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Appel mystique de la forêt, communication entre entités issues d’univers parallèles, ennemis ensorcelés… Qui ne voudrait pas être une sorcière, au fait ? Pour quiconque en est habité, ce fantasme n’est pas que romantique ou fantaisiste, il témoigne aussi de la solitude, du sentiment de rejet et d’incompréhension, de l’exclusion du monde des mortels.
Das Mörtal, parolier, interprète et compositeur électro d’allégeances synthwave et coldwave, a bien connu ces états d’âme alors qu’il était plus jeune. Et c’est à travers son deuxième album à ce jour, Miami Beach Witches, et à travers le prisme de la sorcellerie fantasmée qu’il exorcise ces sentiments vécus au cours de ces années ingrates.
Alors que l’artiste cumule les millions de vues et d’écoutes sur les plateformes, nous n’entendons pas beaucoup parler de ses projets dans les canaux médiatiques connus, pas plus que ses congénères œuvrant dans ce courant musical. Pourtant, l’artiste est en grande demande sur le circuit international de la musique, ce qui n’exclut pas les incursions dans les mondes du cinéma et du jeu vidéo.
Pourquoi Das Mörtal est-il alors si confidentiel dans le pays où il vit ? PAN M 360 en discute avec le principal intéressé, le jour d’un premier spectacle immersif présenté à la SAT: The Ritual Forest… Rituel forestier !
PAN M 360 : Tu es d’origine chilienne, tu as grandi à Montréal. Tu as également vécu à Berlin pour t’immerger dans le monde de la musique électronique. Comment y as-tu été initié ?
Das Mörtal : Je crois avoir toujours aimé la musique électronique et ce, depuis que je suis tout petit. Les premiers bands électros dont écoutés pour la première fois, j’avais sept ans je crois, ce sont Depeche Mode et New Order. À l’école primaire, j’écoutais des cassettes des Chemicals Brothers, Prodigy… À l’époque, CISM, la radio de l’Université de Montréal, n’avait pas vraiment d’émissions prévues tard le soir. Après minuit, elle ne faisait que jouer des disques en boucle toute la nuit et , très souvent, c’étaient des albums de musique électronique. Je te dirais donc que c’est vraiment là que remontent mes premiers intérêts pour ce monde musical.
PAN M 360 : En 2014, tu as réalisé et produit la musique du film Naissance d’un zombie et plus récemment en 2020, tu as également composé la trame sonore du combat final dans Rage of Street 4. Tout cela t’a sans contredit aidé à te faire connaître non seulement dans le monde de la musique, mais aussi dans le monde audiovisuel, autant le cinéma que les jeux vidéo. D’ailleurs tu as déjà en interview t’être beaucoup inspiré du long-métrage The Craft pour la création de Miami Beach Witches.
Das Mörtal: L’album s’inspire fortement de ce film, mais je l’ai agrémenté à ma façon, si tu préfères. The Craft est sorti en salle dans les années 90, alors j’ai choisi de créer des morceaux issus du courant électronique de ces années-là, plutôt que de travailler avec les sonorités des années 80.
PAN M 360: Vu le côté narratif de tes créations, quelle histoire est-elle racontée dans cet album et quel est le lien avec la tienne ?
Das Mörtal : The Craft, c’est l’histoire d’adolescentes qui découvrent leur identité par la sorcellerie. Mon expérience au secondaire a été… plutôt difficile ? Je ne fittais pas avec les autres… je ne fittais pas avec bien des choses lorsque j’étais adolescent. Je me suis fait des ami.e.s ayant les mêmes intérêts que moi, mais ce n’étaient pas des intérêts populaires. Personne n’écoutait autant de musique électronique, personne n’aimait autant les vieux films d’horreur que moi, donc mes ami.e.s aimaient eux-aussi les choses de la contre-culture, si tu veux ? C’est un peu ça, pour moi, le film The Craft et de l’album : ces jeunes adolescentes qui n’arrivent pas à s’intégrer au monde normal, à souscrire aux intérêts mainstream, pour finalement se retrouver dans la culture de la sorcellerie.
PAN M 360 : Quand tu parles de sorcellerie, à quels éléments fais-tu allusion ?
