Beaver Sheppard : Castor bricoleur

Entrevue réalisée par Patrick Baillargeon

Artiste touche-à-tout hyper productif, connu autant pour ses peintures que sa cuisine et sa musique, Beaver Sheppard dévoile avec Downtown son album le plus éclectique et diversifié.

Genres et styles : art-pop / électro-pop / indie folk

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(Crédit photo : Ben Jackson)

Prolifique serait un euphémisme pour décrire l’artiste et cuistot montréalais Beaver Sheppard. L’ensemble de son oeuvre est impressionnante. Au point où il est quasi impossible de dénombrer tout ce qu’il a pu peindre ou composer et enregistrer. Lui-même aurait du mal à vous le dire. Personnage excentrique et erratique bien connu d’une certaine faune montréalaise – et d’ailleurs –, Beaver/Jonathan Sheppard est partout à la fois. Quand il n’est pas derrière les fourneaux de son petit restaurant Oke Poke, le chef se transforme en peintre dont les toiles s’arrachent pour plusieurs milliers de dollars, ou alors en compositeur émérite à la voix d’or. 

Nous avons réussi à l’attraper à la fin d’une longue journée de travail afin qu’il nous parle de Downtown, un disque franchement épatant où le natif de Saint John’s nous propose un canevas sonore sur lequel il mélange habilement les couleurs. Que ce soit l’irrésistible No One Knows, chanson synthwave aux tonalités 80s qui a tout pour devenir un hit, la très jolie ballade folk Full Moon, l’étrange pièce-titre qui débute l’album ou la groovy Chameleon qui le clôt, Downtown, marqué par l’étonnante voix de l’auteur, ne manque pas de vers d’oreilles.  

(Crédit photo : Ben Jackson)

PAN M 360 : Tu as un florilège impressionnant de parutions de toutes sortes, autant sous ton propre nom qu’avec CO/NTRY, Drug Face ou encore les allemands Brandt Braueur Frick, sans compter tes nombreuses contributions auprès de divers groupes ou artistes. Un simple coup d’oeil à ta page Bandcamp nous révèle toute l’étendue de ton travail, d’ailleurs.

Beaver Sheppard : J’ai composé mes premières chansons en septième année et je crois que mon premier disque remonte à 2006, sur un label de Baltimore. Mais j’ai une tonne de trucs que je n’ai jamais fait paraître. Ah non ! attends, mon premier disque est paru en 1997. On jouait sur des casseroles et des contenants de plastiques. À cette époque, j’étais pas mal dans des trucs comme Smashing Pumpkins et Nirvana. Un gars me l’a envoyé récemment et c’est franchement pas mal bon, sauf les paroles… Je pense que je vais le faire paraître, tiens ! En fait, je devrais tout balancer ce que j’ai sur le web. C’est ridicule tout ce que j’ai d’enregistré.

PAN M 360 : Tu cuisines beaucoup, tu peins tout autant, tu fais de la musique sans arrêt… comment fais-tu pour demeurer aussi prolifique et créatif ?

BS : Hum, je sais pas. Je ne pense pas vraiment à ce que je vais faire. Je m’installe et je crée quelque chose. C’est là que les idées viennent. En particulier pour la musique, je sors des trucs sans arrêt. J’essaie de ne pas trop me perdre dans les paroles. Je les travaille mais jamais trop. Si ça me prend plus que quelques jours pour trouver des paroles, je laisse tomber. Tout est là, les mélodies, les arrangements, tout… sauf les paroles. Je dirais que j’en ai au moins 200 comme ça, tout ça sur des cassettes 4 pistes. Et j’ai autant de chansons d’enregistrées que j’en ai au fond de ma tête. C’est un peu fou.

PAN M 360 : Pour ton nouvel album, tu as eu un coup de pouce inattendu, non?

BS : Oui, y’a cette fille de Warpaint, Stella (Mozgawa) qui m’a en quelque sorte permis de faire ce disque. Elle aimait bien mes premiers albums et m’a proposé d’enregistrer quelque chose qui ressemblait à ça. Je croyais qu’elle aimait plus mes trucs récents, comme ce que j’ai fait avec CO/NTRY, mais elle préférait le côté plus brouillon de mes premiers albums. Elle voulait que je fasse quelque chose d’un peu plus fou. Moi, je lui ai dit ok, pas de problème, et je me suis mis à fouiller dans tous mes vieux enregistrements et construire à partir de ce qui m’inspirait dans toutes ces vieilles cassettes. Je pense en fait que ce que j’ai fait de mieux est souvent parti de rien, d’un truc tout simple. Dès que tu commences à trop penser, à trop travailler le truc, ça devient… prévisible. J’aime bien que ce soit brouillon et un peu tout croche. Il y a une magie là-dedans. J’aime pas ces putains de musiciens de studio qui connaissent toutes les notes par cœur, qui jouent parfaitement sur le tempo, c’est nul. 

