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Au 19e siècle, le spectacle total était incarné par les artistes du vaudeville, de l’opérette ou de l’opéra. Un siècle et demi plus tard, le spectacle total est tout autre. Les grands artistes du chant lyrique évoluent désormais dans un environnement propice à une théâtralité que traversent les nouvelles technologies et les avancées de la spatialisation sur scène.
La mezzo-soprano Joyce DiDonato est parmi ces artistes proposant une expérience totale soit audiovisuelle, théâtrale, à la fois physique et virtuelle.
Enfilant les époques de la grande musique, soit de Charles Ives à Francesco Cavalli, soit plus de 3 siècles de musiques concomitantes malgré leur spécificité temporelle. Ainsi se présente Eden, album devenu concert et spectacle, « récital mis en espace ».
Ce dimanche PM (29 janvier) à la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts et ce lundi (30 janvier) au Palais Montcalm, Joyce DiDonato sera accompagnée par l’ensemble Il Pomo d’Oro, sous la direction de la violoniste Zefira Valova, par le Chœur des enfants de Montréal dirigé par Léa Moisan-Perrier, par l’acteur Manuel Palazzo, le tout dans une mise en scène de Marie Lambert-Le Bihan.
Jointe en Espagne où elle était en tournée avant de traverser l’Atlantique, la célébrissime cantatrice américaine se prête généreusement au jeu de nos questions et ainsi défendre le plus ambitieux projet de sa carrière.
PAN M 360 : Nous connaissons l’album Alors, comment avez-vous fait la transition de l’enregistrement à une sorte de spectacle vivant.
Joyce DiDonato : Vous savez, nous avons mis tellement d’attention et d’efforts pour créer la narration et assurer le flux de la musique! C’est peut-être inhabituel, mais l’ordre chronologique actuel que nous avons sur le CD est exactement le même que celui que nous présentons en concert. Cela peut paraître étrange, mais ça ressemble un peu au Voyage d’hiver / Winterreise (de Schubert); un morceau mène au suivant, le fil conducteur est très fort. Donc on peut aborder ça comme le voyage de quelqu’un qui cherche un moyen de se connecter plus profondément au monde qui l’entoure.
PAN M 360 : Votre « liste d’écoute » y est fascinante car chaque période de la musique classique y est représentée, de la musique ancienne à la musique contemporaine.
Joyce DiDonato : Cela fait partie de l’histoire que je voulais raconter, du voyage que je voulais faire avec le public. Et c’est ce que beaucoup de gens recherchent avec les récitals de nos jours, soit d’une manière un peu plus active, plus proactive et concentrée, Ainsi nous avons créé une sorte de monodrame.
PAN M 360 : Et quelle en est la trame dramatique?
Joyce DiDonato : Je pense que la raison pour laquelle cela fonctionne si bien, c’est que la muse de tous ces compositeurs et poètes fut la nature. Et il y a cette idée de savoir où je me situe moi-même dans la nature, comment le monde physique et la nature qui m’entoure m’affecte, m’attire, m’inspire, transforme mon existence. Le fil conducteur est Mère Nature en tant que telle.
PAN M 360 : Et comment la nature s’incarne-t-elle dans ce répertoire?
Joyce DiDonato : Par exemple, je trouve fantastique de sentir l’élévation et la révérence et la crainte qui sont présents dans la rencontre de Mahler avec la nature dans le lied ich atmet’ einen linden Duft. Ou bien la tristesse de Cavalli dans Piante Ombrose, ou encore cette transformation de l’obscurité en espoir chez Haendel dans Rosy Steps the Morn. Je trouve très inspirant de contempler ces différentes rencontres que les compositeurs et les librettistes ou les poètes ont eu avec cette idée de nature.
PAN M 360 : Vous avez donc travaillé avec la metteure en scène Marie Lambert Le Bihan pour élever cette performance au-delà de sa scénographie et ses éclairages.
