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Suite en quatre parties – Acknowledgement, Resolution, Pursuance, Psalm – la musique d’A Love Supreme doit être considérée comme l’œuvre la plus marquante de John Coltrane et de son fameux quartette réunissant le batteur Elvin Jones, le pianiste McCoy Tyner et le contrebassiste Jimmy Garrrison. Enregistré en 1964, lancé en 1965 sous étiquette Impulse!, cet album est sans conteste un grand classique du jazz contemporain. Au programme, explorations mélodico-harmoniques et rythmiques, phrases incantatoires, paroxystiques, propices à l’expressivité individuelle ou collective. L’inspiration du saxophoniste résultait alors d’une intense quête, différentes formes de mysticisme et la découverte de nouvelles dimensions sonores l’avaient conduit à créer cette œuvre extraordinaire.
Rappelons que les guitaristes John McLaughlin et Carlos Santana en avaient repris ensemble le premier mouvement dans le contexte de l’album Love Devotion Surrender, lancé en 1973. Depuis lors, tant de musiciens reprennent cette œuvre, de surcroît un passage obligé pour tout jazzophile qui se respecte. Depuis quelques années, d’ailleurs, le guitariste Henry Kaiser et le batteur John Hanrahan réunissent différentes formations et jettent un nouvel éclairage électrifié sur A Love Supreme.
Un album témoigne enfin de cette expérience en continu : le guitariste et le batteur s’adjoignent ici les services du saxophoniste Vinny Golia (ténor, soprano, baryton), du claviériste Wayne Peet (Hammond B3, Yamaha YC-450) et du bassiste Mike Watt.
Joint en Californie, Henry Kaiser explique le processus aux usagers de PAN M 360 :
PAN M 360 : Ces dernières années, vous et John Hanrahan avez interprété des versions électriques des Meditations de John Coltrane et d’A Love Supreme avec différents musiciens. Plusieurs concerts en témoignent sur YouTube, assortis de vos commentaires. Pouvez-vous nous expliquer votre rapport à cette œuvre ?
HENRY KAISER : En fait, je n’ai jamais beaucoup écouté Coltrane. Les albums que j’ai le plus appréciés et écoutés sont Meditations, Ascension, Live at the Village Vanguard Again et les deux albums Live In Japan. C’est davantage le Coltrane proche du free jazz jouant avec le saxophoniste Pharoah Sanders qui m’intéresse. En fait, je passe une plus grande partie de mon temps consacré au free jazz à l’écoute de Cecil Taylor, Sun Ra et Albert Ayler. Je considère néanmoins Coltrane comme une figure extrêmement importante du free jazz des années 60. Mais je ne suis pas un fétichiste de Coltrane, j’ai dû passer cinquante fois plus de temps à écouter Cecil Taylor.
PAN M 360 : Cet enregistrement de John Coltrane d’A Love Supreme sur Impulse! est l’un des rares albums de jazz moderne qui a eu un impact sur un très large public, au-delà du jazz. Les hippies et les fans de rock psychédélique des années 60 l’ont adoré et les générations suivantes l’ont également apprécié. Encore aujourd’hui A Love Supreme demeure un incontournable rituel. Comment expliquez-vous cet énorme impact au fil des années et des décennies ?
HENRY KAISER : Je pense que c’est une étape importante du free jazz qui a plu au grand public. Un album magique d’une période magique ! Aujourd’hui… je me demande s’il est toujours aussi important sur le plan spirituel. Lorsqu’il invoquait les esprits sur A Love Supreme, il pensait probablement au Dieu des chrétiens. Cependant, un musicien traditionnel coréen m’a récemment demandé pourquoi et comment il se faisait que Coltrane y jouait des éléments de gugak (musique traditionnelle coréenne). J’ai jeté un coup d’œil aux disques de musique traditionnelle coréenne parus aux États-Unis à l’époque d’A Love Supreme et avant – et je n’ai rien trouvé que Coltrane aurait pu avoir entendu pour l’expliquer. Ma théorie est qu’il a invoqué sans le savoir les esprits très puissants qui animent les musiques chamaniques coréennes, dont j’ai moi-même fait l’expérience en les jouant avec des musiciens coréens, et qui ont conduit Coltrane sur les chemins de l’expression musicale et mené au succès de cette œuvre.
PAN M 360 : Au cours de votre carrière, vous n’avez jamais été un musicien de jazz conventionnel. Vous vous êtes surtout consacré à l’improvisation de manière globale et à beaucoup d’expérimentation. Qu’est-ce qui vous a motivé à faire ce cycle de réinterprétation de la musique de Coltrane du milieu des années soixante ?
HENRY KAISER : Cela semblait être à la fois une chose amusante à faire et un défi intéressant. De plus, ce que j’ai appris en étudiant la musique de Miles Davis de la période 1973-1975, dans mon groupe Yo Miles! avec Wadada Leo Smith, m’a fourni une clé intrigante pour décoder les Meditations. Je pense qu’Agharta et Pangaea ont beaucoup plus en commun avec les Meditations que quiconque n’a pas fait partie du groupe Yo Miles! pourrait le réaliser.
