Elinor Frey : réapprendre à jouer, pour Vandini!

Entrevue réalisée par Frédéric Cardin

La violoncelliste québécoise Elinor Frey est infatigable : elle creuse et fouille sans arrêt pour découvrir de nouveaux trésors oubliés écrits pour le violoncelle. Sa nouvelle trouvaille? La musique d’Antonio Vandini, un baroque qui ne nous a laissé que quelques pièces, toutes présentes sur un nouvel album qu’elle lui consacre et pour lequel elle a dû apprendre une toute nouvelle technique de jeu.

Genres et styles : baroque / classique occidental

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J’ai profité de la sortie de l’album Antonio Vandini : Complete Works for Cello, sous étiquette Passacaille, pour m’entretenir avec Elinor Frey. La violoncelliste, encensée par les critiques et le public un peu partout dans le monde, est passionnée par ce qu’elle fait, par ses découvertes et par la possibilité de laisser un héritage déterminant pour la pratique de son instrument dans le répertoire baroque.

Écoutez l’album et lisez notre critique de Antonio Vandini : Complete Works for Cello, d’Elinor Frey

Elinor apparaît sur l’écran de mon ordinateur, dans une fenêtre générée par Zoom. Elle me montre son archet, en vérité un archet différent des archets de violoncelle habituels. Celui-ci est arrondi, plus près de ceux que les gambistes utilisent, mais pas tout à fait. Elinor me dit d’emblée que ça lui a pris 2 ans pour apprendre à le manier et l’utiliser pour jouer la musique de Vandini. Pourquoi?

Elinor Frey : C’est, selon toute vraisemblance, le type d’archet utilisé à l’époque par Vandini dans sa musique. Et il n’y a pas que la forme, la particularité c’est surtout qu’on le tient par-dessous le manche, pas par-dessus. Comme les gambistes ou même les contrebassistes. J’ai dû consacrer beaucoup de temps pour arriver à faire preuve de la même assurance qu’avec un archet et une technique modernes!

Pan M 360 : Quel avantage y a-t-il à l’utiliser?

Elinor Frey : Le fait d’utiliser cet archet, et de le jouer de cette façon modifie le type de sonorité et d’articulation que l’on peut exprimer dans la musique. C’est une technique qui s’est perdue avec l’arrivée vers 1730 de l’archet moderne et de la technique de tenue par dessus, devenue dominante dans les années suivantes jusqu’à aujourd’hui. 

Pan M 360 : Quelle motivation t’a amenée à réaliser cette démarche exigeante?

Elinor Frey : Je veux toujours aller plus loin dans ma recherche de l’histoire du violoncelle et se son interprétation. Or, je sais qu’avant 1730, 90% des violoncellistes jouaient en tenant leur archet par dessous (le underhand). Mais avec l’arrivée, puis carrément la monopolisation de la tenue par dessus (le uphand) à la fin du 18e siècle, cette technique s’est perdue. J’ai souhaité retrouver cette façon de jouer, et expérimenter tout ce que cela peut changer dans le son et dans l’expression de la musique. Vandini utilisait cette technique, même si, pour son époque, il faisait un peu figure de rétro car la domination de la nouvelle tenue était assez avancée. Il ne faut pas oublier qu’il est né en 1691, il était donc d’une génération plus jeune que Vivaldi.

Découvrez-en un peu plus sur Elinor grâce à une entrevue audio du podcast Surviving Classical Music :

Pan M 360 : Pourquoi avoir travaillé toute seule? Personne aujourd’hui ne sait comment utiliser cette façon de jouer?

Elinor Frey : Il ne nous reste que des images de musiciens de cette époque. Aucun traité pour expliquer la technique du underhand au violoncelle. Je ne sais pas si quelques rares personnes ont fait ce genre de recherches dans les dernières années, mais moi je ne les connais pas. Oui, j’ai dû apprendre par moi-même, tester ce qui fonctionnait le mieux, car il y a plusieurs façons de tenir l’archet par dessous! On peut l’agripper sur le bout, ou plus loin en touchant au crin, deux doigts à l’intérieur, ou toute la main en dehors, etc.

