FIMAV: programme entier pour Simon Martin

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : musique contemporaine

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Le compositeur montréalais Simon Martin déborde lentement et sûrement le cercle des initiés. Ses collaborations avec des ensembles connus du circuit occidental (Zinc & Copper, Musikfabrik, Quatuor Bozzini, etc.), l’attribution en 2016 d’un prix Opus dans la catégorie  compositeur de l’année, ne sont que quelques indices des avancées de Simon Martin vers la notoriété nationale et/ou internationale. 

Ce dimanche, 13h, Église Saint-Christophe d’Arthabaska, le Festival international de musique actuelle de Victoriaville offre aux mélomanes un programme complet, soit une création :  Musique d’art (2022)  (et non 2021, titre d’une autre œuvre ici mise en ligne pour donner un aperçu de l’univers compositionnel) est la première œuvre-concert de Simon Martin entièrement acoustique, exécutée par un ensemble sous sa gouverne. 

D’où cette conversation avec PAN M 360.

PAN M 360 : Pourquoi avoir précisément choisi ce projet au FIMAV?

SIMON MARTIN : J’ai discuté pour la première fois avec Michel Levasseur il y a quelques années, pour une éventuelle collaboration. Il m’avait fait part de son intérêt pour présenter une création, plutôt qu’une reprise. L’occasion se présente finalement le 22 mai 2022, presque dix ans jour pour jour après la première production de ma compagnie Projections libérantes, le 25 mai 2012!

PAN M 360 : Comment l’avez-vous conçu à l’origine?

SIMON MARTIN : D’une façon un peu inhabituelle en ce qui me concerne. En 2017 ou 2018, en travaillant des harmonies pour un autre projet, j’avais observé des propriétés intéressantes pour certains enchaînements d’accords majeurs et mineurs lorsqu’ils sont séparés par des intervalles très précis. J’ai dû laisser de côté cette idée sur le moment, avec l’intention d’y revenir plus tard. Lorsque j’ai débuté le travail pour Musique d’art (2022), j’ai ressorti ce matériel pour m’y attarder. 

J’ai constaté que ça ferait une pièce intéressante, mais une pièce unique, je crois : certains procédés d’écriture peuvent difficilement se développer autrement dans une œuvre future. Par exemple, Musique d’art (2022) débute par deux accords de si mineur superposés, deux accords identiques, mais séparés par un intervalle de 22 centièmes de demi-ton, c’est-à-dire un intervalle quatre ou cinq fois plus petit que le demi-ton conventionnel. 

Reproduire ça avec précision en musique électronique est simple, mais en musique instrumentale, ça demande beaucoup d’attention. Cette prouesse d’interprétation est rendue possible par les harmoniques et les cordes à vides des instruments. Ce type de matière, une fois qu’on l’a exposé une fois, ça devient rapidement difficile d’en faire autre chose. Mais le résultat est saisissant. 

Musique d’art (2022) est une création, c’est 50 minutes de matériel entièrement nouveau! Son univers sonore, qui repose sur les textures harmoniques et la durée, évoque parfois celui de Morton Feldman, sans s’y arrêter. Et MARTIN travaille uniquement l’harmonie par les nombres. À bas la gamme tempérée! 

PAN M 360 : Ce qui est inscrit dans le programme du FIMAV vous décrit bien en ce sens?

SIMON MARTIN : De façon générale, oui. Ma musique repose avant tout sur les textures harmoniques; c’est-à-dire, non seulement l’harmonie elle-même, mais son déploiement dans la durée, le registre, l’intensité, etc., donc la texture. 

Aussi, la durée de l’œuvre, 50 minutes, n’est pas une donnée abstraite, elle fait partie de la dramatique. C’est une dimension particulièrement réussie de Musique d’art (2022), je crois. Pour mes créations précédentes, la durée était davantage le résultat de l’épuisement des possibilités de développement du matériau. Cette fois, l’auditeur se trouvera progressivement absorbé par le son et c’est la finale de l’œuvre nous révélera ce qui s’est réellement passé.

Par contre, je ne dirais jamais moi-même « À bas la gamme tempérée! » : ce système nous a procuré trop de bonnes musiques pour qu’on puisse nier sa valeur. Mais, en boutade, comme le fait le FIMAV, on peut le dire : les auditeurs de ce concert seront à temporairement à l’abri du système d’intonation dominant à l’échelle planétaire! 

