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crédit photos: Gabriel Boyer
Après avoir été harnaché, maîtrisé, dompté, Fauve ≠ fut lâché dans la nature. Avant de devenir une bête de foire, la créature s’est éclipsée sauf dans les mémoires francophones.
Magenta apparaît cinq ans plus tard dans le paysage sonore. L’animal se montre farouche, à peine apprivoisé.
Sauf le texte et la voix soliste, Magenta a beau être né de la cuisse de Fauve ≠, la musique qui en émane est fort différente, force est d’observer à l’écoute des 16 titres de l’album Monogramme, lancé tout récemment chez Because Music.
De plus amples explications sont néanmoins nécessaires, d’où cet entretien transatlantique.
Le chanteur de Magenta se présente à l’écran. Le lien Zoom est sans image, une voix seule résonne de l’ordinateur portable. Comme c’était le cas dans Fauve ≠ un groupe parisien ayant fait sa marque au cours de la précédente décennie, notre interlocuteur préfère garder l’anonymat.
Normal. C’est la même personne, fort sympathique d’ailleurs. Or, il suffit de faire un petit tour sur le web pour savoir son nom, révélé carrément sur le profil Wikipédia de Fauve ≠ … Mais n’insistons pas.
PAN M 360 : Commençons par Fauve ≠ et Magenta : quel est le rapport ?
MAGENTA : Le lien exact est simple, ce sont sensiblement les mêmes personnes dans Magenta qui se trouvaient dans Fauve ≠. C’est le même groupe d’amis depuis bien avant Fauve ≠. On a fait des projets, puis on a fait Fauve ≠ , ce n’était pas prémédité. On ne savait pas que ça se passerait comme ça, que le groupe aurait ce succès. À un moment donné, on a décidé de se poser, mettre le lien intime au premier plan.
PAN M 360 : Vous êtes des amis de longue date qui êtes devenus artistes et vous êtes progressivement professionnalisés. Jusqu’à quel point ?
MAGENTA : Sans se concerter on a tous senti qu’avec Fauve ≠ on avait besoin de souffler un peu, retourner dans les bois. Chemin faisant à la fin de Fauve ≠ , on avait commencé à s’intéresser à la musique électronique. C’est devenu une passion, ça s’est fait naturellement.
On a exploré cette musique qu’on connaissait très mal, mais qui nous a tout de suite fascinés. On s’est jetés là-dedans avec plutôt de la curiosité et de la passion que du stress et du calcul. Cette super découverte s’est transformée en projet.
PAN M 360 : Permettons-nous d’insister : Fauve ≠ n’était pas en panne lorsque vous y avez mis un terme. Pourquoi mettre un terme à une belle aventure, quand tout va bien?
MAGENTA : L’idée était d’arrêter Fauve ≠ , ce n’était pas une pause. On avait besoin de se reposer, on savait au fond de nous qu’on n’avait pas envie de rouvrir la porte. On ne voulait pas prendre le risque de faire un disque en trop, une tournée en trop. Ça n’avait pas duré si longtemps mais c’était tellement dingue par rapport à nos vies d’avant. On s’est dit qu’il fallait laisser Fauve ≠, on a fermé cette porte. Très vite on s’est dit qu’on n’y retoucherait pas.
PAN M 360 : La fin du groupe précédent résulte-t-elle aussi de conflits interpersonnels?
MAGENTA : On a arrêté Fauve ≠ mais on ne s’est pas séparés. Nous sommes toujours ensemble. Sauf une personne qui a changé de vie, c’est le même noyau autour duquel il y a les mêmes copains et les mêmes collègues dans les parages. L’idée était de faire autre chose de zéro, faire peau neuve. Il faut regarder ça avant tout à travers le prisme intime et humain. Notre relation est familiale, fraternelle, presque clanique. Cet écosystème humain, c’est la priorité dans nos vies. Pour nous, ce parcours est logique mais on ne le voit pas à travers le prisme de l’industrie de la musique ou des médias. C’est justement parce que ça se passait super bien qu’on avait envie de partir ailleurs. C’est comme une relation amoureuse: il faut faire des projets nouveaux pour la relancer et maintenir l’énergie. Il faut que le couple continue à vivre des aventures. Du coup, c’est nous qui avons choisi de changer, de fermer cette parenthèse. Ça s’est fait de façon très joyeuse et c’est pourquoi on a évité l’écueil de la séparation.
