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Ci-dessus : Celestial Broadcast, tiré de la série Marquees Tropica
Si vous êtes un fan du renouveau psychédélique polyculturel de ces dernières années, il y a de fortes chances que l’œuvre de l’illustratrice, peintre et designer Kendra Ahimsa, connue sous le nom d’Ardneks, vivant à Jakarta, ait chatouillé votre rétine plus d’une fois. Ses visions ont orné des pochettes de disque et des affiches de concert pour des artistes tels que Moon Duo, Khruangbin, Flamingods, Acid Mothers Temple et Neon Indian. Une visite de son site web Paraiso Grafica permet de plonger dans ces images et bien d’autres encore. Son travail pour le plus récent mini-album Miniature 1 de Ko Shin Moon fait partie du palmarès de PAN M 360 des 20 meilleures pochettes de disque de l’année 2020, ce qui semblait être un excellent prétexte pour communiquer avec l’artiste afin de savoir ce qui la motive, quelles sont les œuvres qu’elle aime et ce qu’elle pense de l’étonnante scène créative qui fleurit un peu partout en Asie.
PAN M 360 : Cette année, vous avez réalisé la pochette du nouvel EP Miniature 1 de Ko Shin Moon ainsi que celle des simples Nuevo Mundo de los Hermanos Gutiérrez et Mushroom Kingdom/Bonsoy des Australiens Sunfruits (il y avait aussi une vidéo d’animation pour Bonsoy). Quelles autres commandes reliées à la musique avez-vous exécutées cette année ?
Ardneks : Je travaille actuellement sur deux projets reliés à la musique. Je ne suis pas certaine de pouvoir en parler en ce moment car il s’agit de disques à paraître. Je dois tenir compte des échéanciers des groupes, mais bientôt ! Tout ce que je peux dire, c’est que je me compte chanceuse d’avoir encore des projets sur lesquels travailler. En raison de la pandémie, il n’y a ni concerts ni tournées, donc pas d’affiches. Cela me manque vraiment de travailler sur des affiches de concerts.
PAN M 360 : A part une affinité générale pour le psychédélisme bienveillant – c’est-à-dire sans bad trip – qu’est-ce qui vous relie aux musiciens avec lesquels vous travaillez ?
Ardneks : La musique, d’abord et avant tout. Je ne m’engage dans des projets liés à la musique que si j’aime vraiment la musique. C’est pourquoi je demande toujours si je peux écouter les chansons d’abord. A part ça, probablement mon enthousiasme de geek. Comme avec le duo Ko Shin Moon, nous avons échangé sur notre amour mutuel pour Haruomi Hosono. Les gars m’ont parlé entre autres des disques indonésiens qu’ils écoutent. J’aime beaucoup la phase de découverte d’un groupe, lorsque ses membres me racontent des histoires et me parlent des concepts derrière leurs chansons, de leur processus de création, de leurs influences. Quelques conversations suffisent pour se rendre compte si une personne aime réellement la musique.
PAN M 360 : Je suis vraiment impressionné par votre série Marquees Tropica. Il ne s’agit pas de commandes, mais plutôt d’œuvres personnelles. Chacune est liée à une chanson particulière, que vous avez écoutée en boucle jusqu’à ce que vous ayez terminé. Aimeriez-vous poursuivre cette série ?
Ardneks : La musique occupe une place vraiment importante dans mon travail. C’est comme lorsqu’on vérifie la liste des ingrédients sur un contenant de jus de fruit, 75 % de chacune des illustrations que je fais est inspiré par la musique d’une manière ou d’une autre. La série Marquees Tropica tente de l’exprimer d’une manière plus intime, en montrant comment la musique m’a influencée à différentes étapes de ma vie. J’ai eu l’idée de choisir une chanson pour chaque étape, de la faire jouer en boucle et de dessiner, peu importe où la chanson me mène, jusqu’à ce que l’illustration soit terminée. Écouter la même chanson encore et encore m’a d’ailleurs amenée dans de drôles d’endroits.
