Braids, une décennie plus tard

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Vient un temps où un groupe enclin à l’art-rock ou l’avant-pop met l’accent sur la concision du propos, sur l’impact immédiat d’une mélodie, sur d’efficaces constructions harmoniques, bref sur les qualités fondamentales d’une chanson au-delà de ses orientations stylistiques et de l’environnement atypique au sein duquel elle fleurit. Voilà ce dont il est question avec le quatrième album studio du trio montréalais Braids, originaire de Calgary. Shadow Offering vient de paraître sous étiquette Secret City Records, Taylor Smith et Raphaelle Standell-Preston en commentent le processus de création.

Genres et styles : art-rock

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Crédit photo : Ariana Molly

PAN M 360 : Quelles ont été les principales avancées de ce nouvel album? 

Raphaelle : « Nous voulions réussir à capter l’énergie que nous avons sur scène. Beaucoup de nos disques précédents se sont construits petit à petit, par élimination, en pressant pratiquement sur les choses pour en faire sortir la vie et que tout soit parfait. Cette fois, plusieurs captations ont été effectuées simultanément avec tous les instruments – batterie, chant, basse et synthétiseurs –, de manière à obtenir cette énergie viscérale, palpable, si prononcée en concert. Et puis, oui, on y est arrivé. » 

PAN M 360 : Les choses ont pris un tournant important lorsque Braids a fait appel à Chris Walla (guitariste, réalisateur et ancien membre de Death Cab for Cutie) pour la réalisation, que s’est-il alors passé ?

Raphaelle : « Chris est devenu un bon ami, il avait participé à notre dernier album. Quand nous avons commencé à travailler avec lui, nous pensions que les chansons étaient prêtes. Alors… il nous a dit qu’il fallait  ajouter de la matière à ces chansons, bien plus, les développer davantage. Il a dit que nos chansons étaient très vivantes mais pas achevées. C’est lui qui nous a fait voir à quel point ces chansons pouvaient être riches et amples, tout en conservant l’énergie des concerts. »

PAN M 360 : La recherche d’œuvres plus succinctes n’est-elle pas un gage de maturité?

Raphaelle : « Oui, absolument. Nous sommes des adultes après tout! Taylor et moi avons tous deux eu 30 ans cet hiver. J’ai moi-même vécu une crise de la trentaine. Mais on y va doucement. 😉 Nous avons cherché à devenir plus précis, et à acquérir ainsi plus de force dans notre écriture. Je pense qu’auparavant, nous avons eu l’impression de manquer d’un peu de souffle. Avec ces chansons, nous voulions arriver avec un ensemble compact d’émotions et d’énergie équilibrée qui soit comme un défi pour nous et nous permettent de nous dépasser comme auteurs-compositeurs. C’est en partie pour cela que nous avons mis autant de temps à terminer cet album. »

Crédit photo : Melissa Gamache

PAN M 360 : Comment ce changement de cap s’est-il effectué au fil du temps ?

Taylor : « On sentait le besoin intense que notre musique soit différente de ce qu’elle était, en même temps que celui d’avoir une atmosphère d’un autre monde. Nous utilisions surtout des guitares à l’époque, mais l’idée était que si on ne pouvait plus reconnaître une guitare, c’était réussi! Nous essayions de tirer des chansons de ces textures expérimentales ou de l’exploration sonore. Avec ce disque, nous voulions créer de très bonnes chansons, qui se tiennent, peu importe qu’on les habille d’une myriade d’instruments différents – piano, guitares, synthés, boîtes à rythmes, etc. Que l’expérimentation serve la chanson plutôt que l’inverse. Si quelqu’un voulait les reprendre, il le pourrait, parce que ce sont de vraies chansons. Ces considérations sont toujours en évolution, nous grandissons en tant que musiciens. Et… même maintenant, je nous vois fort bien avoir terminé cet enregistrement et nous replier vers des pâturages plus expérimentaux mais l’avenir nous dira où tout cela nous mènera. »

PAN M 360 : Côté textes, peut-on parler d’une orientation thématique? 