Pan M 360 : Concrètement, quelle différence musicale y a-t-il entre les deux techniques?

Elinor Frey : La tenue par-dessus permet de créer des sons découpés plus nets et plus rapides. La tenue par dessous, comme la pratiquait Vandini, rend les staccatos un peu plus legato, plus liés. C’est subtil, mais tout de même différent.

Pan M 360 : Comment compares-tu les univers musicaux de Vandini et de Vivaldi (que les gens connaissent mieux)?

Elinor Frey : C’est difficile à dire, mais pour moi, il est clair que Vandini a une écriture plus spécifique pour l’instrument. Vivaldi faisait des concertos pour chaque instrument mais qui pourraient être écrits pour n’importe quel autre. Quand je joue Vandini, je suis plus immergée dans le monde du violoncelle que quand je joue Vivaldi.

Pan M 360 : Quelle satisfaction retires-tu de toutes ces explorations?

Elinor Frey : Je me nourris de l’idée que je puisse apporter de nouvelles idées sur l’histoire de la musique, l’histoire du violoncelle et de sa technique d’interprétation. J’aimerais laisser une marque constructive, faire en sorte que dans quelques années, on puisse dire que des programmes de récitals au violoncelle n’auraient pu être possibles sans l’apport de mes recherches. Ce n’est pas une question de fierté personnelle, mais bien plus de participation active à l’enrichissement du monde musical, et celui du violoncelle ancien en particulier. Ça me ferait très plaisir d’entendre un récital d’étudiant futur qui présenterait une suite de Bach, une sonate de Vivaldi, une pièce de Vandini, puis une autre de Dall’abaco! 

Mais ma satisfaction principale c’est la découverte de Vandini! Je trouve sa musique tellement chantante qu’elle me reste dans la tête plus que celle de tout autre compositeur!

Pan M 360 : Comment as-tu découvert les rares partitions de Vandini (seulement 7 ont survécu au temps!)?

Elinor Frey : En vérité, c’est grâce à mon collègue Marc Vanscheeuwijck, qui joue également sur l’album. Il avait commencé par faire des recherches sur des concertos pour ‘’viola’’ de Tartini. Mais ce viola n’avait rien à voir avec le viola (alto, en anglais) d’aujourd’hui. Il s’agissait d’un violoncelle utilisé dans la région de Padoue-Venise. Il faut savoir qu’à cette époque, chaque ville ou presque avait son violoncelle spécifique! Forme, nombre de cordes, grandeur, etc. Or, en fouillant dans les archives pour mieux comprendre la nature de l’instrument mentionné par Tartini, il a découvert les œuvres de Vandini. Par la suite, il m’a invitée à faire partie du projet pour les ressusciter. 

Pan M 360 : Y a-t-il d’autres compositeurs à découvrir que tu souhaites nous présenter dans l’avenir?

Elinor Frey : Il y en a tellement! Mais je retiens un certain Jean Bauer, un Français qui a vécu au milieu du 18e siècle à Paris. C’est d’ailleurs un projet que je caresse, c’est-à-dire explorer la musique pour violoncelle à Paris au milieu des années 1700. Je trouve que nous manquons d’informations à propos de ça. Jusqu’à maintenant, j’ai creusé dans le terreau fertile de l’Allemagne avec mon album Berlin Sonatas, puis celui de l’Italie avec mes albums consacrés à Fiorè, Dall’abaco et maintenant Vandini, alors dans le futur, je me sens attirée par la France des mêmes années!

Pan M 360 : Que prépares-tu dans le futur plus proche?

Elinor Frey : Je prépare la sortie d’un album de concertos pour Analekta. Des œuvres de Sammartini, de Tartini, de Leo et de Vivaldi. Et puis de nombreux concerts en ligne sont prévus, au cours desquels les gens peuvent texter leurs impressions, et je réponds (quand je ne joue pas bien sûr…)! La pandémie ne m’empêchera pas de garder le contact avec le public!

Foncé Indigo Chic Violon Icônes Concert Programme par Frederic Cardin

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