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Mis de l’avant par le compositeur et claviériste Mathieu David Gagnon, le projet Flore Laurentienne a été lancé fin 2019, et il a fait beaucoup de chemin dans la nature; depuis sa sortie, cet enregistrement post-minimaliste a largement débordé le cadre de son auditoire de prédilection, celui de la musique contemporaine de tradition classique.
Ayant arrangé les premières chansons de Klô Pelgag, sa sœur de sang, le musicien a pu bénéficier d’un rayonnement côté keb et susciter un intérêt hors du commun pour une proposition de ce type. Ainsi, le public de Flore Laurentienne est davantage constitué de fans de chanson que de musique instrumentale, l’occasion idéale de faire découvrir un tout autre pan de la musique d’aujourd’hui.
Puisque Flore Laurentienne se produit au premier jour du Festival international de jazz de Montréal, l’occasion est belle de parler une première fois à Mathieu David Gagnon, sous la bannière PAN M 360.
PAN M 360 : Le Volume 1 de Flore Laurentienne réunissait une quinzaine d’instrumentistes en t’incluant. Or, sur scène, la formation est réduite : moins de cordes et plus de claviers. Ça change le son?
Mathieu David Gagnon : Pas tant. Oui il y a plus de synthés et les formes sont plus allongées et l’ensemble actuel va un peu plus loin que dans les pièces offertes sur l’album. En partie, les synthés remplacent les cordes mais quand on sait bien écrire pour les cordes et qu’on peut compter sur un treès bon quatuor à cordes, on ne perd pas de matière. C’est assez riche quand même, mon ensemble sonne aussi gros qu’un orchestre de chambre d’une quinzaine de musiciens, comme c’était le cas de l’album.
PAN M 360 : Dans le monde actuel, les nouvelles avenues en musique de chambre incluent de plus en plus d’instruments électriques ou électroniques. T’inscris-tu dans cette tendance?
Mathieu David Gagnon : Oui. Je pense que la musique classique contemporaine s’ouvre tranquillement à cette instrumentation hybride et je travaille dans cette avenue depuis déjà une dizaine d’années. Je suis vraiment heureux que ça puisse favoriser un retour à la musique instrumentale.
PAN M 360 : La musique instrumentale qui fait la transition entre la pop et ladite musique sérieuse, ce n’est pas d’hier que ça existe, non ? Le courant néoclassique en est une nouvelle manifestation mais… rien de neuf sous le soleil?
Mathieu David Gagnon : C’est vrai… mais il y a un trou dans l’histoire récente côté musique instrumentale destinée à un public plus vaste que celui de la musique classique. Depuis quelques années, ça revient. Il faut dire qu’on est rendu à un point où la musique classique a été oubliée par plusieurs… Personnellement, je reste un fan de Bach, Beethoven, Schumann, Brahms… Ces compositeurs imaginaient la musique de leur époque, et chaque époque est une transition.
PAN M 360 : Où doit-on inscrire ta musique? Dans le courant post-minimaliste? Dns le vaste courant néoclassique? Où?
Mathieu David Gagnon : Je dirais que je suis à la limite entre la musique contemporaine et la musique classique. Mais je reste très lié à la musique classique. Plus précisément, l’aspect textural de ma musique est contemporain alors que les structures sont plus proches de la musique classique pré-moderne. Les textures et les ambiances sont actuelles, les grappes de notes peuvent l’être parfois, les mélodies et l’harmonie le sont moins. Le côté atonal de la musique contemporaine est rare dans ma musique parce que j’aime l’harmonie, parce que j’aime Bach et le contrepoint, parce que j’aime la fugue. En fait j’aime la musique contemporaine lorsqu’une idée musicale précise s’en dégage. J’aime quand la musique est dirigée par une idée relativement simple que je peux développer musicalement. Prends les pièces Fleuve 1 et Fleuve 3 (la première et la dernière de l’album), c’est un arpège de ré mineur avec quatre notes de base… et c’est tout! Alors? Je pose un regard contemporain mais je reste très lié à la musique classique, soit dans la direction que prennent mes compositions.
PAN M 360 : Pourquoi cette résistance à la musique contemporaine?
Mathieu David Gagnon : J’ai beaucoup étudié la musique contemporaine, puisque j’étudiais en composition et que c’est incontournable lorsqu’on est en composition. J’ai essayé d’être de mon temps dans la musique contemporaine de tradition classique, j’ai voulu en écrire pour des ensembles mais… rapidement, je me suis rendu compte que ce n’était pas moi. Plutôt que d’aller plus loin dans la composition moderne, j’ai étudié l’harmonie, le contrepoint, la fugue. J’aime néanmoins la musique contemporaine, enfin certains courants… pas tout le temps. Je dois être honnête avec moi-même, la plénitude que m’apportent l’harmonie et la mélodie sont plus importantes que la modernité.
PAN M 360 : Et d’où viendrait cette plénitude ressentie?
Mathieu David Gagnon : Dans la nature, on a l’octave, la quinte, la tierce majeure, la septième mineure… C’est ce qui nous entoure, le monde est ainsi fait. Ces ondes voyagent bien et ce n’est pas pour rien que dans la musique de la Renaissance et du Moyen-Âge, on trouve beaucoup d’octaves, de quintes, etc.. C’est ce qui résonne le mieux et c’est ce qui engendre la plus grande plénitude harmonique. Moi, j’ai besoin de ça. Je n’impose rien à personne, mais je le ressens comme ça.
PAN M 360 : Selon toi, y aurait-il donc une musique immanente, essentiellement issue de la nature?
Mathieu David Gagnon : Présentement, en tout cas, ça me fait du bien. On se rappellera tout de même que Schönberg est revenu à l’harmonie à la fin de sa vie. Stravinsky, Penderecki, Gorecki et autres compositeurs modernes ou contemporains y sont aussi revenus en fin de parcours. En ce qui me concerne, c’est peut-être un passage obligé… Peut-être serai-je rendu ailleurs dans 10 ou 15 ans, je me laisse le droit d’aller où j’ai envie d’aller mais…
PAN M 360 : L’idée du projet Flore Laurentienne viendrait-elle donc de cette propension à exprimer la musique « naturelle »?
Mathieu David Gagnon : Flore Laurentienne vient un peu de ça : que serait la musique sans l’intervention de l’humain? L’idée du projet vient aussi de cette idée du frère Marie-Victorin qui a répertorié la flore laurentienne telle qu’elle était avant l’arrivée des colons européens. J’habite moi-même à Kamouraska, il y a tout pour être inspiré par la nature, par des choses très simples. Ce qui ressort de mon travail, d’ailleurs, c’est aller au plus près de la simplicité.