Corridor : de l’héritage analogique à l’exploration électronique

Entrevue réalisée par Louise Jaunet

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Dans notre petit coin de la scène alternative montréalaise, l’annonce de la signature du groupe Corridor sur le prestigieux label américain Sub Pop en 2019 a été accueillie avec une satisfaction teintée de fierté. En devenant le premier groupe francophone à rejoindre les rangs de ce label emblématique basé à Seattle, cette reconnaissance a pleinement affirmé la légitimité de la musique indépendante francophone sur la scène internationale.

L’album Junior, qui a suivi cette annonce, a émergé d’un processus de création intense, rythmé par une course folle en studio où tout s’enchaînait comme des dominos. C’est bien souvent en perdant pied qu’on apprend à les laisser au sol. Ainsi, Jonathan Robert (guitare, voix), Dominic Berthiaume (basse, voix), Julien Bakvis (batterie) et Samuel Gougoux (multi-instrumentiste) ont opté pour un changement de cap, faisant preuve de patience et rompant avec l’intensité de travail qui avait marqué leur précédent opus.

Au fil des années qui ont suivi, les quatre musiciens ont méticuleusement affiné leurs compositions, les façonnant comme des collages sur Ableton, tout en explorant de nouvelles idées à distance, avec l’aide de leur coproducteur Joojoo Ashworth. L’expertise de Samuel Gougoux dans le domaine électronique a ajouté une nouvelle dimension à l’album Mimi, tout en préservant l’essence post-punk avec ses guitares dynamiques, ses synthétiseurs planants et l’identité analogique en qualité réduite.

Le résultat de cette période de réflexion est un témoignage sincère des réalités de la vie d’artiste, exposant les défis de subsister dans l’industrie musicale et les difficultés de l’autopromotion à l’ère numérique. C’est également une méditation authentique sur les moments de solitude face à la vision dénudée de sa propre vie d’adulte.

Avant sa tournée en Europe, le groupe a gentiment accordé une interview à PAN M 360.

PAN M 360 : Votre album Junior a été composé en quelque semaines, dans une sorte d’urgence, tandis qu’avec Mimi, vous avez pu prendre votre temps. L’album a été créé sous forme de collages d’idées, comment ce processus a-t-il pris forme ?

Jonathan Robert : En quelque sorte, l’album a été fait en réaction avec ce qu’on a pu faire dans le passé. Au lieu de persévérer dans une direction, on voulait aller plus loin dans l’élaboration des chansons. On a enregistré une sorte de banque d’idées qu’on assemblait ensuite sur Ableton, un peu comme un artiste électronique aurait fait. Pour la plupart des chansons, il s’agit de collages. Par exemple, la chanson Mourir Demain  est construite avec quatre éléments qui proviennent de périodes différentes, sur trois années. 

Dominic Berthiaume : Sans vouloir mettre de date exacte, l’introduction date de 2017, le milieu de 2022, la fin de 2020. Les voix avaient été refaites en 2023 (rire). Certains morceaux ont néanmoins été structurés en une seule fois. Mais en étant derrière l’ordinateur, on a constaté que ce processus marchait mieux. L’album a commencé pendant la pandémie, alors nous ne pouvions même pas avoir accès à notre local de répétition. Il fallait trouver un moyen alternatif pour pouvoir faire de la musique ensemble. Faire de l’assemblage derrière Ableton en était un. Par la force des choses, on s’est mis à faire ça de jour, avec une tasse de café, au lieu de se retrouver tous les mardis soirs comme on en avait l’habitude. 

Jonathan Robert : On l’a vraiment abordé comme un travail de jour. Les jams de soir avec les jobs de jour n’apportaient plus la même énergie qu’avant.

PAN M 360 : En parlant de job, la chanson Mon Argent souligne la difficulté pour les artistes de gagner leur vie dans l’industrie de la musique. On peut facilement avoir ce fantasme que des musiciens comme vous, signés sur des labels tels que Sub Pop, arrivent à vivre de leur musique. Comment faites vous pour gagner un salaire en tant que musiciens ?

Jonathan Robert : On arrive à en vivre sporadiquement, lorsqu’il y a des tournées par exemple. Mais il faut que la roue tourne, c’est assez demandant de constamment tourner et produire. Les deux doivent alterner, comme un cycle. Il n’y a plus les revenus qu’il y avait auparavant, il faut donc les trouver ailleurs. On ne vous annonce rien, on n’est pas Drake, mettons. Durant une période creuse avec le groupe, je mets mon énergie dans mon projet solo Jonathan Personne. Je prends aussi des contrats d’illustration de graphisme ou de direction de vidéo clip. 

Julien a son propre travail de sérigraphe avec sa compagnie. Durant la conception de cet album, on faisait tous quelque chose à l’extérieur. On devient plus vieux, on arrive à un moment plus conflictuel où l’on se demande si on veut faire de la musique ou autre chose. Pour la plupart d’entre nous, on arrive à faire des choses en lien avec la musique, autant pour Samuel, Dominic et moi-même.

Samuel Gougoux : En dehors de Corridor, je joue pour d’autres projets, pour des courts-métrages notamment . J’ai aussi fait de la musique à l’image pour une web série l’été dernier. Ce que je fais à toujours un pied dans la musique. Ce travail là est facile à agencer avec les horaires de tournée. On est tous des travailleurs autonomes, ce qui donne de la flexibilité à nos horaires.