Raphaelle : « Il y a eu un effort très conscient pour que les chansons se terminent sur une note d’espoir et qu’il y ait de l’espoir dans les textes. J’ai toujours été à l’aise d’explorer les combats des humains et mes propres combats, mais cette fois, je voulais que l’auditeur suspendu au-dessus de la falaise puisse se poser sur la terre ferme, et faire de même à mon tour. Écrire ces paroles a été pour moi très thérapeutique; je voulais exprimer des sentiments pour d’autres personnes, je voulais rester vulnérable et honnête à travers ces chansons, je voulais y trouver la guérison et l’espoir. Une des inspirations fut l’écrivaine Mary Oliver. Je m’intéresse à ses observations sur les relations qui existent entre la nature humaine et la nature, très évocatrices.

« Oui, il y a des moments dans cet album où j’exprime mon point de vue, mais ce sont des observations sur les relations d’amis qui traversent une période de turbulence. Même si je parle de ma propre expérience, il m’a semblé très important d’élargir mon interprétation et ma présentation. Je voulais être très réfléchie dans ma façon d’exprimer certains sentiments ou de poser certaines questions, de telle sorte que le public puisse vraiment s’identifier aux paroles, et se voir en elles. »

PAN M 360 : Pour rendre possible un tel changement vers la concision chansonnière, quelles recherches avez-vous menées ?

Taylor : « Il y a eu une phase où nous recherchions de la musique vraiment classique – Joni Mitchell, Crosby, Stills, Nash & Young… nous avons vu ce à quoi ressemble notre monde dans cette optique. Mais au bout du compte, ce qui importe, c’est la façon dont la musique nous fait nous sentir. Le son reste le son, qu’il soit conçu avec des instruments traditionnels ou non. »

Crédit photo : Melissa Gamache

Raphaelle :  « Pour ma part, en tant que chanteuse, j’étais particulièrement attirée par les grandes voix :  Freddie Mercury, Whitney Houston, Adele, Alanis Morrisette, etc. J’étais aussi obsédée par l’album Blond de Frank Ocean. Je voulais vraiment apprendre comment faire ça, et ça m’a fait me sentir bien physiquement d’y arriver. » 

PAN M 360 : L’album a-t-il été terminé pendant la pandémie?

Raphaelle : « Il est terminé depuis le 31 octobre 2018, cela fait donc un moment. Depuis, nous avons fait plusieurs clips, nous avons travaillé sur la présentation visuelle de l’album, et nous avons travaillé très très dur sur un album en concert, et puis la COVID-19 est arrivée et tout a été annulé, ce qui a été un coup dur.  Mais nous en profitons au maximum, en continuant à expérimenter et à grandir en tant qu’artistes. Nous travaillons actuellement sur cinq ou six chansons. Blue Hawaii, mon autre groupe ?  Hier soir, j’étais en train de finir les derniers mixes d’un nouvel album qui s’annonce très excitant. »

PAN M 360 : Avez-vous le sentiment que ce long processus vous a menés à bon port ?

Taylor : « Je crois que cet album marque un grand changement dans notre évolution, c’est aussi un point culminant sur le plan des influences intégrées tout au long de notre carrière musicale. Pour moi, c’est un sommet remarquable d’inspiration et de développement depuis que nous avons commencé. Ce disque a été tout aussi inspiré par Animal Collective que le premier, même si vous ne pouvez pas l’entendre, mais il en fait partie, c’est le quatrième album pour nous, il y a tant de couches d’inspiration qui se sont déposées au cours de cette année qui marquent ces 10 ans de musique. 

« Ce disque nous ressemble beaucoup, car toutes les compétences, le développement et l’inspiration de notre carrière ont été mis en relief. Ce n’est pas tant que nous essayons de faire quelque chose de complètement nouveau, c’est plutôt un affinage, un concentré, un ciselage de notre identité en tant que groupe. Braids est un projet personnel, intime, très honnête. Ce que nous mettons de l’avant est le reflet fidèle de ce que nous sommes en tant que personnes. Et c’est comme ça depuis nos débuts. 

Crédit photo : Melissa Gamache

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