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Le Quatuor Bozzini est un ensemble élite de la musique contemporaine et Les Boréades de Montréal, un leader de la scène baroque. Quel lien entre les deux? Un concert gratuit et unique en son genre, présenté à l’occasion du Festival Montréal Nouvelles Musiques (MNM) 2021, le dimanche 21 février 2021 à 19h30 en captation live sur le site du Festival. Pour ceux et celles qui ne peuvent pas y être à la date en question, pas de panique! Le concert demeurera disponible pendant 6 mois!
Cela dit, on pourrait se demander ce que les deux groupes sont allés faire dans cette galère? On pourrait. Mais il suffit d’entendre Isabelle Bozzini et Francis Colpron, respectivement du Quatuor Bozzini et des Boréades, parler de cet événement haut en couleurs et en émotions pour être convaincu qu’il fallait que ça arrive!
Constatez par vous-même en lisant mon compte-rendu de l’entrevue que j’ai menée avec les deux artistes.
Pan M 360 : Salut à vous deux! C’est la première fois que vous collaborez de cette façon?
Francis Colpron : C’est la première fois dans un contexte de concert de musique contemporaine, oui. Mais on se connaît déjà depuis quand même un bon moment! Nous nous sommes côtoyés dans des contextes liés à la musique ancienne.
Isabelle Bozzini : Oui parce que je sors parfois mon violoncelle baroque! Mais disons que ça faisait un certain temps que nous nous disions que ce serait bien de faire quelque chose ensemble en termes de musique contemporaine.
Pan M 360 : Quel niveau d’adaptation est nécessaire pour chaque ensemble, l’un par rapport à l’autre?
Francis Colpron : Les Bozzini ont fait un chemin fabuleux en jouant au diapason baroque 415! C’est un demi-ton plus bas que d’habitude pour eux. C’est une grande adaptation (rires…). Vous n’avez pas mis vos cordes de boyaux, non?
Isabelle Bozzini : Oui, oui, on est tout équipés!
Francis Colpron : Ok, fantastique! Eh bien, ça c’est le chemin qu’ils ont fait. Pour nous, ç’a été une question de nous adapter à une écriture musicale contemporaine en termes harmoniques et d’amplitude de nos instruments.
Pan M 360 : Pour vous, venant du baroque, quelle est l’adaptation la plus difficile, à part les harmonies très différentes de votre répertoire habituel?
Francis Colpron : Disons que certaines adaptations sont plus exigeantes que d’autres, mais rien de sévèrement difficile. Par exemple, mon collègue Matthew Jennejohn joue du cornet à bouquin, un instrument qui génère une sonorité suave et tellement élégiaque que les gens tombent sur le cul quand ils entendent ça! Là, le compositeur lui a demandé de ne PAS faire ça avec son instrument. Matthew a donc dû retenir ses réflexes naturels! Ailleurs, on me demande de jouer un do, mais d’une manière complètement différente. Il y a mille et une façons de souffler dans un tube!
Mais tu sais, il n’y a pas de mur entre nos deux mondes, du moins pas tant que ça. Nous sommes tous des musiciens et musiciennes qui sommes allés au Conservatoire. Nous avons joué de la musique contemporaine. Moi j’ai toujours aimé ça. Nous sommes tous et toutes des explorateurs dans l’âme, et là, c’est ce qu’on fait.
Pan M 360 : En plus des créations contemporaines de Thierry Tidrow (Nova et Supernova) et de Trevor Grahl (Éphémérides), vous avez inscrit les Lachrimae or Seven Teares de John Dowland, grand compositeur anglais de la fin de la Renaissance. Pourquoi lui, et pourquoi cette œuvre?
Francis Colpron : Je t’explique d’abord la genèse de tout le projet. Trevor est Canadien avec des origines neerlandaises et Thierry, Canadien aussi, travaille beaucoup en Europe, et souvent aux Pays-Bas. Il y a quelques années, j’ai été invité à jouer aux Pays-Bas pour l’anniversaire de la libération du pays à la fin de la Seconde Guerre mondiale. J’avais remarqué que Dowland a passé un certain temps à la Cour du Danemark et qu’il s’est lié d’amitié avec Tycho Brahe, un astronome doué qui a influencé les découvertes ultérieures de Kepler.
