renseignements supplémentaires
Trois décennies après sa spectaculaire émergence et la sortie du chef d’oeuvre Prose Combat, le rappeur parisien MC Solaar, premier poète du hip-hop hexagonal, grand pionnier de la forme, reprend contact avec l’Amérique francophone. La Salle Wilfrid-Pelletier est le théâtre de ce retour attendu (un euphémisme) de Claude MC assorti d’un accompagnement considérable, soit un big band destiné à magnifier ses grands classiques : Caroline, Bouge de là, Séquelles, Concubine de l’hémoglobine et autres Nouveau western trouvent ici un nouvel éclairage pour le plus grand bonheur de ses fans. En toute générosité, le fameux rappeur répond aux questions de PAN M 360. Il y cause de ses récentes avancées artistiques, de son travail avec orchestre, de son prochain album et plus encore.
PAN M 360 : Le souvenir d’un concert de MC Solaar à Montréal est presque disparu. Quand êtes-vous venu à Montréal?
MC SOLAAR : J’avais joué au Spectrum à l’époque, j’y étais revenu quelques fois pour faire de la promo ou même en vacances. Je me souviens avoir connu les premiers rappeurs de Montréal, KCLMNOP, Dubmatique ou Muzion, dont Mentalité Moune Morne est selon moi un album parfait de A à Z. Sur You Tube et autres plateformes, j’ai vu au cours des dernières annes qu’il y avait une explosion rap au Québec, des tas de groupes chaque année, ça a percé !
PAN M 360 : Où en êtes-vous dans votre démarche créative?
MC SOLAAR : Je suis en train de préparer un nouvel album studio, qui sortira dans quelques mois. Pour l’avenir de notre musique, on va toujours essayer de faire des choses jouables par des musiciens. Pour les trois premiers, Qui sème le vent récolte le tempo, Prose combat et Paradisiaque, on faisait comme les autres, c’est-à-dire qu’on travaillait avec des samplers mais on n’accentuait pas sur l’électro, mais plutôt sur l’ajout de musiciens. Depuis lors, on est toujours restés en connexion avec la musique instrumentale, vrais bassistes, vrais violonistes, vrais trompettistes, et ça a été le résultat sur le dernier album, Géopoétique, sorti en 2017.
PAN M 360 : La remise en marché de vos trois premiers albums a inspiré un peu cette nouvelle tournée, dit-on. De quelle manière?
MC SOLAAR : Puis lorsqu’on a sorti des rééditions qui n’avaient pas été dans le marché numérique, on a monté un big band d’une vingtaine de personnes. On a gardé la dynamique qu’on avait avec les ingénieurs du son de l’époque et ajouter une histoire musicale avec des flûtes, des choristes, des cordes, beaucoup de nos refrains c’étaient des trompettes, ben là on les a et on a mixé, un peu comme à l’époque de l’acid jazz ou du Groove Collective ou Brand New Heavies C’est à dire y’ a pas de frontières, on prend le meilleur partout. On a fréquenté ces groupes et artistes, Gangstarr et Guru, aussi Gilles Peterson. On était très souvent à la frontière de l’acid jazz.
PAN M 360 : On sait que vous avez participé à des séances de hip hop symphonique. Votre big band est-il plus proche du jazz ou de la musique de chambre de tradition classique ?
MC SOLAAR : Aaah… beaucoup plus proche du jazz! J’ai choisi un groupe de jazz, je dirais jazz offensif, un peu comme Roy Hargrove, mais de son temps. Issam Krimi, le pianiste et chef d’orchestre est vraiment excellent il m’a fait des surprises et son groupe s’appelle The Ice Kream (trompette, saxophone, trombone, choeur, guitare, basse, basse synthé, batterie, etc.) . C’est lui qui a été la base. En France il fait souvent le hip hop symphonique, mais là il apporte quelque chose d’autre, cette fois en lien avec le jazz, la culture du groove. Même les violons sont traités à l’américaine, la section rythmique est basse, batterie, guitare, jeune et urbaine. Il y a aussi des choeurs qui ont trouvé le moyen d’investir l’espace musical proposé et donc qui s’insère dans le flow. C’est Issam qui gère tout ça, c’est lui-même qui a signé les arrangements, qui sur papier entendait la musique et qui sur la dernière note de flûte. Formation au conservatoire en banlieue, puis bon élève, puis formation de chef d’orchestre, puis son âge encore jeune (il a au moins 15 ans de moins que moi) et ça fait donc un bon mix. Ce chef d’orchestre a une finesse exceptionnelle, ces musiciens respectent la musique d’origine. Quand les gens vont écouter ça, ils pourront repartir heureux. Nous démarrons en France cette semaine et puis nous sommes au Canada, puis New York, Monaco, la France, la Belgique, etc.
