Hayti Lives de Vox Sambou, « devoir de refléter son époque »

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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L’album Hayiti Lives, le sixième de Vox Sambou a été lancé il y a quelques semaines, mais Vox Sambou était toujours en déplacement à l’étranger. Qu’à cela ne tienne, nous avons finalement contacté cet artiste et travailleur, associé à l’excellent groupe composite Nomadic Massive et aussi auteur-compositeur-interprète solo de Montréal et originaire de Limbé, municipalité plantée près du Cap-Haïtien dans le nord de l’île.  Conversation écrite avec un incontournable de la culture afro-descendante de Montréal.

PAN M 360 : Hayiti Lives est un projet à la fois poétique et activiste. Comment une posture critique ou même militante peut-elle devenir de l’art en 2025?

Vox Sambou: En tant que musicien, je me sens toujours guidé par les mots intemporels de l’excellente musicienne Nina Simone « Le devoir d’un artiste, en ce qui me concerne, est de refléter l’époque dans laquelle il vit. Je pense que cela s’applique aux peintres, aux sculpteurs, aux poètes, aux musiciens… Pour moi, c’est un choix personnel. Mais j’ai choisi de refléter mon époque et les situations dans lesquelles je me trouve. C’est, à mes yeux, mon devoir. »

PAN M 360 : Il y a tellement à dire sur Hayiti actuellement, aux prises avec une incroyable malédiction sociale, économique ou politique. Quels sont les thèmes retenus dans tes nouvelles chansons?

Vox Sambou: Dans mes nouvelles chansons du projet Hayti Lives, j’aborde les thèmes de l’amour, l’unité et la résistance. Ce n’est pas une malédiction qui frappe Haïti, mais une injustice persistante. Je t’écris ces mots depuis Limbé, nord d’Haïti où je vois de l’espoir dans les visages des marchandes, des professeurs et des jeunes écoliers. La réalité quotidienne est une leçon de résilience. L’article de Michel Vastel, paru en 2003, révèle une vérité méconnue : l’Initiative d’Ottawa sur Haïti montre le rôle actif de certains États, dont le Canada et la France, dans la déstabilisation politique du pays. La France, surtout, refuse de rembourser la rançon de l’indépendance, une dette imposée à Haïti pour avoir osé se libérer. Voilà la vraie tragédie.

PAN M 360 : Peut-on choisir 3 à 5 chansons et en décrire plus précisément le choix du sujet et la démarche poétique?

Vox Sambou: 

Eritaj
:Cette chanson est une déclaration d’identité et de mémoire. À travers les mots “Istwa nou, memwa nou se zam nou pou’n pa peri”, je veux insister sur le fait que l’héritage haïtien, son histoire, sa culture, sa résistance est une arme puissante contre l’effacement. C’est un sujet qui est ancré dans une démarche de transmission intergénérationnelle et de réaffirmation des racines africaines d’Haïti. J’ai utilisé des rythmes issus de la tradition orale.

Sergo : 
Sergo rend hommage à ma mère et à toutes ces femmes haïtiennes dans l’histoire du pays. Ces femmes sont des piliers de l’économie, de l’éducation et de la résistance, depuis l’indépendance en 1804 jusqu’à aujourd’hui. Le nom Sergo est un symbole de dignité, de courage et de force. Avec mes musiciens, j’ai pu travailler sur les rythmes de percussions petro, des influences congolaises et le hip-hop. Mon désir le plus cher est de célébrer la mémoire vivante de ces femmes à travers une énergie musicale en constante élévation

Kriminèl: Cette chanson est née d’un sentiment d’urgence face à la situation d’instabilité persistante en Haïti. Elle dénonce la violence imposée par la communauté internationale, mais surtout, elle appelle à la conscience collective et à la résistance citoyenne. J’interpelle la population à se réveiller. Ma démarche s’appuie sur la répétition et l’intensité rythmique des percussions haïtiennes (notamment les rythmes petro), amplifiées par des influences congolaises, du hip-hop et de l’afrobeat pour créer cette chanson

Voyaje: Cette chanson puise son inspiration en 2017 à Helsinki World Music Festival lorsque j’ai fait la première partie de Calypso Rose, icône de la musique de Trinidad et Tobago. C’est une chanson qui évoque le voyage identitaire, celui des enfants de la diaspora africaine qui cherchent à se reconnecter à leurs racines. 

PAN M 360 : Étant francophone et ayant déjà passé du temps en Haïti, je comprends partiellement le créole (la langue d’expression de cet album sauf exceptions en français), mais j’aimerais savoir si tu as des modèles poétiques en littérature créole.

Vox Sambou: Depuis mon plus jeune âge, à Limbé en Haïti, j’ai toujours été baigné dans la littérature haïtienne. Ceux qui m’ont le plus influencé sont Oswald Durand et Frankétienne. Le premier, poète du XIXe siècle, a donné à la langue haïtienne ses lettres de noblesse avec des textes comme Choucoune, célébrant l’amour et la culture populaire. Frankétienne, écrivain prolifique du XXe siècle, fondateur du spiralisme, mêle poésie, chaos et révolte pour exprimer la complexité de l’âme haïtienne. Ces deux poètes nourrissent mon écriture et mon engagement artistique.

PAN M 360 : Comment tu peux rendre le créole haïtien attractif aux non créolophones?