PAN M 360 : La musique électronique est prédominante dans Magenta, ce qui est quand même très différent de Fauve ≠ . Comment est-ce venu?
MAGENTA : Au moment où on a pris la décision d’arrêter Fauve ≠, on a commencé à faire de la musique électronique. Il s’est passé six mois… On a commencé à acheter des machines, lire des modes d’emploi, consulter des tutoriels, creuser cette musique. Lorsque le dernier concert de Fauve ≠ fut donné, on a enchaîné directement. Le surlendemain, on était dans un local et on branchait des câbles..
PAN M 360 : Quels étaient les fondements musicaux de Fauve et quelles sont ceux de Magenta?
MAGENTA : Fauve est né d’une redécouverte du hip hop des années 90, des instrus un peu boompap comme NAS, Wu Tang Clan ou A Tribe Called Quest. On aimait beaucoup cette esthétique-là. On s’est mis à parler sur des instrus inspirées de ça – mais il y avait quand même pas mal de guitares, de claviers, etc. Je schématise grossièrement, mais ça c’était la digestion de cette redécouverte. Ensuite Magenta est né de la redécouverte de la french touch qu’on écoutait ados ou préados, quand c’était l’apogée de cette scène. C’était impossible de passer à côté mais on s’identifiait alors davantage au rap et au rock. Quand on a redécouvert cette musique à la fin de Fauve ≠ , c’était un peu une madeleine de Proust ; on s’est dit comment avait-on pu passer à côté de cette musique qui nous faisait tellement du bien ?
On s’est plongés là-dedans, on a essayé d’apprendre et de faire pareil comme tous ces artistes des années 1990-2000, tous ces Daft Punk, Étienne de Crécy, aussi pas mal de trucs anglais, Aphex Twin, Boards of Canada, etc. Les bases musicales de Magenta sont liées à cette redécouverte de la musique française. Il y a aussi de la house, on en a mis sans que ça fasse trop patchwork, il fallait que ce soit harmonieux.
PAN M 360 : Les évocations de french touch sont-elles si directes?
MAGENTA : Faut pas que ce soit de la simple réappropriation culturelle. On était un peu seuls dans cette quête, et c’est pourquoi on a passé beaucoup de temps à faire et défaire. On ne voulait pas arriver avec des kicks générés par un logiciel pourri… comme le font plein de gens. On ne dit pas qu’il faut utiliser que des synthés analogiques et des samplers, nous faisons beaucoup de musique à l’ordinateur. Quand c’est mal utilisé, ça ne dure pas dans le temps, il faut que les textures soient bien travaillées. Prenez Homework ou Discovery (de Daft Punk), ces albums ont plus de vingt ans maintenant et n’ont absolument pas vieilli. On a ce souci de ne pas faire qu’un tube de l’été, mais bien de faire de la musique électronique dans le strict respect des règles qui ont été établies avant nous.
PAN M 360 : Comptez-vous adapter Magenta à l’électronique d’aujourd’hui, au-delà d’un certain classicisme french touch?
MAGENTA : Cette musique nous intimide encore énormément, on a un milliard de choses à découvrir… ce qui explique le temps passé avant de sortir ce premier album. C’est aussi ce qui nous rend cette musique aussi fascinante, infinie. C’est pour nous très important de ne jamais avoir le sentiment d’être arrivé quelque part. Alex Gopher a masterisé nos chansons. Puisqu’il a fait cette musique avant nous, il nous a bien aiguillés. Lorsqu’il nous disait que ça sonnait french 98, on était bons !
On commence à être un peu à l’aise, mais on fait les choses en tout respect aux prédécesseurs. On voulait être à la hauteur. Aujourd’hui on a l’impression d’avoir posé les bases de quelque chose de plus solide, en tout cas on espère avoir fait quelque chose qui n’est pas jetable après usage. Aujourd’hui, l’électro est tellement vaste, c’est dingue ! Avant d’y arriver, on préfère résumer et prendre les choses petit à petit. Nous sommes très heureux d’avoir investi ce style de musique car ça a donné énormément d’oxygène à notre démarche artistique.
