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Crédit photo : Jack Bool
Contrairement à la majorité absolue des chanteurs québécois francophones ayant choisi de s’exprimer en anglais et qui, force est de l’observer, ne sont écoutés sensiblement que par des Québécois francophones, Helena Deland parvient à déjouer ce modèle insulaire. Autrice, compositrice et interprète aux origines biculturelles, elle peut se targuer de mener une vraie carrière dans les marchés anglophones hors Québec. Elle a entre autres tourné avec Whitney, Weyes Blood, Connan Mockasin, elle a fait une première partie pour Iggy Pop à Paris, elle a collaboré avec JPEGMAFIA. Pas mal ! La prochaine étape est la sortie imminente de l’album Someone New, sous étiquette Chivi Chivi.
PAN M 360 : Someone New témoigne d’une progression remarquable dans votre jeune carrière, pourriez-vous nous en identifier les principaux facteurs ?
HELENA DELAND : La façon la plus claire de décrire cette progression est celle-ci : pour mes EP parus depuis 2017, il n’y avait pas de thèmes « parapluie », c’est-à-dire que je n’abordais pas l’écriture d’une chanson comme le fragment de quelque chose de plus gros. Je me rendais jusqu’à l’enregistrement, je me faisais alors un topo sur les chansons au programme. Je ne cherchais pas une thématique claire mais plutôt une cohérence. À partir du moment où j’ai écrit Someone New, je suis devenue super excitée ! Ça m’a empêchée de dormir, le coup d’inspiration était plus fort que le sommeil. Ça ne m’arrive pas souvent qu’une chanson me vienne aussi rapidement. J’ai eu l’impression d’avoir mis le doigt sur une proposition à développer. Ce fut la bougie d’allumage, j’avais vraiment envie de porter ce projet. Someone New m’a donné un modèle. Je voulais exploiter une idée claire et l’exploiter formellement dans l’écriture poétique.
PAN M 360 : Le thème plus ou moins récurrent de Someone New, c’est l’état d’esprit dans lequel se trouve une femme en fin de vingtaine, tiraillée entre les modèles dominants de réussite affective et l’assomption d’une vie sentimentale moins stable que prévue… ou souhaitée. Qu’en dites-vous ?
HELENA DELAND : C’est une façon pour moi de décrire une période de grande insécurité. Je me demandais alors ce que je recherchais dans les relations amoureuses… Pourquoi avais-je absolument besoin de cette validation ? La réponse : clairement, c’est de la compensation ! C’est aussi la peur de la solitude. Ce qu’on nous en présente est une version romantique de l’amour stable et harmonieux. Il y a donc un net écart entre le modèle de famille nucléaire dans lequel j’ai grandi et notre époque des applications web propices à l’amour en série. Cette « autosuffisance » a été une façon pour moi de vivre ma féminité, mais ça a été vraiment mêlant. J’espère un jour être en paix avec moi-même, mais je ne vois pas le moment où je parviendrai à la plénitude totale. En écrivant cet album, en tout cas, je n’avais pas encore vraiment accepté qu’il était peut-être impossible d’y parvenir. Il y avait toujours cette tension entre le rêve d’un sentiment pur de confort affectif et ce malaise causé par l’attente d’un idéal amoureux auquel on ne parvient jamais.
PAN M 360 : Thématiquement, donc, les chansons sont généralement construites autour de Someone New, n’est-ce pas ?
HELENA DELAND : Someone New parle de la fin de la vingtaine, de la fin de la jeunesse, du vieillissement, de la construction de l’identité féminine sur le regard masculin. Je ne me suis pas épanouie dans une relation stable, je me suis remise en question à ce titre. Qu’est-ce que je veux ? La famille nucléaire ? Le succès romantique ? Me sentir désirable ? Les chansons se situent dans la résistance à cet idéal trompeur ou encore dans l’espoir de s’en approcher ou même dans la crainte de l’impossibilité d’y parvenir. Les chansons Comfort Edge, Pale ou Fruit Pick expriment ces états mêlants, compliqués, tiraillants. Someone New porte quand même de l’espoir, la narratrice s’affirme et trouve la paix en bout de ligne. Neutral, à la fin, est une espèce de mantra… Au bout du compte, ces chansons soulignent qu’il n’y a pas de façon parfaite d’exister. La sagesse, c’est de l’accepter.
