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De retour au Festival de Lanaudière pour une première fois depuis 2019, l’illustre violoniste Christian Tetzlaff s’attaque à l’un des sommets de la littérature pour violon seul : l’intégrale des Sonates et Partitas pour violon seul de JS Bach, BWV 1001-1006. Il faut reconnaître que cette prestation offerte par ce fantastique violoniste allemand est en soi un défi physique et intellectuel que peu de solistes de concert acceptent de relever.
Nous avons donc hâte d’assister à ce rendez-vous avec Bach et Christian Tetzlaff dans l’intimité d’une des plus belles églises de Lanaudière, dans le charmant village de Saint-Alphonse-de-Rodriguez, soit ce jeudi 10 juillet, 19h30.
À quelques minutes d’un vol de l’Allemagne vers le Québec, Alain Brunet a pu joindre le célèbre violoniste et discuter de l’interprétation de Bach.
PAN M 360 : Christian Tetzlaff, vous allez vous produire dans une église située dans le très joli village de Saint-Alphonse-de-Rodriguez dans la région de Lanaudière. Vous jouerez ce que vous avez enregistré en 2017 pour Ondine, l’intégrale des sonates et partitas pour violon de JS Bach. Bien sûr, vous avez joué ces pièces de nombreuses fois avant et après cet enregistrement sous étiquette Ondine. Long voyage !
Christian Tetzlaff : Oui. J’ai joué ces pièces pendant plus de 40 ans et je les ai jouées comme un cycle complet pendant 20 ans. C’est la chose la plus belle et la plus gratifiante parce que Bach a une histoire continue dans les six pièces, un voyage dans les ténèbres profondes dans la Partita en chaconne en ré mineur, puis une sorte de sentiment de résurrection dans les pièces en do majeur et en mi majeur, et pour suivre toute cette pensée, c’est comme une gigantesque symphonie de Bruckner qui passe par toutes sortes d’émotions et de sentiments physiques qu’un être humain peut avoir. C’est donc très gratifiant. Oui, mais lorsque vous jouez l’intégralité des Sonates et des Partitas de Bach, comme vous le dites, c’est un long voyage.
PAN M 360 : Il s’agit probablement d’un processus continu en tant qu’interprète de JS Bach, au cours de votre propre vie.
Christian Tetzlaff : Oui, c’est un compagnon fidèle, je dois le dire.
PAN M 360 : Et comment voyez-vous l’évolution de votre jeu à travers ces morceaux ?
Christian Tetzlaff: Eh bien, comme pour la plupart des choses, je pense que plus on vieillit, plus on devient simple et direct si on se laisse aller à l’émotion. Je pense donc que ce que je joue maintenant est plus direct, plus facile à suivre pour le public et plus ouvertement émotionnel, en sachant de quoi parle le compositeur et en essayant de trouver des sons qui le transmettent joliment. Et tout, oui, est naïf et facile, les morceaux dansants sont plus dansants et les morceaux sombres sont plus sombres. C’est mon sentiment sur l’évolution de la musique au fil des décennies.
PAN M 360 : Comment peut-on cerner les éléments de la personnalité du violoniste lorsqu’il joue ces morceaux immortels ? Dans votre cas, identifiez-vous parfois certains éléments de votre personnalité ?
Christian Tetzlaff : J’espère le moins possible. Je crois plutôt que l’idée de l’interprète est de s’immerger dans Bach et sa musique et de la laisser passer à travers lui jusqu’au public. Et plus vous entendez, oh, il fait ceci, il fait cela, et il utilise le vibrato ici et pas là, moins c’est bon. en ce sens, je dois être autant à l’écoute de Bach que le public. C’est mon idéal.
PAN M 360 : Le concept d’interprétation de ces partitas et sonates a également changé au fil des ans.
Christian Tetzlaff : Et certainement pas cette idée que l’on fait quelque chose qui parle ou qui est différent des autres. Aujourd’hui, nous sommes à une époque où nous avons accumulé pendant des décennies des connaissances sur la manière dont les œuvres étaient interprétées, sur ce qu’elles signifiaient à l’époque et sur la façon dont l’ère baroque est perçue. Nous avons intégré tout cela à l’intérieur du système. Vous savez, lorsque j’ai commencé à jouer ces pièces, on ne pouvait pas les écouter correctement parce qu’il n’était question que de violon, d’accords majestueux et de jeu impeccable.
Aujourd’hui, il s’agit de faire de la musique, de danser et de chanter. Il s’agit donc d’un processus magnifique que j’ai vécu au cours de ma propre vie, depuis les années 70. Et il est bon de voir que nous sommes dans la meilleure période, car nous pouvons être libres avec le répertoire, mais sur la base de sa musicalité.
Si vous écoutez les cantates de Bach, vous verrez que pour chaque texte, pour chaque cantate, il utilise des instruments complètement différents, des styles de composition complètement différents, et cette liberté d’expression d’être toujours excessif et d’aller jusqu’à dire quelque chose, c’est quelque chose que nous pouvons transférer aujourd’hui au violon.