PAN M 360 : La french touch est effectivement très présente dans le son Magenta, mais qu’en est-il de la chanson française?
MAGENTA : Au bout d’un moment, on a senti le besoin d’ajouter un peu de texte. Pas beaucoup mais un tout petit peu pour apporter un petit supplément d’âme qu’on aime bien entendre dans la musique en général. Ainsi, une voix et un champ lexical particulier nous permettent de créer un lien, cette colle permet de fédérer des styles différents. Au début, vous savez, il n’y avait pas de voix ou presque pas. On voulait vraiment essayer autre chose au départ, et c’est revenu. Au fond, on fait la musique qu’on avait envie d’entendre, ce mélange de musiques électroniques un peu old school et de textes français auxquels on a toujours été attachés.
On voulait marier ces deux dimensions car on s’est rendus compte que la musique électronique était souvent délaissée par les auteurs de chansons. En France, en tout cas, ces deux mondes ont toujours été cloisonnés, sauf exceptions – Paradis, Flavien Berger… Essaie Pas et Marie Davidson chez vous… Et c’est pourquoi on a essayé de voir si c’était compatible. Nous aimons les textes travaillés, qui nous donnent du mal, qui portent du sens, qui ont un côté cathartique. Et qui peuvent être aménagés avec des boucles rythmiques, de la répétition.
PAN M 360 : Plus précisément, comment le texte se pose-t-il sur la musique dans Magenta?
MAGENTA : Le texte, ça sort par besoin. Après il y a tout un travail de dissection, de sculpture de la matière.
PAN M 360: Des exemples?
MAGENTA: On est assez attachés au morceau Avant, parce qu’on aime bien qu’on se soit forcés et d’être allés à l’épure avec des paroles qui sont presque crachées par une machine – mais c’est moi qui les chante. Ce morceau évoque un sentiment très vécu, très ressenti, même si ça ne s’entend pas forcément: c’est la gentille gueule de bois d’un matin un peu ensoleillé, ce n’est pas trop dark. Ça paraît anecdotique comme ça…mais au niveau du geste formel, ça a de l’importance pour nous.
On aime bien Fatigué au niveau formel, plastique: toujours le même début de phrase, juste la fin change. C’est répétitif et il y a une petite variation. Le texte de cette chanson nous tient à cœur car on y évoque ce sentiment d’abattement qu’on a vécu ces dernières années et pas qu’entre nous; l’état du monde et la vague d’attentats en France nous ont un peu traumatisés. À notre manière, on avait besoin que ça sorte, même si on n’avait pas abordé de choses publiques jusqu’alors.
Les paroles de Monogramme, le dernier morceau de l’album, ont été les plus émouvantes à écrire. Le texte parle de notre lien fraternel, on y réaffirme un serment qu’on s’est fait les uns aux autres dan les moments difficiles au cours de ces 5 années de labeur et de doute. C’est important de se redire qu’on tient les uns aux autres. C’est un pacte informel. Si c’est dit joliment, ça fait du bien quoi !
PAN M 360 : Et Magenta? Que justifie ce choix de couleur?
MAGENTA : Dans ce cas, Magenta est le nom d’un boulevard du 10e arrondissement. On a commencé le projet dans une chambre sur ce boulevard saturé, considéré comme l’un des pires de Paris, qui traverse un quartier de gares un peu étrange. C’est assez dégueu on se rend compte de la violence parisienne. En même temps, Magenta se trouve dans un quartier vibrant qu’on connaît bien. Ce boulevard véhiculait tout un contraste, une vibration entre la violence et la vitalité, une dynamique qu’on voulait atteindre avec la musique. Et quand il a fallu trouver un nom, on avait ce mot-là sous les yeux, qui véhiculait quand même ce qu’on essayait de faire. Magenta, c’est un peu un mantra qui nous pousse à aller dans un certain sens.