Vox Sambou: La langue haïtienne est déjà profondément riche et attirante. Pour moi, la meilleure façon de la rendre plus accessible est par la musique, un langage universel. À travers mes chansons, j’utilise la langue haïtienne pour interpeller nos sociétés, éveiller les consciences, élever notre humanité et partager l’amour.

PAN M 360 : Afin que les non créoles puissent s’instruire davantage sur la créolophonie en chanson, peux-tu nous parler de ta démarche en tant qu’auteur de chansons?

Vox Sambou: En tant qu’artiste, je ne m’impose pas un style ni une langue précise. Par exemple, le refrain de la chanson Goumen (« se battre ») m’est d’abord venu en langue portugaise ; j’ai simplement choisi de le traduire en langue haïtienne guidée par l’inspiration, le rythme et le message, tout en respectant les sonorités et les langues qui m’habitent.

PAN M 360 : Comment fais-tu la distinction entre ton travail solo et ton travail en collectif, surtout avec Nomadic Massive? Où sont les différences, les distinctions, les choix stylistiques?

Vox Sambou: Nomadic Massive demeure l’une de mes grandes écoles de vie. De 2004 à 2017, j’y ai vécu et partagé des moments extraordinaires d’apprentissage, de scène et de fraternité artistique. Ce collectif m’a permis de développer une conscience musicale et politique forte. Le projet Vox Sambou, quant à lui, est plus personnel : il puise dans la musique traditionnelle haïtienne, avec un style moins centré sur le hip-hop et davantage orienté vers la fusion des rythmes afro-descendants. C’est un espace plus intime, de réflexion et de connexion directe avec mes racines.

PAN M 360 : Plusieurs musicien.ne.s ont contribué à cet album. Peux-tu nous expliquer le processus de recrutement?

Vox Sambou : Pour ce projet, j’ai commencé par travailler les bases musicales avec le batteur et percussionniste canado-congolais Lionel Kizaba, avant d’inviter les autres membres de mon groupe. Ma démarche est organique.

PAN M 360 : Qui est le noyau de tes collaborateurs.trices?  En studio? Sur scène? 

Vox Sambou: Depuis plus de 15 ans, je travaille avec une équipe fidèle et talentueuse. En studio comme sur scène, mon noyau reste presque le même. David Ryshpan (claviers), Jean-Daniel Thibeault-Desbiens (batterie), Diégal Léger (basse), Rommel Ribeiro (guitare), Rémi Cormier (trompette), Malika Tirolien (voix), Ronald Nazaire (percussions), Frank O Sullivan (guitare) et Lionel Kizaba (percussionniste et batteur) sont mes collaborateurs proches. Avec eux, j’ai construit une complicité musicale et humaine qui nourrit la cohérence artistique de tous mes projets.

PAN M 360 : Qui a fait les arrangements et la réalisation? Que cherchiez-vous?

Vox Sambou: J’ai composé et travaillé les structures de base des morceaux moi-même, en laissant place à l’intuition et à l’âme des rythmes. Par la suite, Rémi Cormier et Modibo Keita ont apporté leur touche sur certaines sections de cuivres, Malika Tirolien, quant à elle, a signé des arrangements marquants de clavier et de guitare, notamment sur la chanson Kriminèl. Je cherche à donner au projet une richesse sonore qui respecte à la fois mes racines et mes intentions musicales.

PAN M 360 : L’objet musical de cet album, dit-on, est une rencontre entre les Antilles (surtout Haïti) et l’Afrique centrale (surtout Congo) : pourquoi donc?

Vox Sambou: Je souhaite honorer notre héritage culturel. Cet album invite les enfants de la diaspora à se réapproprier leurs racines à travers le pouvoir unificateur de l’art. Je crois sincèrement que l’art est le seul pont capable de reconnecter la jeunesse africaine dispersée à sa terre d’origine et, ainsi, lui offrir la paix!

PAN M 360 : Les choix stylistiques sont éclectiques : rythmes rara, vaudou, dancehall, afrobeat,  soukouss, rap kreyol, afro-jazz, etc.… Quelle serait ta propre description? 

Vox Sambou: Je fais de la musique traditionnelle haïtienne fusionnée avec le jazz et le hip-hop

PAN M 360 : Tu choisis une approche instrumentale, très peu d’électronique dans ce travail de prime abord? Question de goût, tout simplement? Peux-tu nous décrire ton jardin musical? Ce qui te fait le plus vibrer?

Vox Sambou: J’ai toujours été attiré par une approche instrumentale organique. Ce qui me fait vibrer, ce sont les tambours, les voix humaines, les souffles de cuivres, les rythmes enracinés. Mon jardin musical, c’est la terre d’Haïti, nourrie des échos d’Afrique, de la Caraïbe et des rues de Montréal. C’est un espace où se rencontrent tradition et innovation, où chaque son porte une histoire, un cri, une mémoire vivante. Je cherche avant tout à créer du lien, à faire vibrer l’humain.

PAN M 360 : Quels sont tes prochains projets, solo ou autres? Spectacles et autres?

Vox Sambou : Le 17 mai, nous avons lancé  l’album Hayti Lives à São Paulo, une étape importante de ce nouveau projet. En juin, nous poursuivrons avec des concerts à Rio de Janeiro, puis nous allons partir pour une série de dates en Europe. Cet été, nous serons également en tournée dans l’ouest du Canada. Que ce soit au Canada ou à l’étranger, chaque performance est une occasion de créer du lien, de porter nos messages et de célébrer la richesse des cultures afro-descendantes.

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