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François R. Cambuzat, Gianna Greco et leurs deux comparses se produiront ce jeudi au Ministère, à l’occasion du festival Nuits d’Afrique. On peut d’ores et déjà affirmer ce qui suit aux musicophiles qui y seront : ils auront beau chercher fort, mais ils n’assisteront à rien de semblable ailleurs, cet été, cet automne, cet hiver ou l’été prochain, à moins qu’Ifriqiyya Électrique ne revienne par chez nous. C’est dire à quel point la proposition musicale d’Ifriqiyya Électrique est inusitée. Le sieur Cambuzat et sa compagne Gianna Greco trimbalent leur insatiable curiosité et leur délicatesse anthropologique dans divers recoins de la planète depuis nombre d’années. Le projet Ifriqiyya Électrique provient d’une démarche singulière que François a bien expliquée à Pan M 360. S’y entremêlent, avec toute la cohérence nécessaire, transe, rituel, tribalisme occidental, violence sonore, catharsis, post-esclavagisme et libération.
Pan M 360 : Bonjour François! Ifriqiyya Électrique était au Festival d’été de Québec hier soir, en plein air devant notre Assemblée nationale. Ça s’est bien passé?
François R. Cambuzat : Oui, les spectateurs étaient à la pluie au début, mais ça s’est dégagé. C’était vraiment bien!
Pan M 360 : Après l’Assemblée nationale du Québec, vous vous produirez au Ministère à Montréal, une salle qui n’a rien de gouvernemental. Ce sera plus intime.
François R. Cambuzat : Ah oui, on a très hâte!
Pan M 360 : On ne peut définir facilement la musique d’Ifriqiyya Électrique. Si je résume grossièrement, on y entend les sonorités subsahariennes provenant du chant des esclaves, puis les composantes soufiques, et enfin les modèles rythmiques et les textures post-industrielles mises de l’avant par Front 242 et ses héritiers. Je vous prie de nuancer ce que je viens de dire.
François R. Cambuzat : En fait, c’est parti d’un voyage dans le Djérid, le presque désert du sud-ouest de la Tunisie. Avec ma collègue Gianna Greco (NDLR : l’autre moitié du duo Putan Club, avec François), nous nous sommes installés temporairement à Tozeur pour y tourner un film. Nous avons côtoyé des gens de cette communauté, qui descendent des esclaves d’origine subsaharienne et pratiquent encore un rituel appelé « banga ».
Pour ce qui est de l’aspect industriel ou post-industriel, ça allait de soi. Car cette musique de transe, que nous avons découverte dans le Djérid, comporte une violence inouïe. On a bien eu le pogo-punk en Occident, mais la banga, c’est à un autre niveau. Les ornements post-industriels à la Front 242, Nine Inch Nails et ainsi de suite, ça allait de soi. C’est très tribal aussi. Gianna et moi conservons la ligne de base, les ajouts instrumentaux et électroniques ne modifient en rien la structure d’origine.
Puis, tout ça est devenu un film, qu’on a mis sur Internet. Des gens l’ont remarqué, notamment des représentants de festivals comme WOMAD, celui de Peter Gabriel. On a donc dû former un groupe, sans renier notre objectif initial, celui de créer de la musique d’élévation. Puis, « Ifriqiyya » était le nom du territoire d’Afrique du Nord qu’occupaient les Berbères jadis, et qui a donné son nom à l’Afrique.
Pan M 360 : On parle peu, en Occident, de la traite des esclaves au Maghreb. Pourtant, elle s’est étalée sur des siècles. C’est une sorte de tabou.
François R. Cambuzat : On n’en parle pas au Maghreb non plus, parce que les gens en ont honte. Ça a duré des siècles, en effet, et le nombre de victimes de ce trafic fut de loin supérieur à celui des Antilles et des Amériques. Donc, la banga est un syncrétisme, c’est-à-dire qu’elle combine l’animisme des peuples d’Afrique de l’Ouest, notamment du Sénégal, avec des éléments soufiques. Puis, il s’agit d’un rituel thérapeutique auquel participent beaucoup les femmes; C’est leur moment de libération totale, où les contraintes de la charia sont levées.
Pan M 360 : Ça me semble être un parallèle facile, mais la banga évoque la santeria ou le vaudou dans les Antilles, un mélange de croyances animistes et chrétiennes.
François R. Cambuzat : Oui, c’est tout à fait ça, ce bagage apporté par les esclaves de l’Afrique de l’Ouest. Il y a au Sénégal ce culte, cette transe thérapeutique qu’on appelle « n’döp ». Ça ressemble énormément à la banga et, en même temps, à la santeria ou au vaudou. Ces rituels s’apparentent aussi à ce qui est devenu la techno ou le dub, dans leur essence.
Pan M 360 : Vos pièces prennent aussi la forme d’adorcismes, c’est-à-dire l’accueil, plutôt que l’expulsion, d’entités spirituelles. C’est bien d’avoir de la musique qui transcende les simples affects ou le désir de taper du pied, et qui ramène l’auditeur à l’essence spirituelle!
François R. Cambuzat : L’adorcisme s’adresse à ceux qui participent à la banga, il sert à faire entrer en eux un esprit, puis à calmer celui-ci. Cela se situe toujours dans une perspective thérapeutique, chez ces descendants d’esclaves. Ce rituel est avant tout cathartique.
Pan M 360 : Vous avez lancé Rûwâhîne en 2017 et Laylet El Booree en 2019. Peut-on s’attendre à un nouvel album bientôt?
François R. Cambuzat : On prend tout notre temps. Nous n’avons plus l’âge où l’on s’épate de voir notre nom sur des bouts de carton ou de plastique! On essaie de faire abstraction des contraintes habituelles de l’industrie de la musique.
Pan M 360 : Je ne peux que vous appuyer là-dedans. Puis, vos deux albums sont comme des messes ou des célébrations portatives, qu’on peut écouter à volonté! Merci énormément François et bon concert à Nuits d’Afrique!
François R. Cambuzat : Merci et au plaisir! Si vous passez par l’Europe ou le Maghreb, venez nous voir!
Ifriqiyya Électrique sera au Ministère le jeudi 14 juillet à l’occasion de Nuits d’Afrique. Achetez vos billets ici!