(Crédit photo : Ben Jackson)

PAN M 360 : Ce que tu dis là me fait un peu penser à la philosophie de travail de Billy Childish, qui comme toi peint et fait de la musique. Pour lui, une œuvre ne doit pas prendre un temps interminable à compléter, c’est du temps perdu pour créer autre chose.

BS : Mais oui, je le connais! J’ai fait sa première partie à Montréal. Wow ! ça, c’était assez délirant. J’étais bien buzzé ce soir-là. En fait, je me défonçais pas mal à l’époque. J’étais sur l’acide, avant même de monter sur scène, et ensuite je me suis rendu dans les loges où j’ai eu une longue et intense discussion avec ce type. Il a cette sorte d’aura… Je sais pas sur quoi il était, peut-être rien, mais il donnait cette impression d’être gelé naturellement, tu vois ? Je ne le connaissais pas du tout avant. Ensuite, j’ai su que c’est un peu le gars qui a réinventé le rock garage. J’ai appris qu’il avait fait un tas de disques et je lui ai demandé pourquoi il faisait tant de musique et il m’a répondu « je suis obligé, car si je ne le faisais pas, je serais mort ». Pour moi, ça avait bien du sens.

PAN M 360 : Revenons à Downtown, dis-nous un peu comment tu as construit l’album.

BS : J’avais un mois pour tout compléter. Donc j’ai bricolé avec d’anciens morceaux, différentes ébauches et de vieux échantillons. Prends la première chanson du disque, Downtown, elle vient d’un jam que j’avais fait avec d’autres musiciens y’a 15 ou 16 ans. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de fou et de sulfureux, avec un des gars qui joue la mauvaise note sur un piano… Ça m’a bien plu et j’ai mis ça en boucle. Ensuite j’ai empoigné un saxophone et j’ai improvisé. Puis j’ai pris le micro et je me suis mis à balancer un flot de paroles comme ça, spontanément. J’ai coupé et collé ici et là et ajouté deux ou trois autres trucs, et voilà ! Pour I Only See You, j’ai écrit les paroles le plus rapidement possible juste pour pas que ça traîne et passer à autre chose. (Rires). Ça a donné quelque chose d’assez joli au final. J’ai utilisé un genre de steel drum caribéen que j’ai reçu en cadeau à Noël. J’ai été un peu inspiré par la chanson Spinning Away de Brian Eno [et John Cale] pour ce titre. Y’a quelque chose de ludique et de fragile dans ce morceau. Pour Chameleon, j’ai utilisé un truc qu’on avait enregistré avec CO/NTRY, un gros jam très cru de 13 minutes. J’ai charcuté l’affaire et j’ai construit Chameleon avec ça ! Je trouve la guitare malade sur ce morceau, on dirait Cotton Eyed Joe ! (Rires). Pour une autre chanson, c’était un morceau que j’avais fait avec Drug Face, mon projet avec Thomas Von Party… Tout l’album a été bricolé à partir de morceaux ou d’ébauches que j’avais en banque. 

PAN M 360 : On retrouve aussi sur Downtown des morceaux un peu plus folk (My Oh My, Full Moon) similaires à ceux que tu as enregistrés sur tes premiers albums…

BS : Oui, et j’ai envie d’explorer plus ce genre de son. Ce que je trouve intéressant avec cet album, c’est que chaque chanson a été enregistrée dans un endroit différent. Tout a été finalisé au même endroit mais chacune des dix chansons provient d’un moment et d’un endroit différents. 

PAN M 360 : La pièce No One Knows est vraiment super bonne, c’est carrément un truc qui pourrait connaître un certain succès.

BS : Tu n’es pas le seul à me dire ça. D’ailleurs on va faire un clip pour ça… ah oui ! et un pour Tornado Brain, un remix que Ricardo Villa-Lobos a fait d’une de mes chansons l’année dernière. Mais pour revenir à No One Knows, c’est une belle chanson que j’ai écrite y’a un an, sortie de nulle part. En fait j’ai écrit pas mal de bons trucs l’année dernière et je devrais sortir tout ça… À bien y penser, Downtown est clairement l’album le plus diversifié que j’ai réalisé. Ça ne couvre pas tout ce que j’aime faire en musique, par exemple j’ai tout un album de musique électronique de prêt et un autre de musiques complètement fuckées, et puis j’aimerais faire des trucs plus dans la veine de Talk Talk, Neil Young et Arthur Russell, faire des chansons à propos de Terre-Neuve… et plus d’art contemporain… Si au moins j’avais le temps ! Mais j’aime l’idée de laisser derrière moi tout un tas de créations une fois que je serai mort. Penser que les gens vont se battre pour les avoir… c’est un truc auquel je pense très souvent.

SITE OFFICIEL DE BEAVER SHEPPARD

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