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Crédit photo : Marc-Étienne Mongrain (Le Petit Russe)
À l’automne 2018, nous étions quelques douzaines à un concert de transition offert par Antoine Corriveau et un groupe d’enfer construit autour du guitariste Simon Angell (Patrick Watson, Thus Owls) . Nous étions les témoins ébahis des prémisses d’un nouveau cycle de création : plus rock, plus noise, plus punk, plus art-rock, clairement hors de la québécitude consensuelle. Contre toute attente, un gros wow ! L’EP Feu de Forêt parut durant cette période et…nous voilà en octobre 2020.
Deux ans plus tard, ce même cycle bat son plein avec la sortie imminente de Pissenlit chez Secret City Records. Cet album inscrit l’auteur, compositeur et interprète sur une piste de grande singularité. Changement de personnel, nouvelle direction musicale, audace et des textes parmi les mieux écrits de la gent chansonnière locale. L’homme de 35 ans aurait-il acquis la maturité essentielle aux longues carrières ? Poser la question… c’est choisir d’en poser d’autres au principal intéressé.
PAN M 360 : Feu de forêt, EP sorti en 2018, dressait la table de Pissenlit. Plus rock, plus lourd, plus corrosif, plus musclé, plus audacieux. Qu’en dis-tu, Antoine Corriveau ?
ANTOINE CORRIVEAU : Je suis d’accord. C’est vraiment une autre démarche. Lorsque j’ai présenté ce concert et sorti l’EP, c’était la première fois que je jouais avec ce nouveau noyau de musiciens. Mon défi était alors de travailler sans arrangements de cordes comme je l’avais fait pour l’album précédent et le concert qui s’ensuivit. Il s’agissait de voir où ça irait. Dans ce spectacle donné il y a deux ans, nous avions un segment quasiment punk. J’aimais beaucoup ça ! J’ai eu envie de monter un show où je sortirais de scène plus fatigué ! Dans ce nouveau cycle se trouvent des éléments de musique que j’ai écoutés depuis longtemps et que je commence à digérer. Aujourd’hui, je ne cherche pas à reproduire la même affaire.
PAN M 360 : Ce troisième album studio procède d’une méthodologie fort différente des précédentes, peux-tu nous expliquer sommairement de quoi il en retourne ?
AC : J’ai d’abord invité cinq batteurs à jouer ensemble dans mon local, je voulais une matière première pour composer à partir de leurs beats. Je leur suggérais un tempo qu’ils devaient jouer, je les laissais décoller. Immédiatement, l’impact s’est fait sentir : j’ai composé autrement. J’ai essayé de repérer les segments utilisables et j’ai composé autour avec une basse ou une bass synth plutôt qu’avec une guitare ou un piano. Si je m’assois au piano ou je prends ma guitare, je retrouve ma zone de confort, ce que je ne renie pas; il y a des chansons plus douces dans mon nouvel album, c’est important pour moi de faire cohabiter ces façons de faire. J’ai imaginé des moments de répit, sinon l’album comporte des claques dans la face et des ruptures de ton. Donc, au départ, je n’avais pas de structures d’accords, j’avais juste une fondamentale autour de laquelle j’ajoutais des trucs. Puis j’invitais d’autres musiciens sans leur envoyer de matériel afin qu’ils se préparent. J’enregistrais leur matériel, après quoi je faisais du ménage là-dedans. J’avais en banque d’autres riffs de guitare que j’essayais de marier avec des beats ou d’autres contributions des musiciens venus à mon local. J’ai aussi enregistré seul avec un bassiste ou un batteur. Plusieurs chemins mèneraient au même endroit. Et ça tombait sur mes épaules.
PAN M 360 : C’est donc toi qui as entièrement mené le projet de réalisation et assuré la direction musicale, somme toute ?
AC : Oui, je n’avais jamais fait ça auparavant. Ça s’est fait instinctivement, naturellement. C’est aussi un défi que je me suis lancé, question de voir jusqu’où je pourrais mener ce projet. Pour le précédent, je m’en remettais beaucoup à Marianne Houle qui créait les arrangements de cordes. Là, je voulais aller moi-même le plus loin possible à partir des contributions des musiciens.
PAN M 360 : Sauf exceptions, ton groupe est sensiblement le même que depuis le début de ce nouveau cycle. Qui sont ces artistes ?
AC : J’embauche des musiciens que je respecte et que j’aime beaucoup. Leur apport est hyper important pour moi. Stéphane Bergeron (Karkwa), batterie, Marc-André Landry (David Marin, Chloé Lacasse, Tire le Coyote, etc. ), basse, Simon Angell, guitares et arrangements, sont au centre du projet, ils jouent sur presque toutes les chansons. Erika Angell (chant) nous a rejoints pour certaines séances. Le même noyau sera avec moi sur scène lorsque les conditions le permettront, et aussi au lancement virtuel de l’album, le 13 octobre. Aux claviers, Sheenah Ko (The Besnard Lakes, etc.) s’ajoute à la formation. On répète actuellement pour monter les chansons qu’on n’a jamais jouées autrement que pendant le processus d’enregistrement. On réapprend, en quelque sorte. On n’a pas les mêmes contingences que pour l’album précédent avec des cordes, ça se fait plus simplement. Avec des guitares et des claviers, on est très proches des versions de l’album et nos versions live en feront évoluer les interprétations. Après le lancement virtuel, cependant, tout redevient flou côté spectacle.