PAN M 360 : Puisque les trois premiers albums de votre discographie sont de nouveau disponibles sur le marché, on imagine que vous en jouerez plusieurs titres, n’est-ce pas?
MC SOLAAR : Cette nouvelle tournée comporte 85% de grands succès, chantés depuis très longtemps, et qui comptent enfin sur l’instrumentation qu’elles auraient dû avoir à l’époque, et 15% de nouveaux titres. Mais on s’est rendu compte en le faisant qu’on a énormément de morceaux qui sont extrêmement connus: Caroline, Nouveau western, Séquelles, Solaar pleure , on ne savait pas qu’il y avait autant de hits.
PAN M 360 : Après tout ce temps, quel regard portez-vous sur vos classiques?
MC SOLAAR : Ce que j’ai écrit il y a 30 ans, je ne le referais pas en me disant c’est vieux. Eh ben c’est valable aujourd’hui. Idem pour la méthode de travail. Lorsqu’on construisait beaucoup avec des samples de jazz et que le jazz ne vieillit pas… Lorsqu’on a ressorti de vieux albums, on s’est rendu compte qu’on était encore dans l’air du temps. Ça reste groovy et l’histoire racontée avec les instruments, c’est 1 + 1, deux histoires sont racontées en même temps.
PAN M 360 : Qu’écoutez-vous en 2022?
MC SOLAAR : À vrai dire, j’écoute peu de musique pour rester alerte dans ma propre musique et pour mieux écouter la société. J’écoute quand même les jeunes rappeurs français, d’Orelsan à Bébé Jack en passant par Bigflo et Oli. Tous les ans, il y a des nouveaux et le rap est la seule musique à laquelle je m’attache.
PAN M 360 : Comment croyez-vous que votre musique a passé l’épreuve du temps?
MC SOLAAR : J’ai souvent déjà écrit des choses qui n’étaient pas des réflexions sur l’actualité mais plutôt des prises de position philosophiques et des histoires un peu poétiques. Et donc je pense qu’il doit y avoir de ça. Une deuxième chose, c’est que je ne regardais pas les excès du rap américain, je faisais du rap à ma dimension et donc, sans bling bling, sans misogynie, en racontant des sujets qui nous touchent parce qu’on a 20 ans. La dimension humaine est plus attachée au texte et au cheminement musical qu’à l’attitude. Si j’ai un conseil à donner aux jeunes artistes, c’est bien de faire ce qu’ils sont. Quand c’est plus proche de ce qu’on est en tant qu’êtres humains, les gens gardent ça plus longtemps parce que ça leur parle, ça devient des chemins, des guides dans la vie à l’échelle humaine. Je pense que c’est ça.
PAN M 360 : Par voie de conséquence, on constate que le le hip-hop n’est plus l’apanage exclusif de la jeune génération. Qu’en pensez-vous ?
MC SOLAAR : Exact. On peut vivre une vie entière à créer si on ne conçoit pas le rap comme un phénomène de mode. À défaurt de quoi l’adolescent de 16 ans pourrait rejeter plus tard ce qu’il aimait au départ. L’intention de créer œuvre artistique donne plus de chance de durer, que de faire des tubes simplifiés et préformatés. J’en suis sûr.
PAN M 360 : Pour conserver votre fraîcheur créative, comment vous y prenez-vous?