Joyce DiDonato: C’est exact. C’était vraiment important pour moi. Une des choses que j’aime faire quand je peux, c’est prendre le public par surprise. Je pense que le monde classique s’en tient trop à des formules résultant d’un protocole. Le public a droit à un numéro d’échauffement par l’orchestre, il attend que la chanteuse monte sur scène, il observe alors la robe qu’elle porte. Et puis elle chante et puis on applaudit…
Il y a une tendance pour le public classique à s’asseoir et à écouter en mode comparatif. Et je comprends cela et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nous sommes si passionnés et aimons tant la musique. Nous accordons une telle identité à ces pièces que nous aimons! Cela dit, un des points forts d’une aventure musicale comme Eden est sa manière peu conventionnelle de présenter les choses.
PAN M 360 : Et quelle est cette manière?
Joyce di Donato : La différence se trouve dans façon dont nous avons aligné les œuvres et le mouvement sur scène. Nous voulions que les spectateurs soient sur le bout de leur siège, curieux de savoir ce qui va se passer ensuite.
Et donc la mise en scène et la direction musicale suscitent un niveau plus profond d’engagement et d’écoute, ce sentiment que nous sommes tous ensemble au sein d’une communauté lorsque nous nous retrouvons à ce concert.
J’aime que l’écoute soit énergique voire extatique, j’aime lorsque public ne sait pas ce qui va suivre. En tout cas, nous avons donné plus d’une vingtaine de concerts et plusieurs promoteurs réclament déjà notre retour.
PAN M 360 : Attirez-vous aussi des mélomanes différents du public « normal » de la musique classique ou du chant lyrique?
Joyce DiDonato : Oui! C’est ce que j’aime quand je vois mon public. J’aime joindre ceux qui sont ouverts à l’audace, qui cherchent comme moi une telle expérience, soit un plus un spectacle total qu’un seul concert. De manière générale, ce public est plus jeune, un peu plus éclectique, ne ressemble pas exactement à un public classique traditionnel.
PAN M 360 : N’y a-t-il pas un danger que la dimension visuelle d’une telle expérience ne devienne une distraction au détriment de la musique?
Joyce DiDonato : Quel que soit le projet que soumets, le cœur reste toujours l’expérience musicale. C’est toujours ma première priorité. Parce que si ce n’est pas à un niveau musical élevé, tout le reste tombe à l’eau. Au grand jamais, je ne veux pas que les gens gardent l’impression de quelque chose de purement cosmétique.
Au contraire, je souhaite que l’éclairage, la trame narrative et la théâtralité amplifient l’expérience musicale. Je veux que ce soit fait d’une manière simple mais vraiment poignante, afin qu’un public moderne, habitué au cinéma et aux écrans, et pas nécessairement à l’éducation classique des arts, puisse être mis en confiance. Au-delà de la profondeur de la musique qui est la ligne de fond, nous recherchons la connexion.
PAN M 360 : La musique demeure la ligne de fond mais il vous faut rafraîchir la façon de la présenter. Il faut que l’environnement serve la musique.
Joyce DiDonato : Exact. Une des choses dont je suis très fière avec cette production, c’est à la fois l’énormité de cette entreprise mais aussi une certaine simplicité dans tout ça, une qualité minimaliste. Nous présentons les choses de manière à ce que les gens puissent voir beaucoup de choses différentes et vivre beaucoup d’expériences différentes quel que soit leur âge, et même réfléchir à leur propre existence à travers un tel spectacle.
PAN M 360 : Vous adressez-vous essentiellement au grand public, soit peut-être au détriment du public mélomane?
Joyce DiDonato : Nous avons les débutants, les intermédiaires et les experts, il y a assez pour nourrir tout le spectre des perceptions. Les mélomanes de la vieille école qui écoutent beaucoup de musique classique, y vivent probablement une expérience concluante, peut-être même plus profonde.
Les publics plus conservateurs peuvent se sentir un peu bousculés par la cohabitation de certaines œuvres issues de différentes époques, Haendel et Mahler par exemple. Et pourtant, je trouve qu’il y a quelque chose d’incroyablement intemporel dans ces liaisons entre ces œuvres qui traversent plus de 3 siècles de musique. Et musicalement, je continue d’entendre cette musique d’une manière nouvelle, lorsqu’elle est arrangée d’une façon inattendue, mais très réfléchie et très bien pensée consciemment.
PAN M 360 : Cette cohabitation entre très ancien, moyennement vieux ou très neuf devient de plus en plus en plus prisée, pourtant.
