 2012. Pourquoi neuf ans entre ces deux albums?
Veeby : Parce que j’avais besoin de vivre des choses et d’acquérir une solide expérience sur scène. Ça m’a permis de grandir musicalement avec mes musiciens, une chimie s’est installée en cours de route et … À un moment donné, on se lasse d’interpréter les mêmes chansons, il faut alors passer à autre chose. Et puis il faut trouver le temps et l’énergie pour financer la prochaine production. Vu mes tâches nombreuses, je n’ai pas toujours le temps de m’asseoir, de remplir des demandes de subventions et payer les musiciens. Or, le nerf de la guerre consiste à trouver les fonds et obtenir des revenus acceptables pour mes musiciens comme pour moi-même.
PAN M 360 : Vous menez une double carrière, comme vous le faisiez il y a presque 10 ans. Toujours réaliste ?
Veeby : Oui! Pour la Ville de Montréal et je travaille sur les questions de l’équité et de la lutte aux discriminations. Auparavant, j’étais chez Centraide et je me consacrais à la lutte contre la pauvreté. J’ai été formée pour ça, d’ailleurs – premier cycle universitaire en économie politique et maîtrise en administration publique. Ce que je fais hors de ma vie artistique est utile, défendre les plus vulnérables et les plus marginalisés demeure pour moi une grande préoccupation. La musique est pour moi une autre façon de m’exprimer, un autre vecteur d’expression, mais cela est très lié aux autres fonctions de ma vie publique. En fait, je m’inspire réciproquement de toutes les facettes de ma vie. J’aime chanter, j’aime faire de la musique, j’ai besoin d’aller régulièrement en Afrique, et j’aime aussi travailler auprès des plus démunis. Avec un peu d’organisation, j’arrive à dormir 8 heures par nuit, mes enfants sont équilibrés… Je m’organise bien quoi ! (rires)
PAN M 360 : Vous avez fondé le Festival Afropolitain Nomade, via lequel vous chantez régulièrement en Afrique.
Veeby : Exact. Le Festival Afropolitain nomade est un plateau itinérant d’artistes qui font le tour de l’Afrique francophone depuis 2012. Avec mes musiciens, nous avons parcouru une dizaine de pays en Afrique. D’autres artistes québécois et européens ont également voyagé grâce à Afropolitain nomade.
PAN M 360 : Qui forme le noyau de votre groupe de musiciens?
Veeby : Le directeur musical est le guitariste Mitcheal Madner Henry, qui a travaillé notamment au sein de Kalmunity Project et avec la chanteuse Malika Tirolien. Le percussionniste Elli Miller-Maboungou fait aussi partie du noyau, tout comme mon conjoint, Fredy Massamba qui signe les arrangements et la réalisation du nouvel album. David Francois, le bassiste du groupe s’est révélé excellent ingénieur du son, il a fait le mix et le matriçage de l’album. Aussi, le noyau est constitué de Chuck, actuel bassiste, de Nathan, le claviériste, et d’Ebed, le batteur.
PAN M 360 : Votre premier album était entièrement réalisé avec des beatmakers, ce qui n’est pas le cas cette fois.
Veeby : Effectivement, les chansons ont été majoritairement enregistrées avec des instrumentistes, alors que quatre beatmakers ont été approchés pour autant de pièces : Orphée de la République Démocratique du Congo, ANG du Cameroun (résidant à Londres), Engone Endong du Gabon, DJ Touch du Rwanda (résidant à Bruxelles).
PAN M 360 : Quelle est la principale différence entre votre premier album et celui -ci?
Veeby : C’est ma propre compréhension de la musique. La première fois, je travaillais avec des beatmakers, des machines, et puis des musiciens ont joué ces musiques électroniques. Avec ces derniers, j’ai grandi musicalement. J’ai beaucoup appris et j’ai même composé quatre chansons pour le nouvel album. Mes musiciens les ont jouées comme je les entendais.
PAN M 360 : Depuis vos débuts professionnels, vos chansons ne sont pas strictement inspirées de votre culture d’origine. Vous ne dérogez pas de votre proposition originelle, n’est-ce pas ?
Veeby : Absolument. Les déclinaisons afro soul se trouvent dans ma musique comme c’était le cas à mes débuts. Mon travail artistique se veut un hommage à toutes les musiques noires du continent ou de la diaspora, konpa, hip hop , guitares du Congo, etc. À la base, je suis profondément attachée à mes racines africaines, ça s’entend! Toutes les musiques que je choisis me ramènent à l’Afrique d’une manière ou d’une autre. Mais je suis aussi de la diaspora, j’aime la soul, le R&B, je dois assumer que je suis à la fois d’ailleurs et d’ici. Je dois faire une fusion de mes influences. Même en Afrique, il faut dire que la musique n’est pas pure non plus, on y observe aussi des hybridations jazz, hip hop, soul, etc. Par ailleurs j’ai appris à découvrir les musiques des Caraïbes, le kompa, le zouk, le reggae, ou même les musiques japonaises liées aux mangas. Il est normal que je sois imprégnée de tout ça, que je sois tout ça à la fois!
PAN M 360 : Vos textes sont aussi liés à votre condition de femme africaine de la diaspora. Mais encore?
Veeby : Ce sont les textes d’une personne noire sur cette planète. Mes textes parlent de notre condition et adressent des messages d’espoir ou de paix.
PAN M 360 : Que signifie Sandj, le titre de votre album ?
Veeby : Zandj est le nom que les Arabes donnaient aux noirs bantous amenés de force en Mésopotamie (aujourd’hui l’Irak), soit pendant la première traite transsaharienne des esclaves. Dans les années 800, ces Bantous s’étaient rebellés contre leurs maîtres arabes soit pendant une quarantaine d’années. Les combats furent sanglants, on parle de centaines de milliers de morts. On sait tous que la communauté haïtienne s’est libérée de l’emprise des esclavagistes français mais il ne faut pas oublier les Bantous, qui s’étaient révoltés bien avant la traite transatlantique. À travers cet album, donc, je rends hommage à toutes ces luttes de libération et d’oppression des Noirs, sur leur continent d’origine comme à travers la diaspora.
PAN M 360 : En tant que personne et artiste noire, comment vous sentez-vous à Montréal?
Veeby : C’est bien, mais je me questionne aussi, surtout depuis le spectacle SLAV qui m’a irritée lorsque j’ai vu certaines réactions. Mince! Je ne crois pas pour autant que les Blancs ne puissent faire du R&B ou que les Noirs ne puissent jouer de la musique classique, mais je ne pouvais imaginer cette conversation difficile entre les Québécois de souche et les personnes de couleur vivant à Montréal. Alors oui je dois prendre ma place dans cette société: je dois travailler au sein de ses institutions, ne pas juste regarder le train passer sans m’impliquer, tout en sachant que les choses ne s’amélioreront pas en deux ou trois ans. De plus en plus de voix se lèvent et je veux aussi participer au changement des mentalités.
Veeby se produira au Cypher de Urban Science, soit le 18 novembre prochain au Petit Campus