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Originaire de Colombie, la jeune Ela Minus lance l’album Acts of Rebellion sous étiquette Domino. Composé, interprété en anglais ou en espagnol, arrangé, enregistré et réalisé par elle seule, cette œuvre vivifiante révèle une artiste complète, percussionniste de formation et beatmaker accomplie. Son éducation musicale de haut niveau n’a certes pas nui mais, dans le cas qui nous occupe, l’esprit rebelle et la créativité vibrante de cette femme très douée pulvérisent tout académisme. Depuis quelques mois, des extraits de son nouvel album ont titillé nos oreilles, d’où la conversation qui suit.
PAN M 360 : Puisque peu de gens vous connaissent hors de votre réseau, commençons par le commencement : quel a été votre parcours ?
ELA MINUS : Je suis de Bogota, en Colombie, et je suis installée à Brooklyn. J’ai commencé à jouer de la batterie à l’âge de 9 ans, j’avais alors monté un groupe à l’école primaire. Adolescente, je faisais dans le rock emo et le punk hardcore, puis j’ai voulu étudier la batterie plus en profondeur. J’ai quitté la Colombie à 19 ans, je me suis inscrite au Berklee College of Music à Boston, où j’ai vécu quatre ans. J’ai eu la chance d’y étudier avec la grande batteuse de jazz Terri Lyne Carrington; mon approche de la musique vient en bonne partie de cette formation avec elle.
PAN M 360 : Il y a de plus en plus d’excellentes musiciennes à la batterie mais… on est loin de la parité n’est-ce pas ?
ELA MINUS : Oui, effectivement. On trouve plus de batteuses qu’avant dans le métier mais pas encore assez. Par exemple, nous n’étions que deux femmes à jouer de la batterie dans ma cohorte d’étudiants. Aujourd’hui ? Vous savez, j’écoute beaucoup de jazz et je n’y observe pas grand changement, ce style reste totalement dominé par les hommes. Bien au-delà du jazz, la musique en souffre parce que les femmes jouent différemment. Parce qu’elles sont ce qu’elles sont, cette différence devrait être davantage célébrée dans le monde musical.
PAN M 360 : Vous avez obtenu deux majeures à Berklee, une en batterie jazz et une autre en « musique de synthèse », comment vous êtes-vous intéressée à l’électro ?
ELA MINUS : Avant de débarquer à Berklee, je m’intéressais à la musique électronique, j’étais fascinée par les synthétiseurs. Des groupes comme Radiohead m’avaient déjà incitée à explorer les synthétiseurs et la musique électro. J’ai senti que je devais apprendre autre chose que seulement la batterie, j’ai donc décidé de m’inscrire à cette majeure consacrée aux sons de synthèse. J’ai acheté mes premiers synthétiseurs, de vieux modèles bon marché. J’en ai démonté quelques-uns pour apprendre comment ils étaient faits et comment les réparer. Puis, j’ai commencé à construire mes propres synthétiseurs et à composer avec ces nouveaux instruments. Côté batterie, j’en ai eu assez des groupes et de tous ces jeunes qui voulaient davantage être célèbres qu’être de bons musiciens. C’est devenu très ennuyeux, je voulais juste faire de la musique. Puisque je travaillais seule, j’ai alors commencé à chanter et à jouer ma musique devant public. Depuis, ce projet solo de musique électronique est devenu de plus en plus sérieux.
PAN M 360 : Comment en êtes-vous venue à faire de la scène avec ce projet ?
ELA MINUS : J’ai d’abord enregistré trois chansons pour le plaisir, puis j’ai été invitée en Colombie dans le cadre d’un festival. Franchement, je ne savais pas ce que j’allais y faire ! J’ai alors joué ces trois chansons, puis quelqu’un dans le public m’a demandé d’en jouer une autre. Depuis, je n’ai jamais cessé de créer de nouvelles propositions. Dans mes temps libres, j’ai enregistré un premier EP, et lorsque j’ai senti que j’avais acquis assez de connaissances et d’expérience sur scène, est venu le moment d’enregistrer un album complet. Cela m’a pris 4 mois. J’ai tout fait : la composition, le jeu, le beatmaking, la réalisation. Cet album est le cumul de tout ce que j’ai appris pendant quatre années de concert.
