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Martina Lussi est compositrice, designer et architecte du son. Suissesse germanophone, la trentenaire compose des œuvres, crée des installations et se produit en temps réel devant public. Elle est titulaire d’une maîtrise en pratique artistique contemporaine (contemporary arts practice), un programme interdisciplinaire qui lui sied bien.
Ses compositions sont constitués d’enregistrements réalisés sur le terrain (dans les Alpes suisses mais aussi hors de son pays, notamment au Brésil) ou encore de sons de synthèse bricolés dans son labo perso Martina Lussi peut ainsi compter sur une banque de sons de mieux en mieux garnie, banque de laquelle elle décaisse les meilleurs placements pour composer ses oeuvres. En témoigne son récent album, Balance, sorti il y a un an – septembre 2021, sous égtiquettePräsens Editionen.
Avant qu’elle ne traverse l’Atlantique pour ainsi présenter ce mardi une œuvre composite dans le contexte du festival Akousma, PAN M 360 l’a jointe à Lucerne où elle vit et où elle a toujours vécu apparemment.
PAN M 360 : « L’acte de l’écoute », une expression que l’on observe dans vos profils biographiques et vos interviews, semble un fondement de votre travail.
MARTINA LUSSI : Oui, j’aime vraiment me retrouver dans un état d’écoute totale où je me trouve. J’aime enregistrer ensuite ce que j’écoute et ensuite recréer à ma façon ce que j’ai enregistré dans l’environnement extérieur, notamment en y juxtaposant des sons tirés de logiciels ou instruments électroniques. Pour reprendre l’analogie de la peinture, les prises de son sont souvent les esquisses d’une œuvre qui doit être retravaillée sous différents angles.
PAN M 360 : L’état d’esprit de l’écoute et de l’enregistrement semble fondamental chez vous.
MARTINA LUSSI : Oui, effectivement ça a beaucoup à voir avec l’écoute, avec l’expérience de l’écoute : être très conscient de ce qu’on entend et oublier le temps. Quand tu es sur le terrain, tu dois rester très calme, attentif, pour mieux remarquer les sons qui paraissent anodins et qui deviennent des éléments plus importants. Le froissement des vêtements pendant la prise de son, par exemple. Des sons anodins, à la limite agaçants, peuvent devenir matière de l’œuvre.
Ça m’a pris beaucoup de temps en fait, pour reconnaître que certains sons se retrouvent partout dans mes prises et j’ai finalement consenti à ne pas effacer ce qu’on ne veut pas entendre a priori ce qui finit par apparaître dans une œuvre.
PAN M 360 : Vous avez déjà fait escale à Montréal?
MARTINA LUSSI : Je suis déjà venue m’y produire dans un stationnement, dans le contexte du festival OK Là ! J’ai été impressionnée par la qualité du son.
PAN M 360 : Cette fois, vous vous produisez dans un contexte acousmatique, dans une salle munie d’un acousmonium de 32 haut-parleurs. Que venez-vous y présenter?
MARTINA LUSSI : je vous confierai être très nerveuse car mon morceau est une sorte de mashup de plusieurs œuvres dont certains passages sont très délicats, très calmes mais qui peuvent s’ouvrir à des sonorité différentes, aussi à des volumes plus élevés. En fait, ce mélange est une sorte de jeu d’égalisation de tous ces sons de fréquences différentes, sons distribués par tous ces haut-parleurs. Il faudra voir comment les gens perçoivent ce travail dans cet événement apparemment sérieux, peuplé de détenteurs de doctorats… alors que je ne me sens pas particulièrement sérieuse (rires).
PAN M 360 : Mais non, ce n’est pas si sérieux, ne vous en faites pas ! Et d’où proviennent ces sons?
MARTINA LUSSI : Ils proviennent surtout de mon album Balance, sorti l’an dernier et puisent aussi dans ma banque de sons sur le terrain et sons synthétiques, sans compter des extraits de mes travaux pour installations.
PAN M 360 : Et comment cette œuvre composite s’articule-t-elle?
MARTINA LUSSI : Je souhaite que le public s’y abandonne, s’y perde, oublie où il se trouve pendant la diffusion. Et entre le début et la fin, il faut oublier le temps. Et, oui, je pense que le morceau est très fracturé au début, ponctué d’interruptions. Et puis ça va davantage vers le « field recording » parsemé de sons synthétiques. Et ça commence tout de suite avec des mouvements très fracturés, mais aussi très lents et puis fracturés entre les deux. Ça peut aussi évoluer vers des sonorités aiguës. Le succès de ce mélange préparé pour Akousma dépend de son dosage et de sa progression à partir du premier morceau.
PAN M 360 : Comment avez-vous construit ce mashup de vos oeuvres ?
MARTINA LUSSI : J’ai fait beaucoup d’enregistrements sur le terrain, notamment dans une réserve naturelle de ma région, puis j’ai conçu l’oeuvre pendant le confinement. Je pense que c’est la fusion de différents types de sons. Mon travail a beaucoup à voir avec la prise de conscience d’un son présent dans notre environnement mais qu’on n’avait pas identifié.
PAN M 360 : La spécificité de votre approche tient-elle à votre formation inter-disciplinaire?
MARTINA LUSSI : Probablement, mais j’ai dû changer quand j’ai commencé à faire du son de plus en plus parce que je venais des écoles d’art.
PAN M 360 : Vous arrive-t-il de présenter votre travail dans un contexte de club culture?
MARTINA LUSSI : Oui, mais je n’ajoute pas forcément de beats pour remplir le plancher de danse. Il m’arrive de titiller les gens avec quelques mélodies et quelques beats, sans plus. Lors de certains concerts, c’est une taquinerie avec des mélodies et un peu comme si on pouvait sentir que ça pouvait aller vers la danse, mais ça n’y allait pas. J’aime jouer dans ces événements plus clubs, mais disons que je ne voudrais pas y jouer à minuit quand tout le monde veut danser. En bref, je pense qu’il est assez intéressant de déplacer une pratique comme la mienne dans cet espace, parce que les gens s’attendent à autre chose.
PAN M 360: Êtes-vous juchée sur une clôture entre le monde pop et la culture sérieuse ?
MARTINA LUSSI: Peut-être bien et c’est pourquoi j’aime des artistes comme Laurel Halo. C’est aussi pourquoi je me produis dans les galeries et les musées ou tous les murs sont blanc où des artistes qui s’y produisent d’une manière inhabituelle peuvent avoir l’air délabrés. Dans un club, c’est complètement différent; tu entres dans cet espace plus sombre, et tu as l’impression d’être trop bien mis! J’aime donc varier les contextes et je crois qu’il faille régulièrement me produire dans des lieux qui ne soient pas élitistes, car ces lieux contribuent à changer les perceptions d’un art apparemment complexe et élitiste mais qui ne l’est pas tant que ça.