Celestial Broadcast (voir ci-dessus) a été la première œuvre que j’ai réalisée pour la série et la chanson était Just Like Honey de The Jesus and Mary Chain. Elle se rapporte à une période de ma vie où j’étais curieuse de tout. Elle représente un garçon qui pense que le début de Just Like Honey parle de sa rencontre de rêve avec la déesse Sarasvati et qui construit une machine pour essayer de la retrouver. Adolescente, j’étais très curieuse. J’ai essayé tous les hallucinogènes, j’ai essayé de comprendre les différentes religions et le spiritisme, j’ai même eu une phase hippie, je suis allé à des « rassemblements arc-en-ciel », à des ashrams et tout ça, jusqu’à ce que je réalise que toutes ces utopies sont comme un miel illusoire et que j’en aie assez. C’est le sens qui se cache derrière cette œuvre.
C’est un projet très personnel. Je pense poursuivre la série au fil des ans.
PAN M 360 : J’ai été ravi de voir que vous avez développé divers produits, dont des vêtements et des accessoires. Malheureusement – ça m’a brisé le cœur – les articles qui devaient être vendus au niveau international sont tous épuisés ! Pouvez-vous me parler de cet aspect de l’empire Ardneks qui est en pleine expansion ?
Ardneks : Je suis désolé ! En fait, ils ne sont pas épuisés. J’ai dû en interrompre temporairement la vente en raison de la situation actuelle. Le seul mode d’expédition disponible où j’habite est assez coûteux, de plus il est un peu risqué car les pays ont des règles postales différentes. Certains colis envoyés m’ont été retournés pour des raisons que j’ignore, je vais donc attendre que les choses reviennent à la normale pour rouvrir boutique.
Pour ce qui est de l’empire, le seul en lequel je crois est l’Empire vacillant (Yura Yura Teikoku). Je ne considère pas vraiment ce volet comme une expansion, pour moi, c’est juste un autre medium de travail. J’ai été approché par cette marque locale, Artist Attire, pour dessiner des vêtements et j’ai accepté. L’idée est de faire des œuvres d’art ambulantes que les gens peuvent apprécier dans des endroits improbables. Un trajet de bus d’une heure sera très agréable si vous avez devant vous une personne qui porte un de ces vêtements. La marque compte engager d’autres artistes locaux prochainement, je ne suis donc en fait qu’une simple collaboratrice. Mais c’est parfois surréaliste. Je me rappelle, lors d’un séjour au Japon, avoir vu dans le train une jeune fille qui portait une de mes chemises. La boucle était bouclée !
PAN M 360 : Bien que je remarque des éléments art déco, d’affiches classiques de théâtre japonais et de bandes dessinées de science-fiction françaises dans votre travail, l’ingrédient principal, me semble-t-il, est le Pop Art psychédélique d’il y a environ 50 ans, le psychédélique aux lignes pures et géométriquement précises de Yellow Submarine et des célèbres affiches du Fillmore, quelles sont vos principales influences ou sources d’inspiration ?
Ardneks : Merci de l’avoir remarqué ! Ouf, je ne sais pas par où commencer, je me suis inspiré de tellement de choses ! La musique, bien sûr, je ne peux pas vivre sans elle. J’essaie d’écouter de tout. J’ai grandi en regardant beaucoup de films d’animation et en lisant des tas de mangas japonais, je suppose que c’est de là que vient mon style de dessin. Un peu plus tard, j’étais obsédée par les affiches de l’époque du Fillmore et l’art psychédélique. Les couleurs et la liberté dans la composition m’ont beaucoup plu. Il n’y a pas de règle, pas de grille, il faut simplement prendre son temps pour les déchiffrer.
Les choses ont monté d’un cran quand j’ai découvert les affiches de Yokoo Tadanori. C’est encore plus fou. À mes yeux, ses compositions sont tellement révolutionnaires ! Chaque élément est chaotique et pourtant magnifiquement disposé, d’une façon jamais vue auparavant. C’est l’approche idéale pour moi car j’aime mettre beaucoup de détails. Le cinéma aussi m’a inspirée. J’essaie de voir au moins un film par jour, cela nourrit mon imagination. Les publicités dans les vieux magazines sont aussi une bonne source d’inspiration, on n’en fait plus des comme ça.