PAN M 360 : Quelles sont les qualités musicales de la musique d’A Love Supreme – structures harmoniques, rythme, interaction, improvisation solo ou collective, etc. – qui vous ont amené à faire autre chose avec cette musique plus ou moins considérée comme un classique du jazz aujourd’hui ?
HENRY KAISER : Ce ne sont pas les concepts occidentaux de mélodie, d’harmonie et de rythme. Ce sont des choses comme la narration, le récit, le timbre, le timing, l’espace, l’opposition entre rythmes proportionnels et rythmes divisionnaires, le chamanisme, la téléologie de la musique et les qualités psychédéliques de la musique sans l’usage de drogues. C’est sur ce genre de considérations que je me suis penché et que j’ai agi.
PAN M 360 : Cette musique se fonde sur des structures ouvertes où le vocabulaire d’improvisation et les expressions individuelles sont très importants. Que vouliez-vous ajouter ? Comment les instruments électriques peuvent-ils changer la musique ?
HENRY KAISER : Carlos Santana et John McLaughlin ont montré la voie à une interprétation électrique d’A Love Supreme sur leur album Love Devotion Surrender. J’ai vu ce groupe à deux reprises, avant de jouer professionnellement de la guitare, à l’occasion de sa tournée promotionnelle, et ça m’a marqué. Ma rencontre avec le batteur John Hanrahan m’a amené à jouer et à enregistrer la suite entière et, après avoir étudié la question de plus près, je me suis rendu compte qu’A Love Supreme et Meditations étaient deux volets de la même histoire. Et il est essentiel que les mélomanes le comprennent.
PAN M 360 : Lorsque nous écoutons vos versions personnelles, nous éprouvons un profond respect pour les formes initiales. Quelle tension y a-t-il entre l’enregistrement original sur Impulse! et vos différentes versions ?
HENRY KAISER : Ce genre de question ne nous effleure même pas. Il n’y a rien de planifié. La musique nous guide et nous la fait jouer. Ce n’est pas nous qui la jouons. (Je suis sûr que c’était le cas aussi pour Coltrane avec A Love Supreme et Meditations – les chutes de studio le démontrent.) Il n’y a ni carte ni plan de vol; chaque fois, c’est l’exploration différente d’un nouveau territoire.
PAN M 360 : Vous avez joué avec toutes sortes de musiciens depuis que vous avez commencé le projet. Pouvez-vous nous parler des principaux ensembles et nous expliquer brièvement ce que vous avez réalisé avec chacun d’eux ?
HENRY KAISER : C’est surtout moi et le batteur, John Hanrahan. Chaque fois, les musiciens sont différents. Vous pouvez voir et entendre une autre formation en allant sur la page YouTube du label Cuneiform et visionner ma série Weekly Solo.
PAN M 360 : Pourquoi avez-vous choisi cette formation pour l’enregistrement, est-ce pour des raisons de disponibilité ?
HENRY KAISER : Nous donnions des concerts d’A Love Supreme Electric avec des musiciens différents tous les deux ou trois mois, et comme Wayne Peet, l’organiste sur l’album, avait son propre studio d’enregistrement, ç’a été assez simple à faire.
PAN M 360 : Jouer la musique de John Coltrane vous présente sous un autre jour : vous pouvez être confronté à des perceptions différentes de la part de personnes qui ne connaissent pas très bien votre travail et qui aiment A Love Supreme, y voyez-vous un défi ?
HENRY KAISER : Ce n’est pas vraiment un défi, jouer cette musique est devenu naturel pour nous. Le public ne s’est jamais plaint de quoi que ce soit et nous passons tous un très bon moment.
PAN M 360 : Vous avez toujours été à la recherche de nouvelles formes, de nouveaux langages, de nouvelles façons de composer, d’improviser, de jouer, que vous a apporté ce projet sur le plan du langage musical ?
HENRY KAISER : La possibilité d’intégrer des éléments à la fois musicaux et sociologiques de la musique des chamans coréens à la musique de Coltrane.
PAN M 360 : Quels sont vos projets actuels et à venir ?
HENRY KAISER : Je suis en train de matricer un album avec Stein Urheim, Benedicte Maurseth, Danielle DeGruttola et moi-même pour le label norvégien Jazzland : Be Here Whenever.
Voici la liste de mes parutions prévues pour 2021 :
Un nouvel album en quartet avec Ray Russell.
Un album en trio avec Wadada Leo Smith et Alex Varty.
Un nouvel album de guitare solo.
Un album de fusion en compagnie d’Andy West, Chris Muir, Lukas Ligeti et Stephan Thelan.
Un album de d’improvisation libre en quintette en compagnie de Danielle DeGruttola, Lisa Mezzacappa, Soo-Yeon Lyuh et Nava Dunkelman.
Un duo de guitares d’ambiance avec Anthony Pirog.
Une relecture de l’album The Wire, de Steve Lacy, en compagnie de Bruce Ackley, Andrea Centazzo, Michael Manring, Tania Chen et Danielle DeGruttola.
Un album en quintette en compagnie de Binker Golding, Eddie Prevost, N.O. Moore et Ollie Brice.
J’en ai probablement oublié deux ou trois autres qui sont en préparation.
Il y a aussi mon concert hebdomadaire en webdiffusion.