PAN M 360 : Quel est votre équipement de scène et comment vous présentez-vous devant public ?
ELA MINUS : J’ai un MPC 1000 (Akai), une boîte à rythmes, un synthétiseur-basse, un piano de poche que j’ai construit moi-même, un petit synthé modulaire, c’est à peu près tout. C’est avec cet équipement que je fais tout. Je ne joue pas de batterie. Je me suis mise au défi de faire quelque chose de différent de ce que je faisais auparavant. Je prends beaucoup de plaisir à jouer cette musique sur scène. C’est un facteur important qui, je crois rend la musique intéressante. Finalement, j’ai davantage joué en concert qu’enregistré avec ce projet. L’expérience de la scène est toujours captivante. Je m’y sens comme une enfant ! J’avais un peu perdu cet esprit avec la batterie. Il y a des changements d’accords, des boucles de 32 mesures à l’intérieur desquelles je peux faire ce que je veux. Au départ, je laisse des séquences vides pour l’improvisation, je me donne le droit à l’erreur, j’expérimente. J’aborde mes concerts comme si je jouais du jazz.
PAN M 360 : Votre façon de faire n’est-elle quand même pas purement électronique, puisque vous chantez des textes ?
ELA MINUS : J’ai toujours aimé les structures pop dans la musique, les mélodies, les paroles… j’y reviens toujours quand je ne pense pas vraiment à ce que je devrais faire. Mes découvertes de certaines musiques électroniques m’en ont fait aimer l’agressivité et la noirceur. J’aime aussi la répétition. Tous ces éléments permettent d’atteindre la liberté du point de vue du batteur. Quand on consacre toute son énergie à garder le rythme et à maintenir la cohésion d’un groupe et qu’un rythme synthétique permet de faire autre chose, c’est vraiment libérateur.
PAN M 360 : D’accord, mais votre musique n’est pas exactement de la pop, d’autres variables importantes entrent en ligne de compte, quelles sont-elles d’après vous ?
ELA MINUS : Ma musique combine pop, punk hardcore et électro plutôt rude. J’aime la darkwave, j’aime aussi Front 242 et toute cette musique électronique belge ayant émergé durant les années 80 et au début des années 90, ou encore le groupe canadien Skinny Puppy. Mon approche de l’électronique est teintée par le punk et le rock hardcore, c’est de là que je viens. C’est pourquoi je ne veux pas qu’un concert soit statique; j’ai besoin de chanter, bouger, jouer des instruments. Ça se passe entre le public et moi, nous transpirons ensemble, nous ressentons des choses, nous sommes liés par le son.
PAN M 360 : Comment envisagez-vous maintenir l’intérêt tout en évitant le piège de la redite que pourrait vous imposer votre propre public ?
ELA MINUS : Il est toujours à craindre que la personne que vous avez épousée soit amoureuse d’une seule de vos facettes. Pour durer, l’amour doit changer au même rythme que les êtres concernés. Malheureusement, les gens restent souvent les mêmes parce qu’ils ont peur qu’on cesse de les aimer s’ils changent. C’est un peu la même chose entre les artistes et leurs fans; pour que la relation soit enrichissante, les artistes doivent leur faire comprendre qu’ils doivent rester ouverts au changement, à des formes nouvelles, tout en restant proches de ceux et celles qui les créent. J’aime beaucoup cette phrase de l’historien de l’art Ernst Gombrich : « L’art n’existe pas vraiment. Il n’y a que des artistes. » Peu importe la forme que prend votre art, c’est toujours vous qui êtes en cause. C’est à vous que les gens s’identifient, c’est pourquoi vous devez vraiment apprendre à vous connaître et à trouver votre voix. Voilà mon objectif ultime.