PAN M 360 : Parmi vos contemporains, quels sont les artistes faisant du « rock art » néo-psychédélique que vous préférez ?
Ardneks : Il y en a tellement ! Mes favoris ? Will Sweeney, Aaron Lowell Denton, Jason Galea, Brian Blomerth, Jaime Zuverza et Edward Carvalho-Monaghan.
PAN M 360 : J’ai beaucoup de plaisir à suivre tout ce qui est produit en Indonésie en fait de culture cool ces dernières années, au cinéma, en musique et dans les arts graphiques; en tant que membre de cette scène, que pensez-vous de l’univers des arts populaires de Jakarta et d’ailleurs en Indonésie actuellement ?
Ardneks : Vraiment ? C’est cool ! Oui, je trouve que l’Indonésie est en bonne position en ce moment. Il existe de nombreuses plateformes locales qui offrent de belles possibilités aux créateurs, qu’ils soient réalisateurs, artistes ou musiciens. Grâce à ces platesformes, ils peuvent créer des choses étonnantes dont la portée est considérablement accrue. Et grâce à l’internet, nous pouvons facilement trouver des créateurs des différentes régions du pays. Je pense que cela est dû en partie au fait que l’industrie et le public apprécient davantage leur travail. Ce qui faisait partie d’un créneau est devenu un courant dominant. Même les grandes entreprises s’y sont mises. Elles collaborent avec de bons créateurs et se font concurrence pour réaliser de meilleurs projets.
PAN M 360 : Votre travail vous amène à être en contact avec des gens d’autres régions d’Asie, quels sont selon vous les points chauds de la culture ailleurs en Asie en ce moment, les villes ou même les quartiers que vous trouvez passionnants et importants ?
Ardneks : J’aime tout particulièrement Osaka. C’est mon deuxième chez-moi. J’aime tellement cette ville ! J’ai eu la chance d’y rencontrer des gens extraordinaires et de devenir leur amie. La scène artistique est formidable, il y a beaucoup d’endroits sympas à visiter, sans parler de la nourriture. L’année dernière, j’ai organisé une exposition dans le quartier de Nakazakicho. C’est vraiment un quartier intéressant. Situé à côté du quartier moderne et contrasté d’Umeda, on y trouve d’anciens bâtiments de l’ère Showa, des bâtiments qui n’ont pas été endommagés pendant les guerres que les jeunes ont transformé en galeries d’art, en cafés, en magasins de vêtements d’occasion vintage, en magasins de disques, en bistrots de ramen. Shinsekai, Dotonbori, Nakanoshima et Shinsaibashi sont autant de quartiers uniques et intéressants.
On y tient un événement annuel appelé « Asie inconnue ». Près de 200 artistes des quatre coins de l’Asie s’y réunissent et exposent leurs œuvres. Il y a plein de grands artistes et l’on peut discuter avec eux de leur travail. J’y ai participé en 2016. Cela m’a non seulement aidé à démarrer ma carrière, mais aussi ouvert les yeux sur les scènes artistiques d’autres régions d’Asie.
PAN M 360 : Avec l’année qui s’achève, nous sommes en train de passer en revue les meilleurs albums de l’année, qu’avez-vous écouté dernièrement ? Quels ont été vos disques préférés de 2020 ?
Ardneks : J’ai beaucoup écouté d’exotica ces derniers temps. Les Baxter, Martin Denny, Xavier Cugat, Piero Piccioni, et bien d’autres encore. Je n’ai pas vraiment suivi les parutions de cette année, je ne suis donc pas au courant de ce qui s’est fait de mieux, mais parmi les albums que j’ai écoutés, j’ai aimé America the Beautiful de Kahil El’Zabar, Mordechai de Khruangbin, Bobby Joe Hope de Jon McKiel. J’ai aussi beaucoup aimé A Hero’s Death de Fontaines D.C. Oh ! et Shintaro Sakamoto a sorti quatre nouvelles chansons au début du mois qui sont vraiment bien.