PAN M 360 : Quel est le ton du chant, cette fois ?
AC : Je chante comme je chante, je fais mon truc comme auparavant. Mais je me suis permis plus de liberté dans l’interprétation. Par moments, par exemple, je chante dans les aigus, ce que je ne faisais pas avant, mais ce n’est pas une révolution. Comment décrire les ambiances et les états émotifs ? Il y a un second degré dans le ton, une ironie, quelque chose d’assez proche de moi. Je me suis permis d’aller plus loin, de me livrer davantage.
PAN M 360 : On observe que tes environnements poétiques ont changé relativement, de quelle manière ?
AC : C’est peut-être plus direct, il y a moins de brouillard dans l’écriture. J’ai passé une semaine en atelier avec Gilles Vigneault, j’ai eu plein de discussions avec des artistes sur l’écriture de chansons. Moi-même, j’ai un peu enseigné au Festival de la chanson de Granby. Tu tiens alors un discours sur la clarté et puis tu te remets toi-même en question. En vieillissant, il faut dire, j’ai moins la chienne de dévoiler ce que je pense vraiment. C’est là que la clarté devient essentielle. Vouloir montrer qu’on sait écrire, c’est aussi une peur de dire des choses qui nous sont personnelles. Je me suis dit que si je n’y arrivais pas, ça ne servait à rien d’écrire. Et j’ai travaillé plus fort que jamais sur les textes. Aussi, je me suis permis d’écrire des mots plus québécois, je ne l’aurais pas fait auparavant. Je me suis décomplexé par rapport à ça. C’est pourquoi j’estime que c’est mon disque le plus keb.
PAN M 360 : Choisis spontanément des chansons représentatives de l’album, parle-nous en.
AC : OK. Je prends d’abord Quelqu’un. La première moitié de la chanson fut le premier geste littéraire de cet album. Je venais alors de donner un atelier d’écriture sur l’identité, je demandais aux personnes inscrites de parler d’elles-mêmes. Je me suis dit alors que je devais aussi me livrer, ça m’a mené à pousser l’idée plus loin pour ce projet d’album mais… Je suis resté pris longtemps avec une moitié de texte, incapable de le terminer. Puis j’ai eu des discussions avec une voisine psychanalyste, nous avons parlé de l’enfance, de la mort symbolique du père et d’autres sujets inhérents à la psychanalyse. Ça m’a conduit à creuser quelque chose d’hyper-personnel, ce fut la bougie d’allumage qui m’a permis de terminer cette chanson… un an et demi plus tard !
PAN M 360 : Cette introspection était aussi liée à une révision de ton identité, cet album regorge d’évocations de la culture et du territoire québécois, de ses zones limitrophes. Route, voiture, maisons, réflexions, ressentis… et quoi encore ?
AC : Je prends l’exemple de la chanson Il parle, un ramassis d’affaires. J’ai pas mal réfléchi au partage du territoire… comment me situer là-dedans ? Je me suis senti coupable de l’histoire de notre peuple avec les Premières Nations. J’ai eu des discussions sur le sujet avec mon père qui a grandi en Abitibi et qui a vécu proche des réserves. J’en ai parlé aussi avec des gens de la Côte-Nord lorsque j’y ai donné des spectacles et fait une résidence d’artiste à Natashquan. Avec des amis, je me suis rappelé l’étroitesse de nos cours d’histoire sur les Amérindiens; les combats entre Montcalm et Wolfe l’emportaient largement. On ne parle pas assez en profondeur de cette question, on a du mal avec les discours qui grattent davantage, on a du mal avec ce qu’en pensent les intellectuels. Personnellement, j’ai beaucoup de mal avec la gestion de la question autochtone dans la sphère publique. Mon malaise est aussi relié à cette peur québécoise de l’immigrant, à cette peur des autres religions et des autres cultures, à cette peur de disparaître. Avec le recul, le racisme est un enjeu qui m’a beaucoup habité pendant l’écriture des textes de cet album. Dans la chanson Les sangs mélangés, la ligne du chorus n’est pas de moi mais bien une adaptation d’une phrase d’Éric Plamondon tirée de son roman Taqawan. J’y ai identifié un refrain de chanson – En Amérique, on a tous du sang indien, si c’est pas dans les veines, c’est sur les mains.
PAN M 360 : Tes évocations du territoire québécois ne se limitent pas à la question autochtone, il y a aussi le fleuve et la mer, n’est-ce pas ?
AC : J’en ai pris la pleine mesure en tournée et aussi en cherchant à acheter une maison dans le Bas-Saint-Laurent. J’ai ratissé large, j’ai visité plusieurs endroits. Je suis venu à un cheveu d’acheter une maison à Saint-Fabien-sur-Mer, au pied de la falaise. Ça n’a pas marché mais ça m’a fait écrire une toune : Peut-être. S’acheter une maison sur le bord de la mer en 2020 est une drôle d’idée, c’est très à risque. Je me suis alors questionné sur mes motivations, je suis allé loin dans le fantasme : j’ai imaginé un scénario apocalyptique où le personnage de la chanson s’installe en bord de mer car il veut être aux premières loges de la fin du monde. Quant à moi, j’ai finalement acheté au Bic… mais en hauteur ! On a une super vue sur la mer.