MC SOLAAR : Je travaille en direct, avec l’urgence de la contrainte. J’arrive en studio, des gens travaillent sur la musique et à un moment donné s’il y a quelque chose qui me plaît, je prends mon stylo et il y a une vibration qui arrive et j’écris. En gros, j’avais au départ été marqué par cette idée de l’écriture automatique lorsque j’étais à l’école. J’avais compris que cette contrainte générait de la créativité et des façons d’y parvenir. On n’a pas tout son temps de regarder dans un dictionnaire, on sait qu’on a un temps minimum pour trouver les figures de styles et les assonances. Si elles viennent à l’esprit, on va les mettre car la contrainte du temps nous empêche. Si on a trop de temps, on va faire des choses classiques, comme un étudiant de sciences po, thèse, antithèse, synthèse… Alors que quand on est là on va ajouter des éléments qui viennent du moment ou des événements récents. Ce ne sera pas la même chose quoi. La contrainte dans l’urgence m’amène des figures de style, des titres, de la cohérence alors que si tu te retrouves chez toi sans cette contrainte, tu feras ce que tout le monde fait parce tout le monde fait des études comparables. Et ceux que j’aime bien, ils ont à peu près la même méthode et apportent une autre vitesse, une autre vision, une autre dimension.
PAN M 360 : Que vous le vouliez ou non, vous êtes quand même un classique du rap français. Comment ne pas s’emprisonner dans ce statut?
MC SOLAAR : Bien sûr, je suis « classique » parce que je suis vieux, mais il y a beaucoup de gens qui sortent des trucs. Mais je suis en bonne vibration, je travaille en studio et je suis content. Maintenant le rap est établi, ça y est , on peut penser à une carrière en France et faire ses propositions. J’espère évidemment que les gens auront les oreilles tendues. On travaille de la même manière au départ : composition, beatmaking et musiciens additionnels lorsque nous en avons besoin. C’est différent du big band avec lequel je tourne mais attention! Quand j’ai vu le résultat il y a une semaine, je me suis demandé s’il n’était pas pertinent d’intégrer cette nouvelle science que je suis en train d’apprendre. Je n’aurai pas le temps pour le prochain album mais c’est une expérience que j’ai envie de faire.
PAN M 360 : Pour conclure, comment résumer votre parcours qui est loin de se conclure?
MC SOLAAR : J’ai commencé par le jeune que j’étais. Qui avait envie de faire passer des messages et qui aimait le hip hop à travers ses assonances, figures de style, flow, raggamuffin, bubble style. Tout ce que je racontais était à l’échelle de quelqu’un qui venait d’avoir son bac. Ensuite j’ai découvert la France. Quand j’ai fait Prose Combat, je n’avais plus le regard de la cité (Paris) mais aussi celui de plein de gens comme nous dans les régions françaises, et donc je racontais les choses à d’autres personnes, et j’ai ressenti cette fraternité en France. Je m’adressais à quiconque, noirs, arabes ou blancs. Ensuite j’ai tourné dans le monde, en Afrique, en Amérique, Antilles, Russie, etc. J’ai fait alors Paradisiaque. On a vu tout ça entrer dans ma musique, je me suis dit qu’est-ce que je vais faire? J’ai fait alors des morceaux comme du cinéma pour les aveugles, c’étaient des films pour l’esprit; on ferme les yeux et on entre. Et là aujourd’hui, où vais-je aller? Je n’essaie pas de m’autoplagier, j’essaie d’éviter « à la manière de » mais il y a beaucoup de clins d’oeil au trap, au drill qui comportent des choses similaires à ce qui se passait en Angleterre dans les années 90. On prenait l’avion et on allait souvent à Londres pour voir du rap anglais, du raggamuffin et je sens qu’il y a de ça, c’est-à-dire plus de musique électronique assumée. Il y a du cinéma pour les aveugles que je n’aurais pu faire il y a longtemps car il y a plus de maturité, de second degré, de violence pour la bonne cause. On va voir ça dans quelques mois.
PAN M 360 : En déduit-on que la gestion de patrimoine est exclue ?
MC SOLAAR : Gestion de patrimoine? Non non! On est encore dans la débrouillardise: on a des samplers, on n’a pas accès aux musiciens tout de suite, on cherche. Sans toucher à cette dynamique originelle, ça bouge, c’est évolutif. Je n’ose pas dire le mot carrière, mais il y a eu dans mon aventure beaucoup de choses où on me questionnait sur ce que j’avais fait et ce qui avait eu avant que je sois rappeur. Alors ? Faire revivre mon passé comme il s’est vécu à l’époque, ce n’est vraiment pas ce que j’aime. Comme j’aime beaucoup la musique, faire les choses de cette manière ronflante, je serais toujours du mauvais côté.