PAN M 360 : Depuis l’époque baroque où Bach a composé pour violon seul, comment peut-on voir l’évolution de l’interprétation de ces pièces à travers les périodes, les époques ?
Christian Tetzlaff : C’est assez atroce de voir ce qui a été fait pendant un moment, parce que le violon a été tellement axé sur la superstar et sur la capacité technique et le plus grand son et les données les plus larges, que lorsque vous écoutez les premiers enregistrements que nous avons, ou peut-être pas les premiers jours, il y a quelque chose de bon, mais à partir des années 50, 60 et 70, la musique derrière est méconnaissable pour moi, parce qu’il s’agit de maîtriser des techniques d’archet bizarres, de jouer ces accords, ces quatre accords divisés en deux et et ainsi de suite.
Il avait une telle distance par rapport à ce dont parle cette musique, qui peut aussi être sauvage et peut aussi parfois ne pas être belle, mais profonde et sombre ou joyeuse, que l’idée de maîtriser le violon est complètement à l’opposé de tout cela. Ainsi, lorsque ces pièces ont été interprétées dans les années 50, 60 ou 70, tout ce que j’ai pu entendre est très difficile, parce que tout est si compliqué, et donc essayer de trouver des solutions violonistiques pour quelque chose qui est en fait le contexte, la danse de l’époque.
PAN M 360 : Si je comprends bien, au fil des années et des décennies, les personnes qui maîtrisent ces pièces se sont débarassés des excès techniques pour se rapprocher de l’esprit originel de leur compositeur. C’est ce que vous voulez dire ?
Christian Tetzlaff : Oui, mais originel est un mot difficile à prononcer dans ce contexte, parce qu’on ne sait pas exactement comment Bach faisait jouer ces pièces aux interprètes. Aujourd’hui, on sait beaucoup de choses qui n’existaient pas, et beaucoup pensent que c’est tellement, rétrospectivement, tellement drôle et pas très intelligent de s’en occuper, ce qui rend les choses très difficiles, ces fugues, alors que c’est tellement facile, parce qu’il devait les écrire d’une certaine manière, mais la notation est juste la plus facile, et on joue toujours la ligne mélodique un peu plus longtemps, mais ce que les violonistes ont toujours essayé, c’est de jouer tous les accords complets ou de les briser en deux et deux, ce qui, dans une pièce qui parle toujours de quatre voix indépendantes, la rend inintelligible.
On ne peut pas comprendre la simplicité et la beauté de l’écriture quand le violoniste fait des choses aussi compliquées, et puis avec un vibrato constant, on n’a plus la possibilité de dire : » Je veux mettre en valeur cette note et je mets un beau vibrato dessus « . Il fut un temps où l’on considérait la musique comme mathématique et carrée, alors qu’il n’y a pas de musique plus vivante, plus humaine, plus parlante que celle de Bach. Il permet une telle liberté d’intégrer les pièces et de les rendre faciles à suivre Tout cela n’existait plus lorsque les musiciens ont commencé à s’en emparer au XXe siècle. Nous vivons donc une époque glorieuse à cet égard.
PAN M 36 : Bie sûr, nous ne nous attendons pas à ce qu’il y ait une reconstitution de l’époque de la conception de ces oeuvres.
Christian Tetzlaff : Par exemple je joue sur un violon moderne, donc le son ne correspond pas, mais ce qu’il veut exprimer, ce qu’il veut exprimer, je pense, est informé de la façon dont il était joué et dont ses cantates étaient jouées. Bach n’est pas tout d’un coup un compositeur différent pour le violon solo lorsqu’on le joue avec un instrument moderne. C’est la même musique, la même grande musique expressive, et nous trouvons maintenant des moyens de la faire vivre d’une manière différente.
PAN M 360: Vous arrive-t-il de la jouer sur un instrument baroque ?
Christian Tetzlaff: Je l’ai fait un peu, mais je trouve que ce qui est fascinant avec Bach, c’est qu’on peut entendre une fugue pour piano jouée par un quatuor de saxophones, et cela sonne tout à fait merveilleusement bien s’ils phrasent et comprennent la musique, et c’est très émouvant.
La musique de Bach se situe au-delà de l’instrumentarium, mais cela signifie toujours que vous devez avoir l’information sur la façon dont elle a été jouée afin d’en tirer le meilleur parti.
PAN M 360 : Je suppose que jouer tous ces morceaux dans le même programme doit également être un grand défi sur le plan physique.
Christian Tetzlaff : Oui, c’est vrai. Mais il y a aussi deux aspects à cela. D’habitude, j’entre dans une sorte de transe si je joue un certain temps et que je communique avec le public, et tout à coup, ces douleurs ou ces défis disparaissent d’une manière merveilleuse.
PAN M 360 : Une sorte d’adrénaline de communion, qui éradique la douleur.
Christian Tetzlaff : Oui !