Dominic Berthiaume : Ça dépend toujours de la réalité économique. Pour l’album Mimi, nous n’avons pas eu d’aide ou de subventions, nous l’avons tous payé de notre poche. Il y a aussi une différence entre jouer en tant qu’artiste solo et jouer avec un groupe. En groupe, les revenus sont divisés, ce qui fait une grosse différence. Un groupe doit marcher vraiment fort pour que les membres puissent vivre uniquement de ce travail. Il faut être hyperactif, si tu n’es pas en tournée, alors tu dois être en train d’écrire ton prochain album. Dès que ta musique arrête de tourner en radio, tu ne fais plus vraiment d’argent finalement.

PAN M 360 : Même si le nouvel album Mimi contient des éléments plus électroniques, vous restez un groupe qu’on peut facilement associer au genre post-punk. Sans vouloir vous coller d’étiquette, qu’est ce que ce genre-là représente pour vous ?

Jonathan Robert : Pas grand-chose … On ne s’est jamais vraiment dit qu’on allait faire du post-punk. Nos influences sont quand même assez diverses. Je crois que c’était aussi à cause du local qu’on avait avant. Lorsqu’on pratiquait au Cité 2000, on était entouré de groupes de métal alors c’était comme une guerre pour le volume. Il fallait vraiment jouer fort, c’est un peu ce qui a fait en sorte que le groupe a commencé à jouer assez fort. Dom et moi avons joué dans des groupes punk quand on était plus jeune. Tous ces réflexes se sont incrustés dans le groupe d’une manière ou d’une autre.

Dominic Berthiaume : On a toujours été un mélange de toutes nos influences si on peut dire. Si je pense aux voix ou aux mélodies vocales, ça n’a jamais eu rapport avec le post-punk. On n’a jamais été intéressé de faire des mélodies parlées ou criées. On s’est toujours inspiré des voix comme celles des Beach Boys, assez sixties et psychédéliques. Mais le ton des guitares n’est jamais très loin du post-punk.

PAN M 360 : Jonathan, c’est toi qui écris les paroles des chansons pour le groupe. Généralement, elles restent assez abstraites et demandent du temps avant de dévoiler un certain sens dans l’imaginaire de celui qui les écoute. Les mélodies sont très intuitives et satisfaisantes à chanter. Comment écris-tu tes paroles ?

Jonathan Robert : En vérité, je les écris un peu par défaut, un peu comme Dom et moi on chante par défaut (rire). C’était comme une patate chaude qu’on se lançait, mais j’ai finalement pris mon aise, j’ai trouvé mon style au fil du temps. Je ne suis pas capable d’écrire de façon précise ce que j’ai en tête. A la base, le côté vocal m’apparaît comme une mélodie. Je choisis les mots qui vont le mieux s’incruster dans la phrase mélodique. Ce ne sont pas les mots ou les phrases qui vont dicter l’air de la chanson.

Dominic Berthiaume : Le mot chien revient souvent dans l’écriture à Jo. Le “Ah non” aussi. 

Jonathan Robert : C’est vrai, ils sont sur les trois autres albums. Le “Ah non” sert un peu de contraire au “yeah” (rire).

PAN M 360 : La vidéo de Mon Argent a été réalisée par toi Jonathan. On peut y voir une drôle de petite statuette de chat. Peux-tu nous parler de cette vidéo ?

Jonathan Robert : La vidéo a été réalisée de peine et de misère (rire). Je suis alléchercher des bibelots chez Dominic, une vieille télé. Le fil qui reliait mon ordinateur à la télé s’est cassé le jour du tournage, j’ai dû improviser quelque chose en une journée. 

Dominic Berthiaume : Les statuettes de chats sont à moi, j’en ai une belle collection dans mon appartement.

Crédit photo : Delphine Snyers

PAN M 360 : La vidéo de Mourir Demain a quant à elle été produite par Paul Jacobs. La chanson parle de la mort, sans pour autant évoquer quelque chose de lugubre. Que signifie cette chanson pour vous ?

Jonathan Robert : Elle parle de considérer sa mort soudainement, par la force des choses. Je l’ai écrite lorsque je devais remplir mon testament pour des assurances vies. Je me suis rendu compte que j’étais arrivé à un âge où je devais penser à ces choses-là. Ça me faisait rire, même si ce n’est pas drôle. Lorsque les chansons me font rire, c’est généralement un bon signe.

PAN M 360 : La chanson Caméra parle de l’auto-promotion dans notre ère digitale. Est-ce une sorte de critique envers les réseaux sociaux ?

Jonathan Robert : Ca parle de cet espèce de conflit, d’avoir cette pression d’être sur les réseaux sociaux. On sait que ça fonctionne de cette façon là, mais c’est parfois difficile de mettre une limite parce que ça reste malsain. J’haïs ca l’autopromotion de merde (rire). J’haïs ça mais on en fait. Ce n’est pas tout le monde qui a du charisme ou qui s’exprime bien. Moins je montre ma vie privée, plus je suis heureux. C’est correct d’être introverti, non ?

Samuel Gougoux : C’est un passage obligé. On veut juste faire de la musique, mais ça vient avec. Des personnes talentueuses n’ont pas toujours cette fibre là d’autopromotion, elles en souffrent peut-être même plus qu’avant.

Dominic Berthiaume : La réalité était vraiment différente il y a à peine dix ans. Maintenant, c’est implicite que ça fait partie de ton travail. Tu n’as pas le choix d’être bon ou débrouillard par rapport aux réseaux sociaux. Aujourd’hui, c’est rendu une grosse partie du travail finalement. Tu es obligé d’être dans l’auto promotion, ce n’est pas quelqu’un d’autre qui peut le faire pour toi. Tu veux que ça vienne de toi.

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