Das Mörtal : Personnellement, je trouve que la sorcellerie a quelque chose de plus féminin que masculin, en quelque sorte. Je préfère parler de sorcières que de mages, de warlocks comme on dit en anglais. La musique, la vibe de l’album est, à mon sens, plus féminine parce que le son n’est pas agressif comme je faisais davantage avant. Après, la mythologie de H.P. Lovecraft m’a beaucoup inspiré, un auteur plus versé sur l’horreur et la science-fiction que la sorcellerie mais qui, je trouve, mélange bien les deux. En Amérique du Nord, la sorcellerie est beaucoup plus associée au culte de Satan, au côté maléfique des choses, moi je ne voulais pas parler de ça. Je voulais davantage dans un monde de créatures inventées par Lovecraft. Les sorcières de mes albums ne vénèrent pas Lucifer mais plutôt des entités cosmiques.
PAN M 360 : Tu comptes plus de 15 millions de streams sur les applications musicales, tu fais partie du top 50 des artistes synthwave les plus influents dans le monde présentement. Au Québec, ta couverture médiatique est toutefois mince, tu es davantage considéré comme un artiste underground ! Selon toi, pourquoi la réception de ton travail est-elle si différente au Québec que partout dans le monde ?
Das Mörtal : Je dois avouer ne pas savoir. Peut-être que les sensibilités sont différentes ? Ici, la musique est plus associée au côté pop, ce qui n’est pas mal du tout en passant ! Alors que pour plusieurs autres communautés, la musique électronique est davantage associée à une approche indépendante. Mais l’important, c’est que même si la couverture médiatique est timide, l’important est qu’on en parle comme nous le faisons présentement. Quand j’ai commencé à être plus connu, on ne parlait aucunement de nous – quand je dis nous, je parle de tous les autres artistes, car je ne suis pas le seul !
PAN M 360 : Sur l’album, il n’y a que trois morceaux avec paroles, le reste est instrumental. Les paroles agissent presque comme des incantations ; elles se répètent et s’imbriquent les unes aux autres, pour devenir au final un seul et même appel. Tu dis « Today I never woke up / And that’s okay ». Que voulais-tu dire à travers ces messages cryptés?
Das Mörtal : Pour ces paroles-là en particulier, je prends mon adolescence personnelle comme image. Cela revient encore à mon histoire des sorcières incomprises ; quand tu ne fais pas partie des cliques populaires, tu es un peu invisible aux yeux des autres. Cela vient vraiment de mes pensées de ‘’Si je ne vais pas à l’école aujourd’hui, personne ne va s’en apercevoir’’. Il y a ça, et ensuite je voulais parler du contraste entre l’ombre et la lumière: je ne me sens pas bien exposé mais je me sens bien dans la noirceur. Pour ce qui est de la répétition, je voulais créer l’effet de ‘’Nous sommes présentement dans un rituel. Écoutez bien‘’. Je veux donner la parole aux adolescents incompris.
PAN M 360 : Dû à la Covid, ton lancement a été repoussé à plusieurs reprises – sous étiquette Lisbon Lux Records, l’album est sorti en octobre 2020. Finalement, tu présentes Miami Beach Witches pour la première fois à Montréal, soit le 8 juillet à la SAT. Vous avez fait la promotion de l’événement comme un spectacle immersif intitulé The Ritual Forest. Peux-tu m’expliquer le concept de cette soirée et pourquoi cette mise en scène a-t-elle été mariée à ton projet ?
Das Mörtal : C’est un peu complexe. En fait, c’est la Covid qui a forcé l’esthétique de ce spectacle, vu les mesures sanitaires. Et je crois que c’est une bonne chose ; cela nous a poussés à trouver un moyen de rendre le lancement intéressant et unique. Je ne veux pas trop vendre la mèche, mais pour rendre l’événement crédible, nous avons pensé à des images rappelant la sorcellerie, aux rituels dans la nature, dans les bois. Or, puisque nous ne pouvons pas amener la forêt dans la salle, nous avons transformé la salle en forêt virtuelle. Nous avons fait des jeux d’éclairage créant ainsi une forêt futuriste dans laquelle je jouerai la matière intégrale de l’album. Par ce rituel, je compte exorciser toutes les émotions négatives de mon adolescence. Mon teenage angst s’exprimera à travers ma musique et le décor immersif. On veut rendre ça transcendant et magique.