PAN M 360 : Comment Morton Feldman vous a-t-il marqué? 

SIMON MARTIN : D’aucune façon particulière… Sur les plans du style et de la forme, nos œuvres sont relativement sobres et de longue durée. Sur le plan du contenu, la musique de Feldman est très articulée, paramétrée; tandis que la mienne se contente, pour l’instant, d’orienter la résonnance naturelle de instruments. Mon approche se veut plus organique, moins abstraite. 

« Ses œuvres-concerts, qui s’intitulent toutes « Musique d’art » suivi de l’année entre parenthèses, sont entièrement composées à l’aide de proportions de nombres entiers. »

PAN M 360 : Pourriez-vous élaborer sur cette notion de « nombres entiers »?

SIMON MARTIN : Prenons le nombre 440. C’est le nombre de vibration par secondes qui sert de diapason, « la 440 Hz ». Si on divise cette fréquence par deux, on obtient 220 Hz. La proportion entre les deux fréquences est de 1 pour 2, ou 1:2. Cette proportion correspond à l’intervalle d’octave. Tous les intervalles peuvent ainsi être décrits par une proportion de fréquences de nombres entiers. 

En ce sens, le nom des notes do, ré, mi, etc., représentent un degré d’abstraction supplémentaire par rapport aux nombres, qui décrivent directement le phénomène sonore. Par exemple, les deux accords de si mineur superposés qui débutent Musique d’art (2022) sont pour moi deux accords de proportions 10:12:15 séparés par le facteur *81/80. 

Toute cette théorie se retrouve dans le livre numérique que j’ai publié récemment, Traité : l’harmonie musicale fondée sur le nombre. C’est le résultat de quatre ans de travail. J’en suis assez fier : les livres disponibles en français sur ce sujet sont rarissimes.

« Ce choix, le même qu’ont fait Harry Partch et une poignée d’autres compositeurs « microtonaux », requiert l’adoption d’une approche radicalement différente de la musique et des interprètes de haut niveau. »

PAN M 360 : De quelle façon abordez-vous la composition microtonale dans le contexte précis de l’œuvre  au programme?

SIMON MARTIN : Dans le système tempéré conventionnel, une seule note sert pour plusieurs fonctions. Par exemple, la même note si peut servir de quinte à l’accord de mi, ou de tierce à l’accord de sol. En harmonie naturelle, différentes fonctions exigent différentes hauteurs entre lesquelles l’écart est parfois si petit qu’on peut parler d’une simple différence d’intonation. 

Pour interpréter ma musique, les musiciens doivent apprendre à ne pas corriger leur intonation en fonction de l’abstraction du système tempéré, comme ils l’ont appris depuis toujours; ils doivent laisser leur oreille les guider vers les proportions de fréquences simples, qui sont tout à fait perceptibles. 

Cependant, l’expression « micro-tonale » s’applique plutôt aux systèmes qui subdivisent le système tempéré, par exemple, si on passe des demi-tons aux quarts de ton. L’harmonie naturelle est différente : certains intervalles sont plus petits qu’à l’habitude, d’autres sont plus grands. J’utilise ces différences d’intonation pour obtenir des textures harmoniques singulières. Musique d’art (2022) est entièrement composée d’accords majeurs et mineurs interprétés en harmonie naturelle, donc il y a un équilibre entre des sonorités familières et d’autres qui le sont beaucoup moins!



« Musique d’art (2022)  est la première œuvre-concert de MARTIN à ne pas faire appel aux électroniques. C’est aussi la première fois que le compositeur met sur pied son propre ensemble pour interpréter sa musique. »

PAN M 360 : L’expérience acoustique vous a-t-elle plu au point de répéter prochainement l’expérience compositionnelle ?

SIMON MARTIN : Si mes œuvres pouvaient toujours être interprétées dans un lieu adéquat, réverbérant, je laisserais volontiers tomber l’électronique. Il y a tant de choses à explorer avec l’électronique, notamment la spatialisation du son… Mais je préfère me concentrer sur l’essentiel, sur ce qui me fascine en premier lieu, l’instrument acoustique et sa résonance. C’est une autre chose qui me rend fier, cette expertise que je développe avec les musiciens, pour l’interprétation instrumentale de l’harmonie naturelle. Il reste encore énormément à découvrir, personne ne sait encore jusqu’où nous pouvons aller en ce domaine. C’est stimulant. 

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