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André Hamel imagine de la musique contemporaine depuis les années 80. Il est parmi les créateurs tenaces de cette avant-garde ayant marqué notre paysage sonore depuis la Révolution tranquille. La Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) en dresse enfin un portrait complet et rétrospectif, soit dans le contexte d’un programme présenté ce dimanche après-midi, 26 septembre, à la salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau.
Adolescent, André Hamel était un Québécois de son temps : il jouait de la guitare et rêvait de devenir chansonnier. Ses rêves se sont ensuite électrifiés, une carrière rock fut envisagée. Puis, au terme de quelques années sur le marché du travail, il entreprit des études sérieuses. Il fut étudiant en composition avec nul autre que Serge Garant, compositeur phare de la musique contemporaine québécoise et leader de la SMCQ pendant de nombreuses années. Les rêves d’André Hamel devinrent alors plus complexes.
Quatre décennies plus tard, il enseigne au Cégep Marie-Victorin et poursuit sans relâche sa démarche créatrice, toutes ces années de travail ont visiblement porté fruit. PAN M 360 l’invite ici à commenter ce programme étoffé qui lui est consacré par la SMCQ, renforcée par le quatuor de saxophones Quasar et les percussionnistes de l’ensemble Sixtrum.
PAN M 360 : N’est-ce pas un événement rarissime, c’est-à-dire entièrement conçu autour de ton œuvre?
André Hamel : Oui! J’ai déjà eu droit à un demi-concert à la Chapelle historique-du Bon-Pasteur il y a quelques années, l’Ensemble Halogène avait joué ma Trilogie du Presto, pour percussions, violoncelle et piano.
PAN M 360 : Et là nous sommes en 2021, la SMCQ se consacre à André Hamel pour un programme complet.
André Hamel : Oui, c’est tout un honneur d’obtenir un tel programme à la SMCQ.
PAN M 360 : Parle-nous des œuvres, on peut y voir une trajectoire. On commence par Pièce pour violon et piano.
André Hamel : C’est une œuvre de jeunesse pour violon et piano, qui date de 1984. J’ai la chance d’avoir ma fille Anne-Claude Hamel-Beauchamp pour interprète au violon, qui vient de terminer sa maîtrise en violon au Conservatoire. Âgée de 3 ans, elle avait assisté avec moi à la répétition de ma pièce In Auditorium, et le lendemain elle jouait au chef d’orchestre à la garderie! Elle jouera donc mon œuvre de jeunesse avec la pianiste Louise-Andrée Baril, ce qui n’est pas rien. Une bonne équipe! À l’époque, c’était une façon de me positionner face à mon professeur de l’époque, Serge Garant, un homme finalement très ouvert et non le structuraliste rigide que certains décrivaient. Fondamentale, quinte, fondamentale à la main gauche et je me promenais un peu n’importe où à la main droite. C’était une façon un peu puérile, je l’avoue, d’affronter mon professeur qui, finalement avait été très cool avec moi. Je fus parmi les derniers étudiants de Garant. J’avais commencé l’université sur le tard, soit à 26 ans, il est décédé prématuréement avant la fin de mes études et j’avais complété ma maîtrise avec Michel Longtin.
PAN M 360 : In Auditorium est la seconde pièce au programme. Qu’en dire?
André Hamel : Elle fut présentée en 1998. À l’origine, c’était une commande de Radio-Canada à Michel Longtin qui s’était désisté pour un programme sous la bannière OSMCQ, soit une collaboration entre l’OSM et la SMCQ. Cette année-là, l’OSM offrait des répétitions sans les cordes, j’avais donc accepté la commande et j’avais composé pour l’OSM sans cordes – vents, percussions, piano, harpe, etc. Cette œuvre avait finalement gagné un prix OPUS pour la saison 97-98. In Auditorium est partiellement spatialisée : sur la scène, on a le piano, la harpe, les vents graves, alors que les vents aigus se trouvent sur les côtés de la salle. Au balcon, on a les cors et les trompettes.
PAN M 360 : Quelles sont selon toi les vertus de la spatialisation?
André Hamel : Lorsque les musiciens sont spatialisés, il se produit une sorte d’immersion. On ne reçoit pas la musique de manière frontale, on baigne dans le son, le compositeur a l’occasion de créer un authentique paysage sonore. Dans une telle œuvre, les éléments ont une certaine autonomie les uns par rapport aux autres, ça peut être tonal pour certains éléments et atonal pour d’autres, par exemple. Ainsi les éléments de l’œuvre se détachent les uns par rapport aux autres et sont dispersés dans l’espace. On peut ainsi créer un paysage sonore organisé. C’est ce qui m’intéresse là-dedans, c’est comme si on essayait de discerner les bruits de la forêt, à différentes distances. On comprendra par cette image qu’une œuvre spatialisée n’est ni unitaire ni frontale. J’aime faire éclater tout ça et créer quelque chose de très intéressant sur le plan de la perception.Par exemple, je peux même y insérer des citations pour ce que ça provoque chez l’auditeur; ce qui m’intéresse, en fait, c’est l’affect que la citation produit et non la citation en tant que telle. En somme, la spatialisation est pour moi une source de grande motivation.
PAN M 360 : Passons à l’œuvre Intérieur Nuit.
André Hamel : En 2006, j’avais composé de la musique électroacoustique pour une vidéo-danse de Guylaine Savoie. Elle fut une membre fondatrice de Brouhaha, elle a dansé pour Carbone 14, elle eut une carrière un peu marginale. À l’époque, sa chorégraphie avait été conçue pour une vidéo, avec pour trame dramatique l’impression que quelqu’un avait pénétré dans l’appartement de la protagoniste. J’avais alors créé tout l’environnement sonore en électroacoustique de cette vidéo, c’est une autre facette de mon travail que je voulais montrer.
PAN M 360 : Et voilà Brumes matinales et textures urbaines.
André Hamel : En 2007, j’avais composé cette œuvre pour Quazar, soit une pièce pour quatuor de saxophones avec traitement en temps réel. Cette œuvre a d’ailleurs été la plus jouée de mon répertoire. Il faut dire que je suis en train de poursuivre un cycle de 9 œuvres pour instruments et traitement en temps réel, six pièces ont déjà été composées, dont celle-ci. Et… un programme d’André Hamel sans Quasar, c’est comme un petit déjeuner sans jus d’orange (rires).
PAN M 360 : On conclut par L’être et la réminiscence.
André Hamel : Cette cinquième œuvre au programme fut créée en 2017 par le Nouvel Ensemble Moderne, c’est une œuvre spatialisée sans chef… ou presque. Ça marche tout seul avec des consignes sonores. Les musiciens sont parfois visibles, parfois cachés. Quand c’est spatialisé et que le chef est au centre, on perd la magie lorsqu’il distribue les consignes, l’effet de surprise n’est pas là. Les choses se passent mieux lorsque les musiciens se coordonnent à partir de ce qu’ils entendent. Dans ce contexte, je veux les choses détachées les unes des autres et ça ne requiert pas l’archiprécision d’une partition normale. Ça permet de conserver la magie et l’effet de surprise. Quand c’est ainsi spatialisé, les gens finissent par s’habituer à écouter le tout sans toujours se retourner. Le concert sera d’ailleurs enregistré pour qu’on l’entende en réalité virtuelle, avec un casque de VR.
Image : Geneviève Bigué