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Cette semaine à la Maison symphonique de Montréal, le supravirtuose James Ehnes jouera la partie solo le Concerto pour violon en ré mineur de JS Bach, tout en dirigeant l’OSM pour cette exécution. Installé au États-Unis, le musicien originaire du Manitoba est considéré comme l’un des grands virtuoses canadiens du violon, toutes époques confondues, et certes l’un des grands solistes du circuit classique international. Dans la vallée de la Gatineau où il terminait sa quarantaine, PAN M 360 a joint James Ehnes afin de nous causer de l’œuvre au programme de l’OSM dont il est à la fois soliste et chef. Comme ce sera le cas du violoniste Andrew Wan qui dirigera pour sa part la Symphonie de chambre en do mineur, op. 110 de Dmitri Chostakovitch en plus d’en assumer le rôle de soliste.
PAN M 360 : Parlons d’abord de ce Concerto pour violon de Johann Sebastian Bach, si vous le voulez bien.
JAMES EHNES : Bien sûr! Ce concerto est superbe, et j’ai toujours aimé travailler avec l’OSM pour tant de raisons, une des raisons est de prévoir les programmes avec sa directrice artistique, Marianne Perron que je connais depuis plusieurs années et avec qui il est formidable de travailler. Ce concerto était sa suggestion, d’ailleurs. Elle s’est d’abord interrogée si j’avais déjà joué cette œuvre , qui n’est pas jouée si souvent, notamment parce que la partition a été perdue. Elle est surtout connue par sa version pour clavier (clavecin), mais il apparaît clairement dans l’écriture que la version originelle avait été prévue pour le violon. Il existe aujourd’hui différentes versions existantes pour violon, reconstruites en quelque sorte par les solistes. Et j’ai aussi imaginé ma propre version. C’est une pièce qu’il faut étudier attentivement et qui requiert un véritable travail de musicologue afin d’imaginer ce que Bach avait fait au départ. C’est une pièce fascinante, elle requiert plus de virtuosité que ses deux autres concertos pour violon, eux restés intacts. C’est un défi assurément et cela me procure un grand plaisir.
PAN M 360 : Comment voyez-vous l’évolution de l’interprétation d’une telle œuvre baroque?
JAMES EHNES : La musique a tellement changé depuis la période baroque. Or, la musique de JS Bach est fort bien conçue pour survivre à toutes les époques, elle est indestructible à plusieurs égards. Comme tant d’autres œuvres de Bach, celle-ci est conçue dans un continuum; plusieurs éléments y furent réutilisés dans des œuvres subséquentes; Bach l’avait conçue pour le violon, puis pour le clavier. Souvent chez lui, on observe ce processus de recyclage. Cela s’inscrit dans la nature même de son œuvre qui fonctionne extrêmement bien dans plusieurs avenues. Je crois d’ailleurs que cela explique en bonne partie pourquoi sa musique traverse les siècles si aisément. Je crois néanmoins que personne ne peut réellement comprendre comment sa musique sonnait lorsqu’il était encore vivant, mais ce n’est pas si pertinent. Ce qui est pertinent selon moi, c’est de voir comment Bach nous parle aujourd’hui. Et alors, je me retrouverai cette semaine avec l’un des grands orchestres de ce monde, nous allons faire en sorte que ce concerto soit aussi en phase avec notre époque, là où nous sommes, ici et maintenant, c’est la clé. Comment faire parler cette musique de la manière la plus convaincante, c’est ce qui importe je crois.
PAN M 360 : Comment envisagez-vous ce rôle simultané de soliste et de chef?
JAMES EHNES : Je me produis souvent en dirigeant l’orchestre tout en jouant le violon. Je ne l’ai jamais fait avec l’OSM et j’ai bien hâte de le faire. Pour moi, d’ailleurs, c’est plus plaisant de le faire avec un orchestre que je connais très bien. J’y connais tant d’excellents musiciens, cela rend les choses plus faciles, très agréables et collaboratives. Cela me conduit également à mieux impliquer les interprètes. Nous formerons ainsi un groupe relativement restreint pour cette exécution qui s’apparente davantage à de la musique de chambre.
PAN M 360 : Vous jouez avec l’OSM depuis l’adolescence, comment pourriez-vous résumer votre perception quant à l’évolution de l’orchestre montréalais?
JAMES EHNES : Sur 30 ans, j’ai pu effectivement observer l’évolution de l’OSM. Il est étonnant de voir comment des orchestres de cette trempe conservent leur ADN institutionnel. Il ne reste plus beaucoup de musiciens de l’époque où j’ai commencé à collaborer avec l’orchestre, au moins la moitié des interprètes ont été remplacés par des plus jeunes depuis l’époque de Charles Dutoit. Puis il y a eu ce cycle merveilleux avec Kent Nagano, il y a eu la construction de l’incroyable Maison symphonique, d’autres changements se sont produits mais la personnalité de l’orchestre est demeurée intacte à travers le temps et ses grands maestros, tel Franz-Paul Decker avec qui je devais travailler peu avant son décès. Lorsque Charles Dutoit laissa l’OSM, la grandeur de l’orchestre demeura , l’orchestre prit une direction très intéressante. Lorsque tu as une relation constructive avec un directeur musical, tu en récoltes les dividendes plusieurs années après leur départ. Aujourd’hui, je suis très excité de travailler avec Rafael Payare au cours des années qui viennent, car il est un bon ami et un musicien que j’admire.
