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Même si la multi-instrumentiste montréalaise Marie-Hélène L. Delorme porte officiellement son projet de pop expérimentale Foxtrott en solo, sa dernière parution indépendante nous montre qu’il s’agit en réalité d’une danse élégante et spontanée qui ne se fait pas seul, mais bien à deux, soit entre elle et les instruments.
Compositrice pour le cinéma et la télé, Foxtrott démarrait sa carrière en chantant la force d’une énergie libératrice sur A Taller Us en 2015, un album aux accents R&B, soul et électro-pop nominé au prix Polaris, qu’elle continuait d’explorer en 2018 avec sa série Meditation I-II-III. En suivant les paroles de son morceau Intuition, Foxtrott réussit finalement à s’unir définitivement avec ses instruments sous la forme d’EP composés librement dans le style traditionnel des peintures diptyques.
Tout comme Dirty Projectors nous avaient fait circuler dans une exposition de tableaux d’EP en 2020, Foxtrott nous fera quant à elle voyager tout au long de l’année dans une série de chansons composées spontanément en paires. Réalisés en collaboration avec l’artiste Ouri à la harpe et au violoncelle, The Motion et Looking for Your Love constituent la première paire qui traduit un retour en force fait de douceur et d’innovation pour Foxtrott.
Alors que Daniel Ek disait bêtement aux artistes d’oublier la nécessaire période de création entre deux albums, Foxtrott démontre finalement que les artistes ne peuvent pas être réduits à de simples produits que l’on commande et presse à l’usine, dans le pas cadencé et automatique de l’industrie.
PAN M 360 : Ton projet me fait beaucoup penser à celui réalisé en 2020 par Dirty Projectors. Ce genre de projet peut potentiellement créer un nouveau rapport à la musique ou un nouvel espace d’écoute, sachant que les albums sont de moins en moins écoutés en entier. Comment le vois-tu?
FOXTROTT : J’avais envie de faire les choses un peu différemment. J’ai fait deux albums complets durant mon parcours. Je fais presque toute ma musique toute seule, je produis, j’écris, etc. Je peux passer beaucoup de temps sur mon travail. J’avais besoin de quelque chose de plus léger et spontané. J’avais envie de procéder différemment. Je ne voulais pas rester deux ans dans ma bulle, faire un album et ensuite le sortir.
PAN M 360 : Comment est venue l’idée des diptyques?
FOXTROTT : Il n’y a plus vraiment de règles, certains artistes sortent des projets de 25 pièces, d’autres des singles. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise démarche à suivre, tout fonctionne. Il faut suivre ce qu’on a envie de faire. Je ne peux pas être contrainte dans une forme x. En tant qu’artiste, tu dois laisser l’art lui-même te guider. Je n’avais aucun enthousiasme lorsque je pensais à faire un album. Lorsque je pensais à des paires, je voyais les pièces mieux respirer et grandir.
PAN M 360 : Tu parles même de t’éloigner des formes rigides. Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
FOXTROTT : Tu fais l’album, tu le mixes, puis la promo… Ce sont comme des gros cycles et il y a des moments pour ça. Mais je pense qu’il n’y a pas de règles. En ce moment, je sentais que musicalement parlant, ce n’était pas ça qui me tentait. J’avais envie de construire un projet au fil du temps. Là m’est venue l’idée de faire une série. Je travaillais sur des pièces qui me venaient toujours en paires. J’ai eu l’idée de sortir ces deux pièces qui racontent une histoire ensemble, il y a une sorte de résonance. Ce n’est pas la même chose que de se lancer dans une plus grande histoire avec un projet de 14 pièces.
PAN M 360 : Est-ce que tu sais combien tu comptes en sortir?
FOXTROTT : L’avenir nous le dira! (rire)
PAN M 360 : Pour cet enregistrement, les voix sont globalement moins chantées dans le style pop et sont plus traficotées et travaillées qu’à l’habitude. On dirait que tu t’es laissée aller dans tes instruments. Qu’essayais-tu d’expérimenter?
FOXTROTT : Je ne suis pas vraiment quelqu’un qui intellectualise beaucoup ce que je fais. Si mon travail semble différent, c’est parce que je me sens aussi différente. Je ne joue que la musique qui s’exprime à un moment donné à travers moi. Je sens que j’ai maintenant une plus grande liberté dans l’utilisation de ma voix. Dans ce diptyque, il y a différents tons de voix qui se répondent et qui interagissent. Ça s’est fait naturellement, autour des textures notamment. Il y a des voix intérieures et des voix extérieures qui se répondent.
PAN M 360 : Pour toi, le processus de création part de l’intérieur vers l’extérieur et non l’inverse. Qu’est-ce que tu veux dire par là?
FOXTROTT : Avec d’autres amis musiciens, on remarque que beaucoup de gens partent de l’extérieur en voulant ressembler à un style musical ou en essayant de mélanger l’influence de tel artiste avec celle de tel autre artiste. Je n’arrive pas du tout à approcher la musique de cette façon-là. Ce qui m’intéresse c’est de faire corps avec une émotion que j’ai envie d’exprimer. La musique sert à dire des choses qui sont impossibles à exprimer sous forme de mots ou d’images. J’ai une approche instinctive, je veux juste laisser monter ce qui me vient. Par exemple, Looking for your love est une chanson d’amour. Je voulais créer un sentiment de chaleur et d’enveloppement, comme une caresse chaleureuse. C’est ce que j’essayais de capter et de traduire avec cette pièce-là. Quelque chose de naturel qui irradie.
PAN M 360 : Comment les deux morceaux se complètent l’un l’autre, selon toi?
FOXTROTT : Si j’en présentais seulement l’un des deux, ça ne marcherait pas. Les deux ensemble créent un petit monde. Je n’avais pas sorti de musique depuis trois ans et The Motion est comme mon morceau de retour. Je travaillais sur des musiques de film mais pour le projet Foxtrott, je voulais remanier des choses, et me reposer un peu aussi après le rythme soutenu des deux albums (rire). Je voulais attendre que la musique me pousse à avoir envie de partager. Elle m’est revenue en force avec The Motion, c’est une pièce annonciatrice pour moi. Je sens que je reviens d’une façon nouvelle en ouvrant un nouveau chapitre et un nouveau son qui mène à Looking For Your Love. C’est une vraie chanson d’amour, ce que je n’avais encore jamais fait. Je parlais parfois d’amour, mais toujours avec un certain doute ou une certaine insécurité. J’ai lâché prise sur beaucoup de choses, je me sens plus libre. Ces deux pièces-là expriment la liberté authentique de qui je suis, musicalement.
Crédit photo : Hamza Abouelouafaa