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Après un premier diplôme en histoire de l’art obtenu en France, Jessica Ekomane décide de profiter d’un programme d’échange universitaire pour découvrir Berlin et y entreprendre un parcours sound studies.
Toujours installée dans la capitale allemande, elle y a trouvé sa place et son mode d’expression : la musique expérimentale.
Après avoir expérimenté l’installation sonore, c’est lors de son premier concert dans un bar berlinois que son intérêt pour la forme se confirme. Invitée à Montréal par le festival Akousma, la compositrice présentera Manifold, une pièce commissionnée par l’INA-GRM, écrite pour acousmonium (orchestre de hauts parleurs).
PAN M 360 : Présente-nous Manifold, la pièce que tu joueras à Akousma.
Jessica Ekomane : J’ai toujours du mal à en parler de cette pièce parce que j’ai l’impression qu’elle rassemble beaucoup de choses sur lesquelles j’ai travaillé ces dernières années, notamment développer les mélodies, la polyphonie et le rythme, tout en même temps. J’utilise aussi beaucoup d’accordage qui n’est pas celui du piano européen, enfin du tempérament égal comme on le connaît. J’utilise un accordage « heptatonique » qui vient du Malawi. C’est une famille d’accordages qui se retrouve dans différents pays et aussi dans les diasporas. J’essaye d’aller dans cette direction, de briser un peu ce choix très réduit de notes avec lesquelles on fait de la musique depuis très longtemps. De plus, comme j’utilise Max/MSP (NDLR : logiciel musical de synthèse sonore), je suis vraiment dans le champ des fréquences. Ce ne sont pas des notes donc ça n’a pas vraiment de sens de me limiter à ces quelques fréquences.
PAN M 360 : Tu as joué un DJ set à l’occasion des 31 ans du mythique club Trésor à Berlin.
Jessica Ekomane : Alors quand je fais des DJ sets déjà, je ne joue pas de musique pour faire danser les gens, c’est plus des choses expérimentales. C’est vrai que ça me change de ce que je fais habituellement, c’est un côté beaucoup plus léger et ça me permet aussi de partager la musique que j’aime, d’écouter avec les autres. On écoute ensemble. J’aime bien faire des mix, car c’est l’occasion de mettre en avant des artistes qui sont moins connus. Après, je n’ai pas l’intention d’en faire une carrière, je le fais très rarement parce que j’ai vraiment envie de garder ce côté un peu frais, pas trop professionnalisé on va dire.
PAN M 360 : Quels sont les éléments qui t’ont marqué lorsque tu as découvert les scènes expérimentales berlinoises?
Jessica Ekomane : Ce qui est intéressant dans cette ville et que j’ai découvert en emménageant, c’est l’ouverture, en comparaison par exemple, à certaines institutions françaises qui ont l’air très fermées et élitistes. À Berlin, il y a des espaces pour commencer où les gens sont juste intéressés et dans une optique plutôt d’encouragement, même s’ils donnent des critiques ou des rétroactions. Mis à part le fait que c’était beaucoup d’hommes blancs, ça allait toujours dans les musiques expérimentales. Si les gens voient que tu fais quelque chose, ils sont prêts à te donner une opportunité. C’est comme ça que j’ai pu faire mon premier concert au bar Madame Claude, qui accueille autant des artistes de musique expérimentale connus que pas du tout.
PANM360 : Comment perçois-tu la place des femmes dans les scènes expérimentales à Berlin?
Jessica Ekomane : Ça s’est beaucoup amélioré ces dernières années. Je suis aussi en dialogue avec des femmes de la génération d’avant qui me disent qu’elles étaient seules et qu’elles voient vraiment l’évolution, pas seulement au niveau des musiciens, au niveau des ingénieurs du son, par exemple. C’est possible d’avoir des femmes ou personnes non binaires en tant qu’ingénieur du son. Il y a bien sûr beaucoup de progrès à faire, mais quand je sors de Berlin ou que je reviens d’autres endroits, je me rends compte à quel point c’est quand même en avance. C’est peut-être aussi parce que je me suis constitué une bulle, un environnement dans lequel j’ai moins à me confronter à ça, car c’est parfois lourd à porter. J’espère que le progrès va continuer, car historiquement parlant, on est à un moment où il y a beaucoup de questions sur les identités qui peuvent créer aussi des frictions ou un effet inversé avec des gens qui veulent aller contre ça.
PANM360 : Est-ce qu’il y a des compositrices, chanteuses, qui t’inspirent par leur parcours ou leur musique?
Jessica Ekomane : J’aime beaucoup Éliane Radigue. Récemment, je commence à écouter plus Mary Lou Williams aussi, c’est une compositrice et pianiste afro-américaine qui vient du jazz, elle a fait des compositions vocales, Nina Simone aussi. J’écoute aussi beaucoup de musique qui n’est pas forcément « genrée », par exemple la musique des pygmées qui sont entre le Congo et le Cameroun. C’est de là que j’ai appris le plus une manière de penser la polyphonie.