Tidrow et Grahl sont passionnés d’astronomie, les Pays-Bas se définissent dans leur rapport à l’eau et nous Québécois et Canadiens avons colonisé le territoire grâce aux cours d’eau. Les Lachrimae (larmes) de Dowland complètent l’idée de fluidité liquide, et en plus elles se lient avec l’astronomie musicale de Thierry et Trevor telle l’amitié de Dowland et Brahe. Pour couronner le tout, ma copine est Hollandaise. Tout fonctionne à merveille!
Nous avons organisé la programmation comme un imbriquement logique. La Nova et la Supernova de Thierry débutent et terminent respectivement le concert, et au milieu, les sept Lachrimae de Dowland alternent systématiquement avec les Éphémérides de Trevor.
Pan M 360 : Comment assurez-vous la cohérence sonore entre les deux types de musique?
Francis Colpron : Trevor est très sensible au monde sonore de Dowland, de un. Mais aussi, et surtout, on ne sait plus de nos jours à quel point la musique de Dowland, écrite ici pour un type d’ensemble qu’on appelait consort, était très audacieuse et avancée pour l’époque! C’était très novateur!
Pan M 360 : En quel sens?
Francis Colpron : On pratiquait ce qu’on appelle les suspensions. Il s’agit d’accords dissonants mais que l’on résolvait de façon adéquate assez rapidement. Dowland, lui, les faisait tenir longtemps, en ajoutant des quartes, et même des neuvièmes. Aujourd’hui, un bémol 9 comme ceci, c’est du jazz! Cette dissonance était perçue comme l’expression parfaite de la ‘’douleur’’ de la mélancolie. Les Anglais adoraient ça, ils se vautraient là-dedans. En ce sens, cette musique reste très moderne, ses ‘’couleurs’’ ont une résonance avec la musique contemporaine, plus chromatique, et son côté statique a inspiré Trevor. Le tout est franchement cohérent. Nous avons très hâte que les gens l’entendent!
Pan M 360 : Quoi d’autre à surveiller?
Francis Colpron : Eh bien si vous aimez voir différentes sortes de flûtes, vous serez servis! Des petites aux grandes, amenez-en. On change à tout bout de champ! En préparation pour le projet, j’ai montré la collection de flûtes disponible. Le hic, c’est que les flûtes, selon les époques, ne sont pas accordées au même diapason. Une flûte d’époque classique est accordée avec un la à 430 (une fréquence en hertz). Une flûte Renaissance à 460 et une flûte baroque à 415. Trevor a tellement aimé ça, qu’il nous les fait jouer toutes! C’est un ballet de changements d’instruments.
Isabelle Bozzini : Ça c’est la faute à la COVID. Parce que si nous avions été en atelier ‘’présentiel’’, j’aurais averti Francis de ne jamais montrer à un compositeur, surtout un jeune (!), TOUT ce que tu peux jouer. Jamais. Ils vont tout mettre. Rires….
Pan M 360 : Vous prévoyez quelque chose de spécial pour le ‘’retour’’ à la normale?
Francis Colpron : Moi je vise l’automne, en croisant les doigts. Je concocte un programme ludique et rassembleur.
Isabelle Bozzini : Pour notre part, ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Tout me semble incertain encore. On ne sait pas quand, ni dans quelles conditions le ‘’retour’’ se fera.
Pan M 360 : Vous êtes confiant que peu importe à quel moment ça se fera, le public viendra en grand nombre?
Francis Colpron : Moi je suis confiant, oui. Les gens en ont assez et le besoin se fait sentir. Et puis, nous aurons tellement de choses à montrer!
Isabelle Bozzini : Ah ça oui! Nous avons tellement de temps que nous le passons à imaginer des projets spéciaux, des programmes thématiques, et plein d’innovations.
Francis Colpron : Oui, c’est fou. Nous sommes constamment en mode innovation, réinvention, développement, etc.
Pan M 360 : Ça fait du bien d’entendre ça. Merci!
Isabelle Bozzini : Merci!
Francis Colpron : Merci!