renseignements supplémentaires
À 36 ans et père de deux enfants, Emmanuel Lajoie-Blouin n’a peut-être pas la liberté d’antan, mais il dit se servir de ses responsabilités comme point d’ancrage dans ses projets. « Mon approche n’a pas changé. J’ai juste moins de temps, j’en consacre beaucoup à ma famille. Après, c’est une source de motivation aussi, pour faire quelque chose de mieux organisé. Ça n’a pas changé l’art en tant que tel, mais j’ai peut-être moins de temps pour la recherche et le développement. Il faut que ça soit efficace quand j’arrive au studio », résume-t-il.
Le 26 juin, il lancera 1036, album presque entièrement réalisé un an avant le début du confinement collectif provoqué par la COVID-19. « Pendant la pandémie, j’ai eu le temps. Je pensais partir en tournée avec Alaclair, mais j’ai eu le temps de faire du mixage et des arrangements. C’est le côté positif dans tout ça », relativise-t-il.
Même s’il se régale des séances de brainstorming avec ses collègues d’Alaclair Ensemble, la conception d’un album solo a apporté à Eman quelque chose de différent, comme artiste. « J’avais plus le temps pour me poser des questions, au lieu de faire des trucs plus spontanés. J’ai plus développé la réalisation de l’album, la création de la musique. Le pas de recul est juste différent », analyse le rappeur de Québec.
1036, cet album qui verra le jour le 26 juin, se veut en partie un hommage à ses racines dans l’industrie du rap. « 1036, c’est une adresse civique à Québec. C’est là que tout a commencé, dans nos carrières musicales, à l’époque d’Accrophone. Il y a 20 ans, genre, on s’est bâti un studio là-bas, ça a été un point de rencontre pour plein de rappeurs de la ville de Québec », se remémore-t-il.
Si les douze premiers morceaux de l’album ont été réalisés par Eman, c’est son collègue de toujours, Claude Bégin, qui s’est occupé du mixage, du matriçage, de certains arrangements et de la réalisation du treizième et dernier titre.
« En faisant l’album avec Claude, on était témoins de la fin d’une époque, qui est révolue parce qu’on a plus de responsabilités. C’était pour clore cet épisode. On n’a plus une vie de coloc, mais plus une vie de vieux qui pensent à leur hypothèque », philosophe-t-il avec autodérision. Ce dernier, décrit par Eman comme son « frère de musique », l’a accompagné depuis ses débuts dans le milieu, que ce soit avec Accrophone, Movèzerbe, Alaclair Ensemble ou en tournée avec Karim Ouellet.
Bien que les moments rétrospectifs pleuvent dans 1036, Eman ne voit pas la nostalgie comme ligne directrice sur ce projet, mais bien davantage l’autonomie. « Je suis rendu là dans ma vie, je me fais confiance avec ça, de mixer et d’enregistrer. Je suis très fier de ce projet-là parce que je l’ai pratiquement fait tout seul. C’est une étape de franchie dans ma vie. Produire l’album au complet et faire la pochette, c’est un petit trip de control freak », conclut-il le sourire aux lèvres.
En effet, la pochette est un autoportrait peint par ce dernier, qui compte cependant bientôt le sortir de son studio. « Je n’aime pas trop voir ma face en tout temps », plaisante-t-il.
Au-delà de la conceptualisation de l’album et de la pochette, Eman tenait à produire un son plus organique qu’auparavant, en limitant son utilisation de l’échantillonnage. « Je suis fier de ça : j’ai fait des takes de batterie acoustique, j’ai joué de la basse et de la guitare. C’est quelque chose que j’explore de plus en plus, sortir du contexte rap », résume celui qui dit s’inspirer des scènes de San Francisco et d’Oakland dans ses productions. D’un point de vue local, il avance que certains piliers du rap keb, comme Muzion, Dubmatique ou Sans Pression, ont forgé son identité musicale.
Bien que le résultat final soit conséquence de son dur labeur en solo, Eman invite plusieurs collaborateurs sur 1036, dont Lary Kidd, Obia le Chef et Sarahmée. Malgré qu’il soit très rare de voir des artistes hip-hop québécois inviter des femmes à rapper sur un morceau, il assure que la présence de cette dernière n’a rien de prémédité. « Il n’y a rien de genré, j’adore ce qu’elle fait et ça fait 15 ans qu’on se connaît. L’image, après, je la trouve belle. L’image de la femme noire avec l’homme blanc, il y a quelque chose de fort, un message d’amour. En 2020, on a besoin de cette image-là », soutient-il.
Même si celui-ci lance plusieurs flèches à ses homologues rappeurs et à l’industrie de la musique au Québec sur 1036, il avance qu’il le fait avec une pointe de sarcasme. « C’est plus les engrenages du système économique de la musique, des producteurs véreux qui prennent tout pour eux. Je n’ai pas grand-chose à reprocher aux autres rappeurs, ils me motivent. C’est vraiment plus pour brag, le rap est un sport. En 2020 plus que jamais, il faut collaborer ensemble tout le monde. J’appelle au rassemblement. Le terme est drôle pendant la pandémie, par contre », ironise le rappeur.
En clamant qu’il « commence à manquer d’espace pour ses Félix » sur le morceau Pression, Eman donne à penser qu’il a déjà accompli tout ce qu’il espérait, professionnellement. Au contraire. « J’ai plein d’idées. Maintenant, je suis plus autonome que jamais, par rapport à l’enregistrement et au producing. Mais j’ai encore tout à apprendre. Je suis extrêmement affamé pour faire plus de musique », rectifie-t-il.