Joyce DiDonato : Je pense effectivement qu’il y a un courant sous-jacent à notre époque, en 2023, qui peut sembler très instable et qui génère beaucoup d’anxiété, d’incertitude et de déstabilisation. Et quand nous regardons l’obscurité au sujet de laquelle Haendel composait il y a trois siècles, juxtaposée directement à Mahler, Ives ou Copland, on se dit que tous ont cherché cet endroit plus élevé que le monde matériel.
C’est la même condition humaine qui s’exprime depuis des siècles! Et nous pouvons nous tourner vers ces chefs-d’œuvre et les visualiser comme un réconfort, une consolation, une force nous aidant à affronter un autre jour comment l’ont fait des milliards d’humains avant nous. Ainsi je crois que toutes les saveurs et les couleurs de cette musique se renforcent mutuellement. Elles soutiennent l’idée de cette recherche constante que nous poursuivons depuis l’aube de l’humanité.
PAN M 360 : Et vous devez faire preuve d’une grande souplesse pour très bien interpréter toutes ces périodes de la musique. Il vous fallait une direction musicale éclairée en ce sens.
Joyce DiDonato : Absolument. Et c’est, je pense, l’une des choses les plus excitantes de ce projet parce que le maestro Maxim Emelyanychev (qui a dirigé l’ensemble Il Pomo d’Oro pour l’enregistrement) a vraiment ouvert la porte à cette ouverture lorsque lui et moi avons commencé à penser au répertoire. Lui et moi sommes donc un peu intrépides dans notre façon d’aborder la musique; nous aimons déjouer un peu les règles du jeu, mais jamais au détriment de la qualité de la musique. Ce choix, en fait, consiste à pousser l’affaire plus loin. Et avoir le sentiment de créer quelque chose. Alors Maxim m’a dit ‘Joyce cet orchestre peut jouer n’importe quoi, je pense que nous pouvons faire beaucoup de choses.’ Et il a évoqué l’idée de combiner notamment Gustav Mahler et Charles Ives. ‘Joyce, croyez-moi, nous pouvons le faire!’ Et ça a été une explosion, ce fut tellement exaltant de voir les musiciens plonger dans ce répertoire.
PAN M 360 : Le morceau qui les a le plus décontenancés?
Joyce DiDonato : C’est le Coplan qu’ils ont appris à aimer, parce qu’il était le plus éloigné d’eux. Ainsi, nous devions maîtriser les répertoires allemands ou italiens, mais rien n’empêchait de mettre Aaron Copland dans tout ça, aussi parce que le texte d’Emily Dickinson mis en musique par le compositeur, Nature, the Gentlest Mother chante la nature en paix.
Ce texte devient si important en ce moment. Nous lisons les gros titres de l’actualité sur le changement climatique, si terribles pour Mère Nature. Et je pense qu’il est vraiment important de se rappeler que nous traversons une période critique. Beaucoup de dévastation autour de nous et pourtant, le soleil brille toujours. La lune tire toujours les marées. les fleurs sont toujours en train d’éclore, il y a des oranges qui poussent dans l’arbre de mon jardin Et nous avons toujours à manger et à respirer. Et cette idée de l’élément nourricier de la nature est la pierre angulaire de ce projet pour moi.
PAN M 360 : Il s’agit donc d’un récital qui dépasse la musique pour une chanteuse de votre stature.
Joyce DiDonato : Toute ma carrière a mené à ce projet.
PROGRAMME
Oeuvres de compositeurs illustres des 17e (Giovanni Valentini, Biagio Marini, Francesco Cavalli, Mario Uccellini), 18e (George Frideric Handel, Christoph Willibald Gluck, Josef Mysliveček), 19e (Gustav Mahler), 20e (Charles Ives, Aaron Copland) et 21e siècles (Rachel Portman – compositrice britannique primée aux Oscars), dont les œuvres se rapportent au lien entre les humains et la nature.
ARTISTES
Joyce DiDonato (mezzo-soprano, productrice déléguée), Zefira Valova (violon, direction), Il Pomo d’Oro, Manuel Palazzo (acteur), Marie Lambert-Le Bihan (mise en scène), John Torres (éclairage), Chœur des enfants de Montréal
INFOS ET BILLETS, DIMANCHE, 16H, SALLE WILFRID-PELLETIER DE LA PDA