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L’approche de Rami Khalifé se distingue radicalement de celle de son père Marcel, oudiste et chanteur très connu, référence incontournable du monde arabe moderne.
Pianiste contemporain de formation classique, fort d’une éducation musicale de haut niveau, aussi chanteur et producteur, Rami Khalifé ne se comporte assurément pas en fils de, ayant lui-même balisé un parcours transculturel néanmoins fidèle à ses racines arabes.
Chez lui, la virtuosité est au service de la liberté compositionnelle et l’expression d’un moi profond traversé par les voyages et les styles musicaux qui y sont rattachés. Cette fois, le voyage se déroule au Liban, l’artiste invité au Festival du monde arabe de Montréal nous propose un cinéma pour les yeux et les oreilles.
PAN M 360 : Quel est donc ce projet cinématographique présenté au Club Soda ce dimanche?
RAMI KHALIFÉ : Cela représente un des projets les plus personnels de ma carrière. J’y évoque l’histoire de ma vie. Ce qui sera présenté est un film documentaire tourné au Liban avec le réalisateur français François Rousseau. Nous sommes allés au Liban il y a quatre ans, nous avons filmé le tout comme un road movie. Je l’ai emmené aux quatre coins du pays, en immersion totale. Nous avons découvert le pays à nouveau, les paysages, sans jugement. Juste aller là-bas et filmer ce qui se passe sur le terrain. Avec ces images on incorpore ma musique qui scénarise le film
PAN M 360 : Autrement dit, voux jouez en temps réel devant le film projeté devant public?
RAMI KHALIFÉ : Oui c’est ça, je joue seul au piano. Voilà on peut dire que c’est comme un film muet mais je le vois plus comme un vidéoclip d’une heure. C’est aussi assez moderne la façon dont c’est filmé. Avec des images du Liban différentes de ce que les gens ont l’habitude de voir tout le temps.
PAN M 360 : Et qu’avez-vous cherché? Qu’avez-vous trouvé?
RAMI KHALIFÉ : On est allé chercher aussi des gens « alternatifs », un peu dans l’ombre, qui vivent là-bas. Par exemple, nous avons été à la rencontre de la communauté LGBT, que les Libanais eux-mêmes se refusent à voir. C’est ça aussi, on a voulu aussi montrer le Liban de l’ombre, le Liban des oubliés et qui a le mérite de vouloir vivre et transformer ce pays, le moderniser et le mener vers l’avenir. Ça prend du temps pour rencontrer les bonnes personnes, il y en a vraiment beaucoup. Il faut les chercher!
Ce qu’on a cherché à faire, c’est de montrer que le Liban est un pays riche et varié d’une région à l’autre. Qu’on y rencontre des gens à l’opposé, on se demande s’ils vivent dans le même pays. C’est cette diversité et ce chaos qu’on a mis à l’image. Le Liban est une mosaïque de gens qui parlent la même langue mais qui évoluent différemment. Ce pays n’en est pas vraiment un, car il n’y a pas quelque chose qui cimente les gens à part la langue, la bouffe et le cèdre. Il y a un fossé entre les communautés, entre les libéraux et les conservateurs, les religieux et les séculaires. Et c’est ça qu’on a voulu illustrer.
PAN M 360 : Comment cela prend-il forme musicalement?
RAMI KHALIFÉ : Cette diversité se reflète dans ma musique. Parce qu’on voyage aussi dans ma musique. Il n’y a pas un seul fil conducteur, ça va dans des directions différentes. Cette musique est libre, elle ne se conforme pas à une idée, à une tonalité et le Liban c’est un peu comme ça au final. C’est un pays où il y a un peu de tout en fait, ce n’est pas blanc ou noir. Il y a aussi des ententes de façade entre chrétiens et musulmans, ils peuvent s’entendre et même devenir amis. Mais si tu vas au fond des choses, cela peut être différent… Le mariage civil n’est pas autorisé au Liban, par exemple, même si des gens de confessions différentes se marient, ce qui est de plus en plus commun. Le pays est à la traîne sur cette question et il reste beaucoup de musulmans et de chrétiens qui ne s’entendent pas du tout ensemble. Et il y a des athées, des agnostiques, il y a des punks, les travailleurs immigrés, Syriens, Palestiniens, Africains… il y a de tout dans un espace restreint. On y trouve le microcosme du monde, en fait. On a parlé de tout ce monde qui n’est pas toujours respecté.
PAN M 360 : Votre approche serait-elle une nouvelle forme d’orientalisme?
RAMI KHALIFÉ : Oriental serait réducteur si on essayait de décrire ma musique, le piano est un vecteur, un instrument de communication. Je ne me limite pas à utiliser le piano comme on l’utilise d’habitude, je le traite d’une manière différente, j’essaie d’en exploiter toutes les composantes et de le considérer comme un orchestre. C’est pourquoi j’utilise divers traitements dans le piano. La table d’harmonie, l’usage du piano comme instrument à cordes ou instrument de percussion. Le travail avec l’ingénieur du son est aussi important, on utilise notamment beaucoup de réverbération, de délai. On essaie vraiment d’augmenter le piano, le rendre orchestral et lui donner une dimension plus large. Ma personnalité se reflète dans ma musique, c’est-à-dire que je ne veux pas me limiter. Je me considère comme un chef cuisinier ou un scientifique dans un laboratoire, j’essaie de travailler sur une cuisine personnelle en mettant ensemble plusieurs ingrédients, piments, épices, goûts, saveurs. Ma musique reflète ma vision du monde, bien au-delà du Liban, elle reflète aussi mes nombreux voyages, rencontres sur les cinq continents. C’est une musique sans filtre où je me dévoile vraiment, avec une envie de générosité, d’aller vers l’autre, au-delà des frontières. C’est une musique qui voyage partout.
PAN M 360 : Comment votre style a-t-il évolué au fil du temps?
RAMI KHALIFÉ : À mes débuts, mon travail était plus proche des musiques contemporaines occidentales. J’étais très influencé par des compositeurs comme Ligeti, Berio… J’ai aussi beaucoup d’influences en musique électronique, de Laurent Garnier à Boards of Canada, le jazz peut-être un peu moins, aussi les musiques atmosphériques ou méditatives. Il y a aussi une intensité punk, rock ou même métal.
PAN M 360 : Quel est votre rapport à la virtuosité?
RAMI KHALIFÉ : Très bonne question. Ayant fait des études classiques, j’ai vraiment bouffé de la virtuosité. La technique est un élément important, j’ai avalé des gammes, j’en ai fait plein. Mais la virtuosité ou la technique n’est pas quelque chose qui m’obsède, je l’utilise comme un moyen de réaliser ce que j’ai en tête mais je n’ai pas du tout ce désir d’impressionner. De moins en moins, d’ailleurs. Plus j’avance dans la vie, plus j’aime l’idée que « less is more ». Lorsque, par exemple, Franz Liszt était à la fin de sa carrière, ses œuvres étaient devenues plus simples, moins complexes, moins virtuoses et… plus belles. Le plus difficile est de faire les choses simplement, et de toucher les gens avec ces choses simples. C’est peut-être la plus belle technique au final. Car la technique au service de la technique n’a aucun sens pour moi.