PAN M 360 : Les écoutes successives de Someone New ne mentent pas : on a porté beaucoup de soins à la production. Parlez-nous en !
HELENA DELAND : C’est clairement le résultat de mon intention de prolonger ce que j’entendais dans mes maquettes. Pour moi, c’était super important d’amener toute seule les chansons aussi loin que j’étais capable de le faire. Pour mon expérience antécédente, je travaillais avec quelqu’un de très expérimenté et de très confiant. Tous mes EP ont été enregistrés avec Jesse McCormack. Il fait tout et n’avait pas besoin de m’attendre quand ça me prenait du temps. Le rythme était le sien. C’était ben correct mais c’était difficile de mesurer ma propre insécurité en studio. J’ai ensuite voulu savoir ce dont j’étais capable. J’ai senti le besoin de ralentir le rythme, j’ai trouvé le mien. Beaucoup de réflexion ! À travers ça, mes nouveaux collaborateurs m’ont aidé à corriger ou trouver des solutions aux problèmes. Ils m’ont aidée à trouver ce qui marchait.
PAN M 360 : Plus précisément, avec qui avez-vous travaillé ?
HELENA DELAND : J’ai d’abord fait écouter mes maquettes à mon ami Valentin Ignat, que j’avais rencontré lorsque nous étions tous deux baristas dans un même café. Il étudie en électroacoustique à l’université Concordia. Il a une approche très geek du son, des textures, du détail. J’avais envie qu’on fasse ça ensemble. Ça n’a pas toujours été facile, on ne savait pas toujours comment on mènerait ce projet à terme. Dans certaines chansons, on pouvait rester pris dans un coin ! Alors le band a joué, on a enregistré, Valentin a fait un pré-mix et après j’étais prête à travailler avec quelqu’un de plus expérimenté que nous. Gabe Wax est un producteur-vedette dans le monde indie, il a travaillé entre autres avec War on Drugs, Fleet Foxes, Deerhunter, Adrianne Lenker, Soccer Mommy, plusieurs autres. Il a mis un vent de fraîcheur là-dedans, certaines chansons ont été carrément reconstruites. À ce stade du projet, ce fut vraiment inspirant de travailler avec Gabe. En somme, Valentin et moi avons travaillé de juillet à novembre, Gabe et moi, de novembre à janvier.
PAN M 360 : Vous avez étudié en littérature française, on peut en déduire que des textes en français pourraient naître aussi dans votre répertoire, non ?
HELENA DELAND : Oui, j’aimerais, mais j’ai l’impression d’être moins bien éduquée en chanson francophone. En fait, mon père est francophone et ma mère est anglophone, née de parents immigrants irlandais (McCullough). Mes parents avaient une culture musicale plus anglophone même s’il y avait du Gilles Vigneault ou du Jean Leloup qui jouaient à la maison. Mes parents sont de Montréal mais ils ont fait leur carrière à Québec, c’est pourquoi j’ai grandi sur la rive sud de Québec. J’y ai vécu jusqu’à la fin du cégep. J’ai ensuite voyagé, je suis venue vivre à Montréal, j’ai fait un fait bacc en littérature à l’UQAM, et puis j’ai été super chanceuse avec la musique.
PAN M 360 : À vous parler, on ressent très clairement les deux cultures en vous, franco et anglo. Cela est un facilitateur pour une carrière de votre type, c’est-à-dire destinée à tous les marchés où l’on aime les chansons anglophones. Vous avez tourné avec des artistes de renom tels Whitney, Weyes Blood, Connan Mockasin. Vous avez même ouvert pour Iggy Pop à Paris, vous avez travaillé avec JPEGMAFIA. C’était une intention dès le départ ?
HELENA DELAND : Mon impresario, Nicolas Fortin, m’avait d’abord vue sur scène à la Casa Del Popolo. Puis il avait écouté mon premier EP avant sa sortie et m’avait proposé de travailler avec lui. Au début, ce fut un non, et puis … un oui. Il est très présent, digne de confiance et il a son propre label, Chivi Chivi (Lydia Képinski, Lysandre, Étienne Dufresne…). J’étais en fin de session et on s’était fait offrir une tournée avec le groupe américain Whitney. On l’a fait. Alors, oui, nous voulions une carrière internationale dès le départ.
PAN M 360 : Vous y voilà !