PAN M 360 : D’autres concerts sont-ils prévus au Québec durant votre séjour?
JAMES EHNES : Je joue ce dimanche un concert pour le Lady’s Morning Musical Club, un programme reporté à plusieurs reprises. Je jouerai avec le Nouveau Quatuor Orford. Charles-Richard Hamelin fait aussi partie de ce programme. Nous jouons ensemble le Quintette de Beethoven Op.29, j’y joue le deuxième alto, puis le le Concerto pour violon et piano de Chausson. J’ai pu quand même bénéficier d’une quarantaine avant de jouer à Montréal. En fait, je devais jouer au départ dans cinq villes canadiennes différentes et tout a été annulé sauf Montréal. La situation n’est pas particulièrement favorable dans plusieurs provinces, mais je me sens quand même très chanceux de pouvoir jouer de nouveau à Montréal. Je vis aux États-Unis, mais je suis venu au Canada deux fois à l’automne depuis le début de la pandémie, me revoilà. Avec un peu de chance, je reviendrai au pays cet automne.
PAN M 360 : Vous êtes certainement l’un des solistes canadiens les plus respectés sur la planète classique et vous êtes sans conteste très influent auprès de vos éminents successeurs. En êtes-vous conscient?
JAMES EHNES : Bien humblement, je ne peux m’autoproclamer le premier d’une série d’excellents violonistes canadiens, je préfère m’inscrire dans un groupe de musiciens, je pense à Jonathan Crow, Andrew Wan, Lara St.John, je pourrais citer plusieurs autres noms qui sont déjà une source d’inspiration pour les plus jeunes. Vous savez, ça me fait me sentir vieux de me faire dire par un jeune violoniste que je fus le soliste de son premier enregistrement impliquant le violon solo (rires), mais je reste très enthousiaste pour la génération montante. Il faut aussi rappeler que nous sommes les produits de grands professeurs, et je sais pertinemment que la récolte des violonistes canadiens a été excellente au fil des dernières décennies. Espérons que cela puisse se poursuivre! Pour moi, le Toronto Symphony Orchestra, l’orchestre du Centre National des Arts et l’OSM sont cruciaux pour maintenir ce niveau. Il faut dire aussi que les premiers violons de ces orchestres, soit Jonathan Crow, Yosuke Kawasaki Andrew Wan, et moi-même sommes de très bons amis. C’est pour moi une bénédiction que ces trois orchestres puissent compter sur trois de mes musiciens préférés.
PAN M 360 : Quant à votre propre parcours d’interprète, comment en voyez-vous la progression esthétique?
JAMES EHNES : Il est très difficile de parler de soi, les observateurs sont toujours mieux placés pour décrire ma propre trajectoire. Cela étant… je crois que mon approche n’a pas énormément changé depuis mes débuts; le répertoire s’est bien sûr étoffé, mon jeu aussi mais… D’une certaine façon je peux exprimer ce qui me suit, en termes d’objectifs et de processus de travail. Je crois en ce sens devoir assumer aujourd’hui cette même responsabilité : je veux rester fidèle à moi-même dans ma préparation, et dans mon désir d’exprimer la musique d’un compositeur au meilleur de mes habiletés. Avec la notoriété, je crois qu’il y a vraiment un danger d’excès de confiance, parce qu’on connaît bien une œuvre, un répertoire. J’ai toujours essayé d’éviter ce piège et j’essaie de rester fidèle à l’esprit de l’œuvre. Pour moi, chaque occasion est une chance, un privilège, une occasion de jouer encore mieux que la fois précédente. Je veux continuer de mettre l’accent sur l’atteinte de cet objectif, sans savoir évidemment ce que cela donnera en temps réel. Rejouer une œuvre, en tout cas, est une occasion de la réexaminer et la ressentir encore plus profondément, en être le meilleur communicateur. Je ne veux surtout pas avoir honte de ce que je fais ou de ce que j’ai fait jusqu’à maintenant. Lorsque je réécoute mes premiers enregistrements, vous savez,c’est comme si je regardais des photos de jeunesse. C’est qu’il ne faut pas reproduire à la mi-quarantaine ce que j’étais dans la mi-vingtaine Il faut rester fidèle à soi-même, tel qu’on est aujourd’hui.
Orchestre symphonique de Montréal
Maison symphonique de Montréal
Mardi 4 mai, 19h
Mercredi 5 mai, 10h30 et 19h00
James Ehnes, violon et direction (J. S. Bach)
Andrew Wan, violon et direction (Chostakovitch et Vaughan Williams)
Chostakovitch, Symphonie de chambre en do mineur, op. 110a (arr. R. Barshai, 24 min)
J. S. Bach, Concerto pour violon en ré mineur, BWV 1052R (21 min)
Vaughan Williams, Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis (16 min)